Iannis Roder, professeur agrégé d’histoire en réseau d’éducation prioritaire (REP), membre du Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale. 24 janvier 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Education. Le professeur d’histoire rappelle l’obligation qu’ont les établissements privés sous contrat de respecter les valeurs républicaines.
Par Amandine Hirou
Lire Iannis Roder : "Entre Stanislas et Averroès, gare au deux poids deux mesures"é.
[...] Ce mercredi 24 janvier, le tribunal administratif de Lille se penchera sur le cas du lycée musulman Averroès. Le 7 décembre dernier, le préfet du Nord, Georges-François Leclerc, décidait de mettre fin au contrat liant le lycée à l’Etat, cessant ainsi le subventionnement public à partir de la rentrée 2024, pour cause de "manquements graves". Le professeur d’histoire-géographie Iannis Roder, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, insiste sur "l’importance de l’équité" dans le traitement de ces deux affaires. Au risque, sinon, d’accréditer la thèse de l’existence d’une "culture de l’entre-soi" et de "protection des élites".
L’Express : En quoi ce que dénoncent les rapports respectifs rendus sur ces deux établissements vous semble-t-il problématique ?
Iannis Roder : Dans le cas d’Averroès, les problèmes semblent essentiellement liés à un financement considéré comme opaque du lycée mais aussi à des enseignements qui seraient non conformes à ce qu’on attend d’un établissement sous contrat avec la République. De son côté, la mise en cause de Stanislas découlerait notamment de propos homophobes et sexistes tenus par des intervenants réguliers. Si tous ces faits sont avérés, on peut effectivement parler de fautes. D’ailleurs, dans le cas de Stanislas, on peut penser que la faute a été reconnue car l’établissement ne fait plus appel à ces intervenants. La contractualisation avec l’Etat implique le respect des programmes scolaires mais aussi de l’article 131-1 du Code de l’éducation. Or ce point de droit dispose bien qu’au-delà des connaissances, ces institutions se doivent de faire partager les valeurs de la République.
Vous tenez à alerter sur l’importance de réserver le même traitement à l’un et l’autre de ces deux lycées. En quoi est-ce crucial ?
En effet, si les manquements observés sont bien de même nature, nul ne pourrait concevoir en République qu’ils ne soient pas pareillement sanctionnés. Et si différence de sanctions il y a, il convient de les motiver clairement au risque d’accréditer le "deux poids, deux mesures" que certains ne manqueraient pas de souligner. Il ne faut pas laisser croire, parce que ce n’est pas le cas, que la République traiterait de manière différenciée les citoyens en fonction de leur religion. D’autre part, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer une certaine culture de l’entre-soi et de la protection des élites. La République c’est bien sûr l’égalité, mais c’est aussi l’équité. Il ne faut ni prêter le flanc à l’idée que les élites se protègeraient, ni encourager les discours de victimisation sur lequel surfent les militants, notamment islamistes, dans certains territoires et sur les réseaux sociaux.
Le point commun de ces deux affaires est le poids de la religion qui influerait sur les enseignements. Où commence et où s’arrête la liberté des établissements privés sous contrat en la matière ?
Oui, c’est un sujet sur lequel il nous faut rester très vigilants car nous savons à quel point certaines acceptions radicales de dogmes religieux peuvent contrevenir aux valeurs et aux principes républicains. L’égalité femme-homme n’est pas négociable, tout comme le respect dû à chacun quelle que soit son orientation sexuelle par exemple. Rappelons d’ailleurs que la République s’est en partie construite contre l’influence de ces dogmes. Les établissements scolaires privés sous contrat n’ont pas pour mission de construire une contre-société et de mettre à mal les valeurs de la République.
Le lycée Stanislas est également accusé de contourner les règles de Parcoursup en favorisant l’accès de ses lycéens à ses classes préparatoires. Est-ce un coup de canif dans le contrat passé avec l’Etat ?
A mon sens – si, là encore, les faits sont avérés - il s’agit d’une faute grave qui mériterait d’être sanctionnée. Nous aurions là clairement affaire à une rupture d’égalité. En plus d’avoir la liberté de sélectionner ses élèves dans le primaire et le secondaire, le groupe Stanislas empêcherait d’autres jeunes d’accéder à ses classes préparatoires qui, comme on le sait, obtiennent d’excellents résultats aux concours d’entrée aux grandes écoles. Tout cela viendrait à nouveau corroborer et alimenter les accusations d’entre-soi. Rappelons que Stanislas bénéficie de financements publics conséquents et qu’il s’agit de l’argent de contribuables qui ne sont pas nécessairement catholiques et qui ne scolarisent pas forcément leurs enfants dans le privé. Or, nos concitoyens sont de plus en plus attentifs à ce qui est vu comme des privilèges qu’une élite se réserverait et à ce qui risquerait d’apparaître comme une forme de malhonnêteté dans ces procédés.
Les contrôles de ces établissements sous contrat sont-ils suffisants ?
Le temps manque aux inspecteurs et à l’institution en général pour assurer un contrôle régulier de toutes les écoles, collèges et lycées en question. D’ordinaire, les inspections d’établissements sous contrat se déclenchent quand il y a un signalement ou lorsqu’un dysfonctionnement est plus ou moins avéré. Toutefois, je dirais que les établissements privés sous contrat semblent, dans leur grande majorité, remplir le cahier des charges. Ce qui n’exclut pas les potentiels dérapages comme dans le cas, selon des rapports de l’Inspection générale de l’Education nationale ou de la Chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, des lycées Stanislas et Averroès."
Lire aussi dans la Revue de presse les dossiers Collège Stanislas (Paris) et Lycée Averroès (Lille) dans Ecole privée dans la rubrique Ecole, le dossier Amélie Oudéa-Castéra (note de la rédaction CLR).
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