"Intenses négociations entre Paris et Moscou sur l’église orthodoxe quai Branly" (Le Monde, 24 nov. 12)

27 novembre 2012

"La Direction des affaires du président russe et le ministère des affaires étrangères français ont publié un communiqué commun, mercredi 21 novembre, à propos du projet de cathédrale orthodoxe à Paris, quai Branly, en bord de Seine. Dans ce texte, Moscou accepte "la suspension provisoire de la demande de permis de construire", qui devait être traitée avant le 29 novembre par la préfecture d’Ile-de-France. Cela afin "d’aboutir le plus rapidement possible à un projet plus conforme aux attentes et exigences spécifiques liées à ce projet."

Derrrière ces formules négociées âprement par les deux parties se cache une nervosité croissante sur ce dossier où, depuis cinq ans, se mêlent politique, religion et architecture. Une réunion de crise à l’Elysée, organisée le 16 novembre entre représentants de l’ambassade russe, des ministères de la culture et des affaires étrangères, a été nécessaire pour trouver un compromis. Officiellement, le report n’est qu’une affaire d’ajustements techniques, pour éviter tout risque de contentieux juridique, en cas de plainte éventuelle d’une association de riverains. Mais au ministère de la culture, le ton est plus guerrier. "Ce projet est absolument affreux, lâche un conseiller. Ce ne sera donc pas celui-là. Les Russes doivent revoir leur copie."

L’affaire prend sa source en 2007. Le patriarche russe Alexis II rencontre Nicolas Sarkozy à Paris. Le religieux exprime alors son souhait de voir ériger un centre culturel et religieux orthodoxe, au coeur de la capitale. L’église et l’Etat russes voient là un moyen de promouvoir le rayonnement de l’orthodoxie en Europe occidentale, une politique engagée par Moscou depuis une dizaine d’années. Le président français donne son accord. En 2010, la Russie emporte l’appel d’offres ouvert pour la vente du vaste terrain, où se trouve le siège de Météo France, à deux pas de la Tour Eiffel.

[...] L’équipe de l’architecte espagnol Manuel Nuñez Yanowsky, associée à un bureau russe (Arch Group), emporte la mise, devant son célèbre confrère Jean-Michel Wilmotte, très actif en Russie, et Frédéric Borel. Le projet gagnant propose un édifice à cinq coupoles dorées, dont la plus haute s’élève à 27 mètres, avec un long voile en verre, cerné d’acier. Un centre culturel et un jardin sont aussi prévus. Le groupe Bouygues est choisi pour réaliser les travaux, dont la durée est estimée à deux ans. En, janvier 2012, une demande de permis de construire est déposée auprès de la préfecture.

Dès le mois de février, Bertrand Delanoë, le maire de Paris, qui ne dispose que d’un avis consultatif - le terrain n’appartenant pas à la ville - exprime son opposition. Il fustige "une architecture de pastiche et médiocre", "une ostentation tout à fait inadaptée au site des berges de la Seine, classé au patrimoine mondial de l’Unesco". [...] Au ministère de la culture, l’analyse est plus politique. "Il y a eu un deal entre Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine, assure-t-on. Avant l’élection présidentielle, l’Elysée a exercé des pressions énormes sur les Architectes des bâtiments de France pour qu’ils n’expriment pas de réserves."

Le retour de la gauche au pouvoir provoque une révision du dossier. "La parole de la France a été engagée et elle doit être respectée", rappelle toutefois Romain Nadal, porte-parole diplomatique de l’Elysée. François Hollande le confirme à M. Poutine lors de leur premier entretien, le 1er juin. Mais la réalisation technique, elle, peut être amendée. Point clé des négociations : le fameux voile couvrant la cathédrale. Horizontal, il cacherait la vue de la Tour Eiffel. La partie russe a donc accepté un retour à la version d’origine : un voile descendant le long de la façade. [...]

Ce contretemps risque en tout cas d’alourdir le coût de ce projet pharaonique. L’achat du terrain a coûté 70 millions d’euros à la Fédération de Russie. La construction de l’édifice devrait, au final, s’élever entre 30 et 50 millions.

Mais, soucieux de conforter le renouveau de la spiritualité orthodoxe, l’Eglise et l’Etat russes semblent déterminés et multiplient les initiatives. Il y a un an, la Fédération de Russie a ainsi obtenu par voie judiciaire le retour de l’église russe de Nice - revendiquée comme une propriété de l’Etat -, dans le giron du patriarcat de Moscou. Une même démarche a été tentée, en vain, pour récupérer la cathédrale russe de Biarritz, autre lieu de culte historique de la diaspora du XXe siècle. Enfin, un séminaire russe, le plus grand d’Europe occidentale, a ouvert en 2009 à Epinay-sous-Sénart (Essonne), afin de former un clergé francophone, mieux adapté à la petite communauté orthodoxe française, évaluée à plusieurs dizaines de milliers de personnes.

A Paris, les fidèles disposent déjà de plusieurs lieux de culte. Mais la plus célèbre, la cathédrale Saint-Alexandre Nevski de la rue Daru, qui vient de fêter ses 150 ans, est placée sous l’autorité spirituelle du patriarcat de Constantinople, concurrent historique de celui de Moscou. En outre, elle a longtemps incarné une orthodoxie "à la française", ancrée dans la laïcité, évitant d’être perçue comme le prolongement identitaire et nationaliste de la diaspora russe."

Lire "Intenses négociations entre Paris et Moscou sur l’église orthodoxe quai Branly".


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales