par Ilse Ermen. 19 septembre 2018
Fox, Jonathan, The unfree exercise of religion : a world survey of discrimination against religious minorities, New York, 2016.
Fox, Jonathan, An introduction to religion and politics : theory and practice, London, 2013, détails des études de Fox
Koopmans, Ruud, Religious fundamentalism and out-group hostility among Muslims and Christians in Western Europe, 2014 (SP VI 2014–101)
L’ensemble des recherches des six pays "Six Country Studies" sous la direction de Ruud Koopmans
L’étude du Pew Research Center sur les opinion au monde musulman, tous téléchargeables.
Beaucoup d’encre a été versée à propos de l’islam et sa présumée tolérance, tandis que la prétendue discrimination des musulmans en Occident continue à faire beaucoup de bruit. La plupart des ouvrages ne considère que des aspects partiels des phénomènes, tandis qu’une grande partie des études comparatives et multifactorielles des instituts de recherche scientifiques furent d’abord ou uniquement publié dans l’Internet. Ce sont des outils importants et très utiles, des aides à l’argumentation indispensables. C’est pourquoi la présente notie de lecture leur prête une attention particulière. L’ensemble des études fut publié en anglais, le livre résumant les "Six Country Studies" en allemand (Koopmans, Ruud : Assimilation oder Multikulturalismus ? Bedingungen gelungener Integration, 2017).
Pendant une vingtaine d’années, deux groupes de recherche sociologique ont examiné ce sujet de près : l’équipe de Jonathan Fox s’intéresse à la discrimination religieuse de minorités par des majorités à l’échelle mondiale, l’équipe de Ruud Koopmans étudie l’intégration d’immigrants musulmans en Europe ainsi que les attitudes respectives des immigrés envers les majorités et des majorités envers les minorités musulmanes et autres. Les deux sont des études à long terme, fondées sur une méthodologie scientifique solide. Comme base comparative, on peut prendre en considération l’étude du Pew research center sur les opinions des musulmans en terre d’islam.
Le résultat est négatif, non seulement pour le mythe de la tolérance islamique (qui se situerait, si elle a jamais existé, plutôt dans le passé), mais aussi pour celui de la discrimination des musulmans dans le monde. Au niveau de l’Etat, les communautés musulmanes s’avèrent comme les minorités les moins discriminées du monde et les majorités les plus discriminantes (à très peu d’exceptions), surtout là où l’islam est religion d’Etat, donc dans la quasi totalité des pays à majorité musulmane. Le quotient de discriminations officielle envers des minorités de la part des états islamiques est de 3 à 30 fois supérieur à celui des états chrétiens. Les chrétiens représentent le groupe le plus discriminé du monde (en nombre) et en même temps le moins discriminant, avec les shintoïstes et les divers chamanistes.
Au niveau individuel, les immigrés de confession musulmane ont beaucoup plus de préjugés contre la société d’accueil et d’autres minorités que les membres de celle-ci contre les musulmans et les minorités en question.
Pour ce qui concerne la discrimination religieuse au niveau mondial – ainsi que la violation des droits de l’homme –, c’est l’Arabie Saoudite qui remporte le palmarès, suivie de près des autres Etats pétroliers du Golfe. Ceci avant même la Corée du Nord – l’athéisme d’état ne fait pas bonne figure non plus dans cette étude (si jamais on peut parler d’athéisme en Corée, c’est plutôt le Kimisme). Par contre, les états musulmans ex-soviétiques – donc ex-athées d’office – semblent être moins discriminants que les autres.
Quand les musulmans sont persécutés, c’est surtout par leur confrères chiites ou sunnites selon les majorités respectives. Le seul pays terrorisant de manière sévère les musulmans est le Myanmar [la Birmanie, note du CLR], dont on a parlé exhaustivement dans les médias récemment. Le score de tolérance religieuse des pays bouddhistes n’est pas très flatteur d’ailleurs – un autre mythe à démonter, même s’il n’atteint pas le niveau de des musulmans.
Puis, les modes de discrimination seraient très différents : entre l’interdiction du foulard islamique dans le service public et la peine capitale pour apostasie, telle qu’elle est pratiqué dans une dizaine de pays musulmans (Iran, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Pakistan, Soudan, Maurétanie, entre autres), il y a quand même une petite différence. Ne parlons pas de l’interdiction de construire des lieux de cultes, de se rassembler dans ceux-ci ou de porter des signes religieux en public, ainsi que l’obligation de suivre les instructions de la religion majoritaire (Arabie Saoudite, Iran, pays du Golfe).
L’attention prêtée aux discriminations serait en relation proportionnellement inverse aux groupes concernés et à la sévérité des mesures, comme le constate Fox (2013, S.47) : "Yet it is an interesting example of a not at all common quirk in the human rights literature that more attention is focused on some identity groups rather than others and that this attention does not correlate with the identity groups which experience the highest levels of intolerance."
Les chrétiens forment donc la minorité religieuse la plus discriminée du monde. Quoique Fox mentionne les athées et les violations du droit à la non religion, ils ne font pas partie de l’étude. Les chrétiens ne sont pas seulement tracassés par les musulmans, mais aussi par hindous, bouddhistes et en Israël, seul état à majorité juive. Et, last but not least, ils s’oppriment les uns les autres – les rivalités entre courants jouent un rôle important parmi les monothéistes. Parmi les chrétiens, c’est les orthodoxes les moins libéraux, en même temps champions de l’homophobie en Europe, comme le démontre une autre étude du Pew Research Center. Ainsi, le pays chrétien le plus radical en discrimination religieuse est également orthodoxe – l’Érythrée. Fox retrace des tendances de tolérance mais constate qu’on ne peut pas tout généraliser : il y a un rapport clair entre dictature et répression religieuse, mais ce rapport n’est pas obligatoire. Certains phénomènes paraissent régionaux (le libéralisme d’un nombre de pays et chrétiens et musulmans de l’Afrique occidentale subsaharienne), d’autres semblent être en rapport avec l’ancienneté d’une religion dans un pays (l’Arabie Saoudite et l’Érythrée en sont le meilleur exemple).
Koopmans s’intéresse aux immigrés musulmans en Europe. L’étude comparative fut menée dans six pays européens (Pays Bas, Belgique, Allemagne, Autriche, Suède, France), et se concentre sur deux groupes d’immigrés : les Turcs et les Marocains, très représentés dans ces pays. Des échantillons de groupes témoins (Pakistanais au Royaume Uni et musulmans des Balkans ailleurs) sont pris en considération. En ce qui concerne l’intégration, on peut dire que plus un Etat est exigeant envers ses immigrants concernant l’apprentissage de la langue, l’acceptation des principes culturels, la situation de l’emploi et le casier judiciaire au moment de la naturalisation, mieux ils s’intègrent. Le score d’intégration des pays germanophones au niveau de l’emploi, la criminalité, et la maitrise de la langue est largement supérieur à celui des pays menant une politique "gentille", correspondant aux recommandations du MIPEX ("Migrant Integration Policy Index" de l’Union européenne). Somme toute, les résultats sont diamétralement opposés à la "best practice" du MIPEX. C’est le cas de la Belgique où on n’exigeait pas de maîtrise de la langue pour la naturalisation, ou du Pays Bas où on était extrêmement permissif au niveau religieux : le niveau de criminalité et de chômage des immigrés y sont nettement supérieur aux autres.
La France occupe une position intermédiaire, grâce aux exigences linguistiques et – Koopmans le dit explicitement – à la laïcité. Il faut souligner que le néerlandais Koopmans était parti de l’hypothèse que le modèle pratiqué dans son pays d’origine était le meilleur, mais il fut détrompé par les chiffres. Actuellement, ce chercheur se fait conspuer et traiter de raciste car il refuse de maquiller ou d’excuser ses résultats. Il plaide pour une politique d’intégration ferme et intelligente et refuse catégoriquement de se faire instrumentaliser par l’extrême droite.
Parmi les nombreuses études détaillées de cet ensemble (qu’on peut presque toutes télécharger), il y en a une particulièrement intéressante "Religious fundamentalism and out-group hostility among Muslims and Christians in Western Europe". Furent questionnés des personnes de confessions chrétienne et musulmane, qui devaient d’abord indiquer leur degré de religiosité et puis s’exprimer à propos de l’out-group respectif – musulmans pour les uns, chrétiens pour les autres – et donner leurs avis sur les juifs et les homosexuels. Résultat : les musulmans avaient une attitude nettement plus hostile envers les chrétiens et les Occidentaux en général que ceux-ci envers les musulmans, et évidemment, leurs préjugés envers les juifs et les homos étaient beaucoup plus marqués que ceux des chrétiens et surtout des non-croyants. Signe que la théorie de sociologie vulgaire, très chère aux médias, selon laquelle la non-intégration de nombre de musulmans serait due à l’hostilité des autochtones envers les immigrés ne tient pas debout.
Les chiffres correspondent à d’autres sondages et recherches entrepris récemment : l’étude de l’IFOP sur l’antisémitisme, l’enquête de l’Institut Montaigne sur les musulmans de France, deux études sur l’islam en Allemagne ainsi que le rapport sur l’antisémitisme en Allemagne, tous commissionnés par le ministère de l’intérieur de la République fédérale (téléchargeables sur le site de celui-ci). Ce dernier rapport constate des attitudes divergentes chez les réfugiés politiques des pays musulmans : plus qu’ils sont opposés aux régimes respectifs, moins ils sont antisémites.
Les résultats atteints par les musulmans ne sont égalés que par des groupes intégristes chrétiens, de leur côté très, très minoritaires en Europe (autour d’1 %). Koopmans en déduit que l’intégrisme religieux est une attitude conditionnant toute autre intolérance (homophobie, xénophobie, misogynie), ce qui sera sujet d’une étude ultérieure.
Un rayon de lumière à l’horizon : parmi les Turcs, il y a un groupe qui fait exception : les Alévites, un courant particulier et moderniste du chiisme qui n’accepte traditionnellement ni la charia ni la plupart des rituels musulmans, assez sécularisé, largement persécuté en Turquie. Les Alévites font preuve d’une largeur d’esprit nettement plus grande que leurs compatriotes sunnites, sans pour autant être issus des classes supérieures. Partout où une ouverture d’esprit "laïque" avait lieu ou s’ébauche, les musulmans deviennent plus tolérants : les Etats de l’Asie centrale, pourtant des dictatures, seraient plus tolérants en matière religieuse, les individus musulmans des Balkans sont plus tolérants que leur coreligionnaires turcs ou arabes et surtout pakistanais. Même l’enquête controversée de l’Institut Montaigne sur les musulmans de France montre cette tendance : par rapport aux musulmans dans les pays islamiques, où 75% en moyenne défendent des positions intégristes, les 35%, toujours choquants, qui sympathisent avec l’intégrisme en France paraissent peu, et les 65% libéraux, séculaires ou indifférents, sont liés en grande partie à la sécularité du pays d’accueil, si ce n’est pas leur sécularisme qui les pousse à émigrer.
Quand on met en rapport les résultats de Fox, Koopmans et du Pew, on a la preuve que le phénomène de l’intégrisme est importé : plus un pays pratique une politique chariatique, plus ses ressortissants sont réactionnaires et continuent à pratiquer un islam chariatique (Pakistan et balkans aux pôles opposés du spectre).
La conclusion est qu’il faut continuer à défendre la laïcité et mener une politique d’intégration encore plus exigeante.
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Quel niveau d’intolérance en France ? (note du CLR).
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