Revue de presse

"Iridologie, magnétothérapie... La naturopathie, dérives d’une pseudoscience" (L’Express, 20 oct. 22)

23 octobre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Les professionnels de cette pseudo-médecine sont de plus en plus nombreux. Trop selon certains qui pointent des conseils mal avisés et des excès. Une réglementation s’impose.

Par Sébastien Julian et Valentin Ehkirch

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En ce début de mois d’octobre, le recrutement des futurs naturopathes bat son plein. Installée devant son écran, Melody Molins, directrice et fondatrice de l’Institut Hildegardien, anime un séminaire Web destiné à ses futurs élèves. Pendant trente minutes, elle vante les mérites de son école, la seule en France à maîtriser les préceptes d’Hildegarde de Bingen, une abbesse allemande du XIIe siècle élevée au rang de docteur de l’Église en 2012 par le pape Benoît XVI.

"Aujourd’hui, les gens s’intéressent de plus en plus aux produits et à la méthode hildegarde. Elle donne d’ailleurs de très bons résultats sur les problématiques digestives, cardiaques, la gestion du stress ou encore les soucis articulaires. En suivant nos formations, vous pourrez vous démarquer des autres professionnels en exercice et vous installer en cabinet en quelques mois", assure la directrice.

Chez les futurs étudiants, le discours bien rodé fait mouche, malgré le coût élevé de la formation (jusqu’à 14 000 euros pour la formule en un ou deux ans comportant 1600 heures de cours). Car la naturopathie est devenue en quelques années, un secteur très concurrentiel. La seule Fédération française des écoles de naturopathie (Fena), qui regroupe huit écoles, reconnaît au dernier décompte 6 000 naturopathes agréés. Et leur nombre aurait progressé de 20 à 25% par an au cours des dix dernières années. "Il y en a beaucoup trop, estime une professionnelle établie de longue date. Beaucoup de gens veulent se lancer, mais ensuite, nombre d’entre eux galèrent. Et comme le secteur n’est pas réglementé, il y a des dérives". Selon cette praticienne, de nombreuses écoles "peu scrupuleuses" proposent désormais des formations rapides mais peu sérieuses et "rien n’empêche non plus certains naturopathes d’exercer leur métier de façon complètement personnelle en prodiguant, par exemple, uniquement des conseils vegan, par idéologie".

Sohan Tricoire connaît bien le problème. Cette ancienne naturopathe a exercé pendant cinq ans - sans pouvoir se passer du RSA - avant de mettre un terme à son activité et dénoncer les pratiques douteuses dont elle a été témoin. "Les gens connaissent surtout Thierry Casasnovas ou Irène Grosjean dont les méthodes ont été largement dénoncées, mais derrière ces figures de proue, il existe plein de naturopathes plus discrets, qui posent aussi problème. Adeptes de la médecine dite intégrative, ils mettent en avant leur rôle de complément à la médecine classique. Mais il ne faut pas se leurrer, leur vision de la santé reste très similaire à celle des naturopathes les plus décriés".

Et ce n’est pas un hasard. Même au sein des programmes des écoles de formation les plus reconnues, les éléments non-scientifiques voire ésotériques foisonnent. Le Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (Cenatho), pourtant agréé par la Fena, intègre ainsi dans son programme des cours sur l’énergétique chinoise ou l’aromathérapie, des disciplines relevant des pseudo-médecines. Dans d’autres établissements ayant pignon sur rue, les futurs praticiens peuvent se former à la gemmothérapie, une pratique à visée thérapeutique qui repose sur l’utilisation de bourgeons, mais qui n’a jamais fait ses preuves, ou encore la magnétothérapie, qui assure pouvoir soigner à l’aide d’aimants...

"Certains enseignements m’ont particulièrement frappé, à commencer par l’iridologie", témoigne Sohan Tricoire. Cette pratique, qui trouve racine dans l’observation d’un hibou blessé par un jeune garçon il y a plus d’un siècle, prétend déduire des prédispositions en termes de santé dans la partie colorée des yeux d’une personne. "Cela s’apparente à du charlatanisme. C’est un peu comme lire les lignes de la main. Le pire, c’est que cette discipline fait partie du programme de toutes les écoles reconnues par la Fena", s’emporte Mathieu Repiquet, membre du collectif de lutte contre les fausses médecines NoFakeMed. Certains naturopathes font même des diagnostics à partir de cette méthode. Non seulement celui-ci ne peut être bon, mais en plus c’est illégal puisque le principe du diagnostic est réservé aux médecins", précise le scientifique.

Sur le terrain, les naturopathes préfèrent parler de "bilans de vitalité". "Ils jouent sur les mots. Mais à ma connaissance, aucune condamnation n’a jamais été prononcée pour ce motif. Sans doute par manque de contrôle", déplore Mathieu Repiquet. Encore marquée par son expérience d’élève naturopathe, Sohan Tricoire se souvient d’enseignements en "morphopsychologie", une discipline "qui prétend pouvoir déterminer des traits de personnalité et où les prédispositions en matière de santé à partir de l’observation des traits d’un visage". Et d’autres théories plus fumeuses encore associant la forme des légumes à l’effet qu’ils peuvent avoir sur le corps : "La noix par exemple ressemble à de la matière grise. Elle serait donc bénéfique pour le cerveau !"

Amalgame de méthodes plus ou moins scientifiques

En dépit de ses fondations très contestables, la naturopathie fait pourtant le bonheur de nombreux clients. Sur Internet, les témoignages de personnes débarrassées de leurs maux de ventre, d’affections chroniques, voire de maladies plus graves, abondent. "On m’avait diagnostiqué une maladie auto-immune et on m’avait prescrit un traitement à vie, en parallèle je suis allé voir un naturopathe et en suivant ses conseils, d’hygiène de vie, d’alimentation... six mois plus tard la maladie avait disparue", s’étonne encore Sylvie*, une ancienne naturopathe. Comme elle, de nombreuses personnes se lancent dans le métier après une guérison ou une amélioration de leur état de santé.

"Certaines personnes voient vraiment leur situation s’améliorer par le suivi d’un naturopathe, confirme Sohan Tricoire, mais cette amélioration peut être mise sur le compte d’une meilleure hygiène de vie, de conseils diététiques ou d’un effet placebo". Quoi qu’en disent les naturopathes aux discours bien souvent simplistes. "Sur les plantes par exemple, certaines études montrent des effets précis de tels composés sur tels types de personnes avec tels symptômes, mais dans la bouche de certains défenseurs des traitements alternatifs, ce discours se transforme vite en prescription générale. Or on ne peut pas tout guérir avec des plantes", résume Mathieu Repiquet. Pour les spécialistes de ces médecines parallèles, c’est bien cet amalgame dans l’utilisation de méthodes plus ou moins robustes sur le plan scientifique qui participe à rendre la naturopathie si floue dans sa définition et ses risques. "Bien sûr, la phytothérapie peut être efficace, mais on ne peut pas en déduire que tout ce qui est naturel est forcément bon pour la santé", confirme le docteur en pharmacie et spécialiste des substances naturelles, Xavier Cachet.

Finalement, le risque est bien de voir ces praticiens fournir des conseils, ou des orientations, mal avisées. Car ces professionnels ne sont pas toujours aptes à repérer certaines contre-indications, ou à faire correctement le travail de prévention qui relève du médecin.

Des alertes de l’Anses

Lors de notre enquête, un naturopathe nous a par exemple recommandé d’appliquer une crème à la lavande - un remède issu des fameuses recettes d’Hildegarde de Bingen - après des séances de radiothérapie destinées à traiter un cancer du sein, contredisant ainsi l’avis des médecins selon lesquels l’application de tout produit - surtout gras - risquait d’accroître les brûlures.

Nos recherches nous ont également menés sur le site web d’Herbolistique, un laboratoire de produits naturels travaillant avec de nombreux naturopathes. Nous y avons trouvé des flacons de coque de noix verte destinée à lutter contre les vers intestinaux, à appliquer trois jours avant et après la pleine lune ou encore des compléments censés contrôler le sucre ou prévenir le diabète. "L’utilisation de ces produits ne repose en aucun cas sur la science. Il n’existe pas de publication valable évaluant d’une part l’efficacité sur telle ou telle maladie et d’autre part pas d’étude sur l’absence de toxicité. Pourquoi ? Parce que ces produits ne sont pas des médicaments. Ils n’ont donc pas besoin d’autorisation de mise sur le marché", s’émeut un médecin endocrinologue auquel nous avons soumis quelques références tirées du site Internet. Régulièrement l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation (Anses) émet des alertes à la suite d’effets indésirables survenus après l’utilisation d’huiles essentielles ou de compléments alimentaires. En juin, l’agence prévenait des cas d’hépatite après la consommation de compléments alimentaires contenant du Curcuma.

Mais cela ne freine en rien l’engouement pour la naturopathie. Ce qui contraint parfois les médecins à s’adapter. "Il y a tellement de personnes qui consomment ce type de produits qu’on ne peut plus se permettre de balayer le phénomène d’un ton dédaigneux, la relation médecin-malade en prendrait un coup. Désormais il est fortement recommandé de pratiquer la ’décision médicale partagée’ qui consiste à écouter le patient, vérifier qu’il n’y a pas de substance dangereuse dans son complément, et lui demander si cela lui fait du bien.. Si c’est le cas, je lui dis de poursuivre", souligne un professionnel de santé.

Réguler la formation

Pour montrer qu’elles sont conscientes des dérives possibles, les principales écoles de naturopathes ont rédigé des chartes dans lesquelles elles s’engagent à ne pas nuire aux clients. Mais pour Mathieu Repiquet, cela ne suffit pas. L’absence de contrôle, les liens étroits entre certains naturopathes et des laboratoires fournissant des compléments alimentaires, la promotion de ces pratiques sur la plateforme de rendez-vous Doctolib, ou encore les discours de façade de certains établissements qui prônent le sérieux alors que leurs cadres versent parfois dans l’ésotérisme plaident pour une réglementation. "Les associations de naturopathes comme l’OMNES reconnaissent plusieurs difficultés et des abus. Ils en souffrent aussi. Ils n’ont aucune difficulté à faire leur autocritique", assure Arthur Thirion, directeur général de Doctolib France, qui vient de mener avec ses équipes une large consultation destinée à identifier les problèmes.

"Notre métier manque encore d’organisation, reconnaît Charlotte Jacquet, une naturopathe en vogue, qui anime régulièrement des colloques sur ce sujet. Aujourd’hui se pose la question de la régulation de notre activité mais aussi de la formation". Un appel entendu par la Fena qui assure travailler sur de futurs programmes. La fédération reconnaît que les pratiques issues de croyances ne peuvent cohabiter avec la naturopathie, mais ne rejette pas pour autant l’iridologie. Pas sûr que cela suffise à désamorcer la polémique."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier L’Express : "La face cachée du bien-être" (20 oct. 22) dans Santé dans Sectes (note du CLR).


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