Extraits de "La Gauche et la préférence immigrée" d’Hervé Algalarrondo (Plon, 2011). 5 octobre 2011
"La "gauche bobo" tempête, fulmine, excommunie. But affiché : que la France s’ouvre toujours plus à de nouveaux travailleurs étrangers, que tous les sans-papiers soient régularisés sans conditions, ce qui entraînerait l’arrivée de nouveaux clandestins... C’est-à-dire que la "gauche bobo" milite avec une bonne conscience qui frise l’inconscience pour renforcer les contingents d’immigrés condamnés à pointer à Pôle emploi. Pis : les employeurs préfèrent souvent les nouveaux arrivants, avides de trouver le plus vite possible un boulot, aux immigrés plus anciens qui ont fait quelques études et n’ont pas forcément envie de "gagner trois pépettes" pour un job merdique. Un ami nous confiait récemment que, dans la supérette de son quartier parisien, le gérant choisissait de recruter des jeunes qui débarquaient d’Afrique du Nord plutôt que les Beurs du coin, moins enclins à accepter n’importe quels horaires, n’importe quelles conditions de travail. Vouloir toujours plus de nouveaux immigrés, c’est condamner les immigrés plus anciens, et les jeunes issus de l’immigration, à un taux de chômage encore plus important.
C’est l’un des grands paradoxes de ce dossier : les tenants objectifs de la "préférence immigrée" sont objectivement de très mauvais défenseurs de la cause immigrée. Ils ne se mobilisent que sur les entrées et les sorties du territoire français, se désintéressant à peu près complètement du devenir des étrangers, des immigrés et de leurs enfants, une fois qu’ils sont installés dans l’Hexagone : ils sont là, qu’ils se démerdent... Les associations de défense des droits de l’homme ne redonnent de la voix qu’en cas de menaces d’expulsion et ne se focalisent pratiquement plus que sur la régularisation des sans-papiers.
[...] Aux Etats-Unis, les Noirs ont un taux de chômage supérieur aux Blancs, à peu près le double. Mais le taux de chômage des Noirs américains est très inférieur, environ de moitié, à celui des Blacks français. Pourquoi la gauche ne se mobilise-t-elle pas pour résoudre la principale cause de mal-être des jeunes immigrés, ou issus de l’immigration : leur exclusion du monde du travail ? La "droits-de-l’hommisation" de l’immigration, déjà relevée, avec la rupture du lien, après Mai 68, entre flux migratoires et niveau du chômage, y est pour beaucoup.
[...] Il y a de vraies réussites dans ce qu’il est convenu d’appeler "les quartiers". Mais tant de "jeunes", autre appellation consacrée pour qualifier les jeunes issus de l’immigration, se heurtent à un plafond de verre. Discrimination ? Racisme ? C’est le leitmotiv des bonnes consciences. Là encore, c’est ignorer les lois de l’économie : quand un employeur a le choix pour une place entre une pléiade de postulants, il commence par éliminer ceux qui sont le moins dans la norme. C’est la rareté du travail aujourd’hui en France qui entraîne les discriminations vis-à-vis des Blacks et des Beurs, pas le racisme diffus des employeurs : rappelons encore une fois que leur organisation, le Medef, demande que la France reste un pays "ouvert", le but étant, comme dans le cas de la supérette parisienne évoquée plus haut, d’avoir à disposition des travailleurs plus accommodants. Pour reprendre une vieille distinction marxiste, les partisans de la régularisation de tous les sans-papiers défendent une liberté "formelle", la liberté de s’installer en France, sans se soucier de sa conversion en liberté "réelle", faire en sorte que les arrivants puissent vivre dignement.
[...] Cette générosité "formelle" masque un égoïsme très "réel". En matière d’immigration, la "gauche d’en haut" fait preuve d’une formidable générosité sur le dos de la "France d’en bas". Où vont s’installer les nouveaux arrivants si ce n’est dans "les quartiers" ? Quels emplois sont-ils en mesure de briguer si ce n’est pas, la plupart du temps, les emplois peu qualifiés ? Quand on habite un quartier résidentiel, il y a peu de chances de voir son environnement modifié en cas d’arrivée inopinée d’immigrés.
[...] Il y a pis. Ceux qui militent dans des associations de défense des droits de l’homme exercent souvent des métiers - fonctionnaires, médecins, avocats - qui sont loin d’être complètement "ouverts". Ils sont protégés de la concurrence étrangère. Dans la fonction publique, on est au-delà de là "préférence nationale" : il s’agit d’un monopole national. Il faut être français pour être fonctionnaire, les profs de maths recrutés au Liban ou ailleurs sont de simples vacataires. De la même façon, les médecins étrangers qui permettent à nos hôpitaux de sauvegarder leur réputation ont un statut, et des honoraires, très inférieurs à ceux de leurs collègues français. S’inscrire au barreau quand on est un avocat étranger est soumis à de multiples restrictions. Et si les donneurs de leçons commençaient par donner l’exemple ? A chaque "ouverture" du territoire national, aussi bien aux produits à prix cassés qu’à une main-d’oeuvre bon marché, les ouvriers et les employés sont en première ligne. Et si les bobos, qui poussent l’inconscience jusqu’à ne pas percevoir à quel point ils sont souvent eux-mêmes à l’abri des désagréments
de la mondialisation, commençaient par proposer l’ "ouverture", "réelle", de leur profession ?
Pour la gauche d’en haut, sociale, intellectuelle ou partisane, régulariser devrait être la norme : le PS a procédé à de substantielles régularisations à chacun de ses passages au pouvoir.
Quiconque s’interroge sur leur pertinence est accusé d’être victime de la "lepénisation des esprits". Pourtant, la régulation des flux migratoires est une prérogative ancestrale des Etats. Chaque pays, chaque communauté nationale se voit depuis toujours accorder le droit de fixer des conditions au séjour des étrangers sur son territoire et, en conséquence, le droit d’expulser ou de refouler ceux qui ne satisfont pas aux critères. La gauche a gagné une grande bataille lexicale en imposant dans les médias l’appellation "sans-papiers".
Façon, bien sûr, d’inscrire cette catégorie d’étrangers dans la lignée des "sans-culottes" et, d’une manière générale, des "sans" privés de tout, même de l’essentiel. Ces "sans-papiers", n’en sont pas moins présents illégalement sur le territoire français. Donc, en contravention avec la loi. C’est à cette aune qu’il faut juger le mot d’ordre de la "gauche bobo" : il revient à demander que
toute une catégorie de personnes soit dispensée de respecter la loi.
[...] A notre connaissance, il n’existe pas d’autre mot d’ordre réclamant que toute une catégorie de fraudeurs - les "sans-papiers" sont par définition entrés en fraude en France - soit non seulement dispensée de poursuites mais récompensée d’avoir contourné la loi. Imagine-t-on qu’un parti politique ou une organisation demande que tous les contribuables qui estampent le fisc voient leurs déclarations d’impôt avalisées par l’administration des finances ? Dès lors, pourquoi les dossiers des "sans-papier" devraient-ils systématiquement être rouverts ?"
"La Gauche et la préférence immigrée" d’Hervé Algalarrondo (Plon, 2011).
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