Revue de presse

"Homophobie, radicalisation, racisme : le livre choc qui dénonce les travers du sport" (leparisien.fr , 24 sept. 20)

24 septembre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Magali Lacroze et Patrick Karam, Le Livre noir du sport, éd. Plon, 480 p., 22 e.

"« Le livre noir du sport », de Patrick Karam et Magali Lacroze, raconte comment les maux de la société s’implantent dans la pratique sportive. Nous dévoilons en exclusivité plusieurs témoignages.

Par Romain Baheux avec Q.F.

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Il y a Camille, 10 ans, interdite de combattre contre des garçons à la lutte pour des motifs religieux. Omar Tabich, arbitre qui entend un spectateur le qualifier de « sale Arabe » lors d’un match où il officie. Ou encore Marc (NDLR : le prénom a été modifié), violé dans les vestiaires de son club de rugby parce qu’homosexuel. Publié ce jeudi, « Le livre noir du sport » (Plon), écrit par le vice-président chargé des Sports de la région Ile-de-France (Libres !) Patrick Karam et la journaliste Magali Lacroze, raconte leur histoire et dresse un état des lieux des travers qui rongent le sport en France.

L’ouvrage sort alors qu’une partie de ces sujets ont été évoqués dans l’actualité ces derniers mois. Les violences sexuelles, revenues au premier plan avec le témoignage de l’ancienne patineuse Sarah Abitbol en début d’année et dans le viseur du ministère des Sports. Le racisme, « peu ou pas présent » dans le football selon le président de la Fédération française, Noël Le Graët. Autant de points balayés par le livre, dont Le Parisien publie en exclusivité plusieurs témoignages.

LES VIOLENCES SEXUELLES

-* Laëtitia Pachoud : « Le hall des urgences »

Le président s’approche d’elle. Laëtitia (NDLR : Pachoud, vice-présidente de la Fédération française de rugby) nous raconte la scène.

« C’est chaque fois pareil, vous savez : quand on arrive dans les clubs avec cette casquette-là, on n’est pas vraiment les bienvenus… Ça, non, ils ne nous attendent pas avec le sourire et la raclette ! » Nerveux. Mal à l’aise. Fermés, constate Laëtitia. Encore mortifiés par ce qu’ils viennent d’apprendre. La plainte d’une jeune fille de 15 ans, déposée contre l’entraîneur phare. Une plainte pour viol.

« Pas lui ! Ça ne peut pas être lui ! On le connaît depuis toujours ! »

Quelques jours plus tôt, l’entraîneur avait organisé une soirée privée chez lui avec les jeunes joueurs de son équipe de rugby. « Ce soir chez moi, les gars, traînez pas sous la douche ! » Explosion de joie dans le vestiaire. Comme sur le terrain cet après-midi-là, quand ils avaient arraché la victoire à l’autre équipe.

Ainsi démarra la « troisième mi-temps », qui sonne la fin des combats. La camaraderie, la détente. L’alcool aussi. Souvent, beaucoup d’alcool. Un moment de fête, une récompense, après la lutte acharnée sur le terrain. Ce soir-là, l’un des joueurs se rend chez l’entraîneur avec sa petite amie. L’adolescente connaît bien la troupe, elle vient souvent chercher son amoureux après les entraînements, assiste aux matchs le week-end.

Elle ne fait pas partie du club, mais y est intégrée. Les deux amoureux s’apprêtent à passer une soirée « en famille » avec les potes du rugby. « Découle de cette soirée une plainte pour viol qui sera jugée en correctionnelle un an et demi après les faits », résume Laëtitia Pachoud. […]

Dans le bureau du président du club, donc : « Ecoutez-moi bien, messieurs. Je viens pour vous aider, pas pour vous enfoncer. » Silence. Devant Laëtitia Pachoud, les yeux noirs du président du club et de l’entraîneur mis en accusation par la jeune fille. « Et la mise à l’écart, c’est quoi si ce n’est pas une accusation ?

— C’est une mesure de protection. Lorsqu’on signale une agression sexuelle dans l’un de nos clubs, la règle est la mise à l’écart de l’accusé, point à la ligne. Je suis là pour vous accompagner.

— C’est n’importe quoi, cette histoire, Laëtitia, ça fait vingt-cinq ans qu’on le connaît ! »

« En général, le premier quart d’heure est difficile. Ils sont très fermés. Je leur dis que s’ils veulent être aidés, il faut qu’ils raisonnent, qu’ils se libèrent de toute notion d’affect vis-à-vis de l’entraîneur. S’ils y arrivent, c’est gagné, parce qu’ils ne veulent pas laisser un prédateur dans le club », analyse-t-elle. « En revanche, je vous préviens, si vous voulez vous débrouiller seuls, vous avez intérêt à bien faire les choses. »

En face, les hommes ne disent plus un mot. La voiture rouge de Laëtitia est repartie sur le chemin de terre, avec l’espoir d’une prise de conscience rapide. « Là où la situation était borderline, c’est que pendant plus d’un an de mise à l’écart, ce monsieur continuait à entraîner des enfants, dans l’équipe d’à côté. Pour qu’il soit suspendu, il aurait fallu que le président du club d’origine me notifie par écrit les faits dont il était soupçonné, qu’il me les signale pour qu’on puisse non pas l’éloigner, mais suspendre sa licence. » L’impasse paraît incroyable, mais elle est réelle.

« Il l’a fait ? Le club vous a-t-il signalé son entraîneur ?

« Ça a été compliqué. Il a fallu que je menace de l’attaquer en justice », explique-t-elle. L’échange qu’elle nous décrit est tendu.

« Mais tu comprends : s’il est condamné, c’est l’image du club, ça va nous faire du tort !

— « Je ne comprends rien du tout. Tu as vingt-quatre heures pour m’envoyer un mail ou je te dénonce ! »

« Et j’ai reçu l’e-mail vingt-quatre heures plus tard, voilà. » Elle relève la tête soudain : « Une non-dénonciation de crime, c’est trois ans de prison. Je peux vous dire que ça réveille certains, quand on le leur dit ! » Elle soupire.

« C’est vrai que c’est un peu le hall des urgences tous les jours, ici ! Et encore, nous sommes à des années-lumière de la transparence. Il faut dire aux enfants dans les clubs de parler… Il faut qu’on cesse de se taire. » Dans cette affaire, la justice ne retiendra que les attouchements.

-* Baptiste : « Je camouflais tout »

Quelques jours plus tôt, Baptiste (NDLR : jeune basketteur) et deux de ses coéquipiers répondent à l’invitation de leur entraîneur et le retrouvent à la piscine municipale, à une quinzaine de kilomètres du club de basket. « C’est assez fréquent, à cette époque de l’année, de faire ce genre d’activités, avec l’équipe ou une partie de l’équipe. La piscine ou le bowling par exemple, pour marquer la fin d’une saison », explique Baptiste.

Il n’a aucune raison de se méfier. Les températures sont particulièrement élevées. Les adolescents plongent, avec délice, dans l’eau du bassin en plein air. Ils s’éclaboussent, boivent la tasse et rient très fort. Le coach est amusé par leur vivacité. Au bout d’un moment, il leur propose : « Vous voulez faire un tour au sauna ? » Les enfants hésitent. L’adulte insiste. « Vous voulez essayer ? » « On a dit OK, on essaie ! Et là, le coach nous prévient : Qui dit sauna… dit pas de maillot de bain ! Il enlève le sien, nous l’imitons, et, sur le ton de la plaisanterie, il demande : Fais voir ton sexe ? Nous comprenons qu’il veut sans doute jouer, pour plaisanter, à comparer les tailles. A ce moment-là, mes deux copains sont partis du sauna. Et c’est là qu’il a commencé », nous confie Baptiste.

Un quart d’heure plus tard, la porte du sauna s’ouvre. L’entraîneur dit à Baptiste : « Il ne faut rien dire, tu n’en parles pas. — Oui. » La porte du sauna se referme, lourdement, sur le secret que l’adolescent portera plus de vingt ans. « Mes copains m’ont demandé ce qu’il s’était passé quand ils avaient quitté le sauna. Je leur ai raconté. Je ne pense pas qu’ils en aient parlé à leurs parents parce que l’entraîneur est resté jusqu’à la fin de la saison, j’imagine que si ceux-ci avaient su, ils auraient fait quelque chose. »

Lui non plus n’a rien dit à ses parents. L’été est arrivé. Baptiste a déménagé avec sa famille dans le sud-ouest de la France. […] Deux années plus tard. Retour dans le village de son enfance, pour un long week-end chez des amis de la famille. Il accompagne sa mère au supermarché. Au détour d’un rayon, il tombe sur l’ancien entraîneur. Celui-ci lui propose de participer le soir même à un entraînement de basket avec quelques adultes. Baptiste est aux anges. « J’avais envie de leur montrer ce que j’avais appris dans mon nouveau club. »

L’entraîneur promet à sa mère de ramener Baptiste pour lui éviter de faire la route. La maman le remercie chaudement. Sur le parquet de son ancien club, Baptiste se surpasse. Il a grandi. Ses muscles se sont épaissis. Progrès remarqués et salués par le coach. « Je te ramène », dit ce dernier en souriant, après l’entraînement. […]

« On n’avait pas fait cinquante mètres qu’il a recommencé ses attouchements. Tu n’as pas oublié ? On a quelque chose à terminer, toi et moi. — Non. Non ! j’ai dit. Il s’est braqué. Je me souviens qu’à ce moment-là, il s’est énervé. Il a recommencé. J’ai dit non, une fois encore. Il me criait de ne rien répéter. Je disais non, il criait encore. J’ai cette vision de lui, très énervé, sur le siège à côté de moi. Je pleurais. Et j’ai promis. » Ce soir-là, l’entraîneur a donc raccompagné Baptiste. Ses parents l’ont remercié pour sa gentillesse. Il est resté quelques minutes, sur le pas de la porte, à discuter avec eux.

Baptiste a tenu sa promesse, pendant vingt ans. « Je me disais que c’était lui l’adulte, qu’il avait raison. J’ai été élevé ainsi. Et j’oubliais. Je voulais oublier. Mais parfois, ça me revenait, je pensais qu’il fallait que j’en parle. Puis j’oubliais encore. Je voulais tout raconter à ma mère, mais j’oubliais souvent, et surtout je ne voulais pas qu’elle culpabilise », ajoute le jeune homme. Un jour, il brise le silence et décide d’en parler à sa petite amie.

« J’ai tout balancé. Ce qui m’a libéré d’une certaine façon, mais il manquait quelque chose. » Le dire haut et fort – publiquement. Sans risquer de s’exposer. Devant son ordinateur, sous pseudonyme. […] Il a demandé à sa mère de lire le message posté en ligne, sur son compte anonyme. Coup de téléphone immédiat de sa maman. Bouleversée.

« Mais qu’est-ce que j’ai raté ? Pourquoi je n’ai rien vu ? Pourquoi je n’ai pas compris ? » « J’ai essayé de la rassurer. Je lui ai dit : Tu n’as rien vu parce que je ne voulais pas que tu le voies, je camouflais tout. J’ai voulu te le dire ensuite, et puis j’avais peur, et je finissais par oublier. » Quelque chose a changé, depuis qu’il a pris la plume, en ligne. « Ça m’a fait du bien de l’écrire. Je me dis qu’il y a peut-être des gens qui vont se dire, en voyant et lisant mon témoignage : Cela m’est arrivé à moi aussi. »

L’HOMOPHOBIE

-* Le footballeur de Ligue 1, gay, obligé de faire des photos avec une amie

C’est l’histoire de ce footballeur qui évolue en Ligue 1, dans un club français. Il refuse catégoriquement d’être nommé dans le livre. C’est à travers les yeux de son petit ami de l’époque, Kamel (NDLR : le prénom a été modifié), que nous racontons cette tranche de vie où la dissimulation devient une seconde nature.

Devant la fontaine, sur une place pavée. Un jeune homme, une jeune femme. Ils s’enlacent les yeux brillants. Elle sourit. Il l’embrasse sur la joue, dans le creux de sa fossette. Elle a renversé la tête. Ils sont là, tous les deux, au bord de la fontaine. Olivier et Olivia. Devant, des projecteurs, un objectif, et l’agent d’Olivier. L’ami est là aussi, dans l’ombre, derrière eux, mais l’agent ne lui adresse pas la parole.

Avant de changer de pose, Olivier le cherche du regard. […] Kamel regarde Olivier, il le regarde. C’est un jeu, rien de plus. L’agent suit le regard d’Olivier. Kamel lui sourit. L’agent fulmine. Il voudrait que l’ami soit encore plus discret. Cette fois, Olivier tient Olivia serrée contre lui, elle a noué ses deux bras autour de sa taille, elle a posé la tête sur son torse, en riant. Kamel fixe des yeux les bras musclés d’Olivier, son dernier tatouage, le même que le sien.

[…] L’agent est satisfait. Olivier se fait démaquiller. Olivia se sent coupable. Quelques heures plus tard, les photos sont envoyées à un magazine de célébrités. Juste avant la parution, elles seront postées sur le compte Instagram d’Olivier, et sur celui de son équipe de football. […]

« Au début, ça ne nous posait pas de problème. Son agent lui avait demandé de faire une photo avec une copine pour que personne ne découvre qu’il était homosexuel. Le président du club ne voulait pas non plus que ça se sache. Nous avions la consigne de rester discrets, de nous voir en dehors de la ville. On n’avait pas le choix », raconte aujourd’hui l’ancien petit ami.

Mais Olivier vit très mal cette situation. Il mange beaucoup. Il devient colérique. Ses coéquipiers sentent la faille. Il suit de moins en moins les conseils de son agent. Un jour, l’un des membres de l’équipe apprend qu’Olivier est en couple avec un homme.

« Ça a fait le tour du vestiaire très vite. Olivier n’a rien caché. Il a assumé – enfin, dans les vestiaires. Mais ça ne s’est pas très bien passé. Pour ne pas être pris à partie par les supporters en match extérieur, ils ont refusé que ça soit dévoilé. Ils n’ont pas été très sympas avec lui, ils le traitaient de diva. Ça parlait derrière son dos. »

La pression devient bientôt insupportable. Olivier se détache du groupe. Il change d’agent. Il mange de plus en plus. Il est malheureux. Au moment du renouvellement de son contrat, la situation s’envenime. Jusqu’à la rupture. Olivier doit changer de club. Il n’a toujours pas révélé son homosexualité. Mais il refuse de faire d’autres photos avec Olivia.

-* Marc (NDLR : le prénom a été modifié), violé parce qu’homosexuel

« Ils avaient été mis au courant de mon orientation sexuelle par l’un des joueurs qui avait entendu parler de moi au lycée. J’assume mon homosexualité et cela dérange beaucoup de gens. Au club, ils disaient qu’ils voulaient s’amuser avec moi. Ils employaient ce mot, oui, s’amuser. »

Dans les vestiaires, ce jour-là, le joueur le force à s’agenouiller devant lui. « Je ne me suis pas laissé faire. J’ai crié pour qu’il arrête. L’entraîneur est arrivé. Il nous a regardés, il est reparti sans un mot. J’ai crié plus fort encore. Cette fois, le directeur est arrivé, il a attrapé le jeune, il l’a plaqué contre le mur et il lui a dit d’arrêter : Sinon tu prends ma main dans ta gueule. Depuis, je ne me suis plus jamais changé dans des vestiaires. J’évite les douches. » […]

Mais, un samedi pluvieux, Marc doit mettre son sac à l’abri. Et entrer dans les vestiaires après le match, pour récupérer ses affaires. Ses coéquipiers sont alors sur ses talons. Marc sursaute. La porte vient de se refermer. Une main accroche son maillot trempé de sueur et de boue, le plaque contre le mur, dans un coin des vestiaires. Il a peur.

« J’avais mis mon sac dans un coin, près de la porte. Je ne l’ai pas vu arriver. Il m’a forcé violemment à faire des choses que je ne voulais pas faire, pour se venger, disait-il, d’avoir été pris à partie par le directeur à cause de moi. » Les autres joueurs, eux, prennent leur douche, s’habillent, regardent. Certains plaisantent. Je les amuse. »

Marc ne dit plus rien. Il ne contrôle plus rien. Qu’on en finisse, et vite. « C’était le même joueur que la première fois ? » Marc peine à répondre. Il est encore là-bas, avec eux, dans le vestiaire. « Oui. Oui c’était le même joueur. Non, personne n’a rien dit. Une nouvelle fois. » […]

Le joueur est parti. Marc s’écroule sur le sol. Il est seul dans les vestiaires. Les autres joueurs ont suivi sans un mot pour lui. Il chancelle jusqu’aux douches. Il éteint la lumière. L’eau chaude une fois encore, adoucit la douleur du viol. Personne n’est intervenu. La direction n’a pas été prévenue. La vie a continué. Le garçon n’a plus jamais approché Marc après les entraînements. […]

Plusieurs années ont passé. Marc se promène dans les rues de Montpellier. Sur le trottoir d’en face, il le voit. Les images reviennent. Dans la rue, la foule avance, nonchalante, c’est un dimanche de septembre, il fait encore très chaud. Marc accélère. Il ne veut pas le croiser. Les images le rattrapent. Le vestiaire. La douche. Le bruit de l’eau sur le carrelage froid. Le garçon vient à sa rencontre.

« Ses yeux dans les miens. Ses yeux à lui n’ont plus l’éclat d’hier, le défi qu’il mettait dedans. Les miens sont noirs. Réveillent ma colère. Il s’est excusé. Il m’a dit qu’il était désolé pour ce qu’il avait fait et que, grâce à moi, il avait trouvé sa voie. Il aime les hommes. »

Immobile, muet, Marc fixe l’horizon, derrière l’épaule du garçon. Il revit son calvaire. Il s’entend crier dans les vestiaires. Il entend les rires des autres. Et l’entraîneur qui vient et qui repart sans intervenir. « Je n’ai rien dit. Je l’ai ignoré. Je suis parti. On ne peut pas pardonner ces choses-là. »

LE RACISME

-* Omar Tabich, l’arbitre qualifié de « Sale Arabe »

Dans le Vaucluse, un match de division départementale de football oppose le RC Provence à Sorgues, un dimanche après-midi de décembre. […] Le terrain est gras. L’herbe humide. Les crampons glissent et s’enfoncent dans la terre mobile. « Certains tacles étaient à la limite du geste dangereux. J’ai demandé au joueur de se calmer », poursuit Omar Tabich. Avertissement de l’arbitre. Sifflet. Protestation du joueur. Le verbe haut. […]

« Dans le district, nous avons la possibilité de sanctionner les joueurs avec un carton blanc. Ce sont des arrêts temporaires de jeu, comme un dernier avertissement. » Donc carré blanc levé. Sifflet. Le joueur est suspendu quelques minutes. Son entraîneur fulmine. Le sportif quitte le terrain, les supporters locaux s’emportent. […]

Un cri, plus fort que les autres, en provenance de la buvette. Et qui s’adresse au banc des dirigeants. « Ne lui parlez pas ! Il ne voit que ce qu’il veut, ce sale Arabe ! » « Ce n’est pas possible. Je n’ai pas entendu ces mots-là… Pas ici, pas comme ça… Allez, c’est rien tu vas continuer la rencontre », pense Omar.

Coup franc, en faveur de l’équipe adverse. L’arbitre se replace, donne ses consignes. « Et ça reprend. » Une autre voix, plus proche, cette fois. « Sale boulaya [barbu], tu n’es pas chez toi ici, retourne dans ton pays. » « Un de mes arbitres assistants me fait signe que ça vient de derrière le banc des dirigeants du RC Provence. » Certains joueurs de Sorgues sont maghrébins, l’équipe est sous le choc.

[Omar Tabich décide d’arrêter la rencontre.] Les arbitres eux aussi cheminent vers les vestiaires. Un homme dévale alors les tribunes. « Ce même monsieur qui m’insultait quelques minutes plus tôt se plante à trois mètres de moi et me dit : Espèce de sale Arabe enculé, t’es pas chez toi, ici. Il insiste. »

Omar tourne ostensiblement le regard vers le banc des dirigeants du club hôte. « Je me dis : là, ils vont réagir ! Eh bien non. Il ne se produit rien. Le président de Sorgues essaie d’éloigner le supporter de l’équipe adverse. Moi, j’ai les larmes aux yeux. Sincèrement, ce que j’ai vécu, c’est inadmissible. »

[…] Je convoque les dirigeants des deux clubs et leurs capitaines : Messieurs, vous pouvez tous rentrer définitivement aux vestiaires vous doucher, la rencontre ne reprendra pas. J’arrête le match. » La voix d’Omar est lourde de tristesse. « Les dirigeants de Sorgues me disent qu’ils comprennent. » Un peu plus loin, venant du vestiaire du RC Provence, Omar entend l’un des responsables du club vitupérer : « C’est n’importe quoi, on ne peut plus leur parler à ces arbitres, maintenant… »

« Dans les vestiaires, ensuite, ils m’ont accusé d’avoir attisé la haine raciale sur le terrain, confie Omar en soupirant. J’aurais préféré me faire frapper, prendre des coups plutôt que de vivre ça. C’est ce que j’ai dit aux gendarmes lorsque je suis allé porter plainte ensuite. »

Encadré par ses assistants, Omar se dirige vers son véhicule. A la buvette, il aperçoit le supporter, celui des tribunes. L’homme est au milieu des joueurs et des dirigeants, boit « un verre avec eux, dans une atmosphère détendue », comme si de rien n’était. « Monsieur, vous n’avez pas honte de tenir de tels propos devant des enfants ? Sachez, monsieur, que je suis français. Mes parents sont français. Mes grands-parents sont français. »

L’arbitre quitte les lieux, porte plainte et fait remonter les faits à sa fédération, la Ligue Méditerranée, avant d’avertir la LICRA, qui alerte à son tour la Fédération française de football. […] Mais, quelques semaines plus tard, tombe la sanction de la commission de discipline. « Pour le RC Provence, un match de suspension sur son terrain, le match perdu pour cette rencontre contre Sorgues et 250 euros d’amende. Pour Sorgues, 100 euros d’amende. »

« Cela ne s’arrête pas là », précise Omar Tabich, car il est sanctionné, lui aussi. Par trois mois de suspension ferme pour propos ou geste excessif envers un supporter et manquement à l’éthique sportive. « Triste décision. Triste football dans notre district. Mais je vais me battre, et on n’en restera pas là. »

-* Olivier Bernard et le racisme dans les stades

Olivier Bernard débute dans sa carrière de footballeur professionnel au centre de formation de l’Olympique lyonnais. « J’étais jeune à l’époque ! » En équipe de France chez les jeunes des matchs extérieurs sont organisés. Au cours d’une saison, les Français rencontrent les jeunes Turcs, dans leur pays. […]

Depuis la pelouse, venant d’un peu partout dans les tribunes, ils distinguent un refrain inconnu. « On a entendu cela pendant tout le match, ils scandaient en rythme : Tur/ky-e ! Tur/ky-e ! Nous n’avons pas cherché à comprendre, ça nous amusait plutôt ! », se souvient-il, des années plus tard. […]

« Mais sur le chemin du vestiaire, l’interprète vient nous voir. Vous êtes restés calmes ! commente ce dernier. On se regarde en souriant. Pendant qu’ils vous insultaient, vous êtes restés bien calmes ! » Autour de l’interprète, un petit groupe se forme. « Là nous comprenons que les supporters turcs ne disaient pas Tur/key-e ! Turk/key-e… mais Monkey-e, monkey-e. (NDLR : singe en anglais). » […]

« Nous savions que c’était raciste, mais c’était quelque chose que nous n’avions jamais entendu, nous l’assimilions plus à de la provocation. A l’époque, ce n’était pas aussi clair, on ne comprenait pas comme aujourd’hui », raconte Olivier Bernard. Alors ils en rient. Pour oublier. […]

« A l’Inter Milan (NDLR : qu’il affronte avec Newcastle), c’est là où j’ai ressenti le plus fort racisme. Je me suis senti très seul. Parce que pratiquement tout le stade faisait ça. C’était… très bruyant. » Olivier a 22 ans ce soir-là. « C’est toujours la même chose. Les cris de singe sont leur truc. C’est la désolation à cet instant-là », confie-t-il.

LA RADICALISATION

-* Camille, « mise de côté »

Dans deux heures, ce sera le combat. […] Elle en a parlé toute la semaine, de sa compétition de lutte du week-end. Camille vient d’avoir 10 ans. Quelques mois à peine de pratique au club de lutte et déjà sa deuxième compétition. Il fallait la voir avec sa médaille, la première fois, savourer les souvenirs qu’elle se fabriquait. Après une heure trente de voiture, c’est ici. Le père de la fillette se souvient. Des cris, du mouvement, et le rire de sa fille.

« Je parcours la liste des combats. Le premier est à… bon, dans une heure trente, on a le temps de s’échauffer. Je cherche les autres combats. Ce n’est pas une erreur, ma fille n’y est pas. Ma fille n’a qu’un seul combat. Avec une autre fille. Qui, elle non plus, n’a pas d’autres combats attribués. […] Je prends la mesure de ce qui se joue sous nos yeux. Elle m’a vu foncer vers les organisateurs.

« Dites-moi, monsieur, ma fille n’a qu’un combat programmé, il doit y avoir une erreur…

— Votre nom ? Ah, mais c’est parce qu’il n’y a qu’une seule fille dans sa catégorie.

— Elle peut tourner avec un garçon du même poids, ils sont nombreux dans sa catégorie !

— Non, c’est impossible, les parents ne veulent pas que les garçons combattent contre les filles.

— Et pourquoi ma fille ne peut pas combattre contre leurs garçons ?

— Je ne peux rien faire, monsieur, il faut voir avec les organisateurs. »

[…] L’absence de mixité assumée dans un club de sa discipline correspond à l’un des « signaux faibles » auxquels le président de la fédération de lutte a pourtant été sensibilisé au cours d’une formation contre la radicalisation dans le sport.

Quand les présidents de clubs de lutte ont un doute sur ce qui est acceptable ou sur ce qui ne l’est pas, au sein de leurs structures, une question sur la laïcité, sur le processus de radicalisation, ils se tournent vers Bruno Dedieu, référent radicalisation.

« Ils m’appellent, je les conseille !, nous dit ce dernier. En trente ans, c’est vrai que j’ai vu évoluer la lutte avec des pratiques religieuses un peu plus présentes. […] L’important c’est de suivre la règle. Tu leur dis : Pour des questions religieuses ou politiques, il est hors de question de céder, le règlement de la fédération indique que les garçons peuvent lutter avec les filles jusqu’à 11 ans. C’est mixte. Par contre, si tu estimes que c’est une question de sécurité pour les lutteuses en termes de niveau par exemple, là d’accord. » […]

— Là, précisément, c’était une question religieuse ?

— Oui. Donc ce n’était pas acceptable.

Sa décision a permis à certains parents d’obtenir que les filles ne se battent pas avec les garçons, en application rigoriste d’une certaine pratique religieuse. Cette règle entérinée a été partagée par tous les compétiteurs ce jour-là. Le président local n’a pas été sanctionné. « On apprend de ses erreurs ! », lui a-t-on simplement dit.

-* Leila : « Ecoute ce que dit ton frère »

« Avant qu’elle ne me parle, Leila avait 17 ans. Et des promesses de podiums (NDLR : dans les sports de combat). Les mots sont tombés comme ça, entre nous. » […]

— « Je ne vais plus pouvoir venir au club, Réza (NDLR : éducateur). »

« J’ai compris tout de suite. Il fallait qu’elle le dise. Elle est face à moi. Elle tremble. Ça a commencé par les mains. Les larmes coulent sur son visage. Pas un mot. »

— « Pourquoi tu ne peux plus venir, Leila ? »

— « Je ne peux plus faire de sport. »

« Elle est effondrée. […] On lui interdisait ce qu’elle aimait le plus au monde, sa passion, et toute sa vie sociale qui partait avec… Sa famille lui imposait de renoncer au sport. »

« Elle m’explique d’une petite voix triste. Un soir, elle revenait du club […] La voix de son frère derrière la porte de sa chambre, entrebâillée. Doucement autoritaire. Leila, entre et assieds-toi. Elle ouvre la porte. Sa mère est assise sur le lit. […] Le frère explique que la religion lui interdit de faire du sport avec les hommes. Qu’elle ne pourra dorénavant plus retourner au club, qu’elle devra arrêter les compétitions et les séances d’entraînement. Qu’elle y croise beaucoup de garçons, en tenue non adéquate. Leila se tourne vers sa mère : Maman, s’il te plaît, dis quelque chose ! Je suis devenue très forte, tu sais, j’ai battu tout le monde aujourd’hui ! Elle sourit : Ecoute ce que te dit ton frère, ma chérie. »

« Un des gros problèmes que l’on rencontre aujourd’hui avec les Français de culture musulmane, et qui veulent garder un lien avec leur identité d’origine, c’est que cette génération-là ne maîtrise pas l’arabe littéraire, […] Les gens qui ne maîtrisent pas l’écrit de leur religion ne peuvent pas aller chercher l’information à la source. Ils sont donc influençables et appliquent à la lettre des prescriptions religieuses qu’on leur raconte — qu’ils croient être obligatoires pour être un bon musulman. » […]

Pour aider Leila, Réza adopte un rôle délicat. « Ce n’était pas facile, parce que vous vous mettez à dos toute la famille, vous êtes l’élément perturbateur. […] Leila a trouvé un théologien respecté dans la religion musulmane qui a mis son frère devant ses contradictions. Il l’a fait réfléchir, lui à qui on avait expliqué que les filles ne devaient pas faire de sport, que c’était écrit. L’histoire de Leila est symptomatique d’une radicalisation qui a eu lieu à l’intérieur d’une famille et dont le sport « a été le révélateur »."

Lire "Homophobie, radicalisation, racisme : le livre choc qui dénonce les travers du sport".


Voir aussi les rubriques Sport amateur dans Sport dans Discriminations, Mixité dans Femmes-hommes (note du CLR).


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