Comité Laïcité République - La laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une

Lire "Intelligence artificielle contre intelligence humaine".

Samedi dernier, au Vatican, le pape François a dénoncé les violences faites aux journalistes et le nombre élevé d’entre eux assassinés dans le monde. « La liberté des journalistes accroît notre liberté à tous. Leur liberté est la liberté de chacun d’entre nous », a-t-il déclaré, la main sur le cœur. Rappelons qu’au lendemain de l’attentat du 7 janvier 2015 ce même pape avait sermonné ­Charlie Hebdo, coupable à ses yeux d’avoir publié les caricatures de Mahomet, dans ces termes : « Il est vrai qu’il ne faut pas réagir violemment mais si M. Gasbarri parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. » Une conception de la liberté des journalistes à géométrie variable selon qu’ils disent du bien ou du mal de Dieu.

Il a aussi remercié les journalistes qui risquent leur vie « pour rechercher la vérité et dénoncer les horreurs de la guerre ». Il est étonnant d’entendre un pape saluer les efforts des journalistes pour rechercher la vérité. Car s’il fallait faire subir à la Bible un examen journalistique pour savoir ce qui est vrai et ce qui est faux, une sorte de fact-checking des Écritures, il n’y aurait pas grand-chose à garder. L’Ancien et le Nouveau Testament, auxquels on peut allègrement ajouter le sympathique Coran, sont un catalogue de faits non vérifiés dont on peut penser qu’ils sont faux à 95 %. Jésus marchant sur les eaux ou ressuscitant Lazare, Moïse ouvrant la mer Rouge et, plus tard, Bernadette Soubirous voyant apparaître la Vierge, autant d’informations totalement fantaisistes qu’aucun journal sérieux ne publierait aujourd’hui, faute de preuves solides. D’ailleurs, cela fait des années qu’on n’a pas signalé le moindre miracle, que ce soit dans la chrétienté ou dans le monde musulman. À part quelques guérisons inexpliquées comme il y en a des centaines dans tous les hôpitaux du monde, immédiatement qualifiées de « miraculeuses », Dieu n’a pas accompli de miracle aussi fabuleux que ceux rapportés dans les textes sacrés depuis un bon bout de temps. Une baisse de régime probablement, ou, peut-être, pour les autorités religieuses, la crainte du ridicule.

Malgré ces réserves, les remarques du pape posent une question essentielle : où est la vérité ? On pourrait ajouter : qui dit la vérité ? Le déferlement d’informations rend la réponse de plus en plus compliquée. Entre les fake news, les campagnes d’intoxication lancées par des pays comme la Russie, les complotistes, les religions qui n’acceptent pas qu’on critique leurs dogmes, sous peine d’être accusé de blasphème, jamais la vérité n’a été aussi difficile à saisir.

L’arrivée de l’intelligence artificielle décuple ce problème en nous inondant d’informations passées à la moulinette des algorithmes, sans aucune vérification humaine. Comme, par exemple, l’intelligence artificielle de Google qui, il y a quelques jours, conseillait à des parents d’offrir un vibromasseur à leur enfant. Quand la machine se met au service de la machine, l’humanité passe aussitôt au second plan.

Cette tendance n’est pas marginale, c’est le fruit d’une politique décidée par une poignée d’illuminés au pouvoir économique illimité. Elon Musk a clairement souhaité voir disparaître les médias traditionnels : « Je ne lis presque plus les actualités des médias traditionnels. Quel est l’intérêt de lire 1 000 mots sur quelque chose qui a déjà été posté sur X il y a plusieurs jours 1 ? »

Trump annonce qu’il va injecter 500 milliards de dollars pour développer l’intelligence artificielle, ce qui créera, selon lui, 100 000 emplois. Imagine-t-on un programme d’aide à la presse traditionnelle de 500 milliards de dollars ? C’est l’intelligence artificielle, des machines, qui est soutenue, pas celle, humaine, des journalistes.

« La vérité est ailleurs » était le slogan de la série farfelue et complo­tiste X-Files. Qu’elle soit ici ou ailleurs, la vérité n’a jamais été aussi compliquée à trouver et surtout à diffuser. Parce que, vérifiée ou non, l’information est devenue un marché gigantesque qui se vend comme des bagnoles ou des machines à laver. La vérité n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est de donner au consommateur l’illusion d’être informé. Freud avait consacré un livre à la religion, qu’il avait titré L’Avenir d’une illusion. Aujourd’hui, les pourvoyeurs d’illusions sont Musk avec son IA, le pape François avec ses Évangiles ou Trump avec ses vérités alternatives. Tous ont en commun la même volonté de tordre notre regard sur la réalité pour modifier notre manière de raisonner, nous convertir à leurs idéologies et nous faire renoncer à toute tentative de rébellion contre leur pouvoir.

1. Sur son compte X, le 3 octobre 2023.