11 septembre 2012
"Expulsion des Roms, émeutes à Amiens... Pour une partie de la gauche, le président et son ministre de l’Intérieur ; Manuel Valls, ne se démarquent pas assez de la politique de Nicolas Sarkozy. Des procès en traîtrise qui sèment le trouble au sein de la majorité.
[...] Pendant la campagne, il a ciselé des formules creuses et articulé des affirmations contradictoires, instruit et effrayé par les études d’opinion lui démontrant que dans le magma hétérogène cimenté par l’antisarkozysme – son électorat potentiel –, le contrôle de l’installation des étrangers en France était un impératif non négociable pour certains et un casus belli pour d’autres.
La victoire acquise, le choc différé se produit donc, comme prévu. Après les sans-papiers de Lionel Jospin et la Marseillaise de Ségolène Royal, les Roms de Manuel Valls sont le prétexte d’une de ces controverses stériles qui ont systématiquement précédé le divorce de la gauche de gouvernement avec son électorat.
Depuis le Front populaire, les procès en traîtrise sont des classiques de l’histoire du socialisme français. Dans le rôle du liquidateur, Manuel Valls est parfait. Il a le cheveu ras, l’oeil sombre et, bien qu’époux d’une violoniste, ses mots crépitent comme une rafale de kalachnikov. Ni la boxe, son nouveau sport, ni l’accomplissement ministériel n’ont détendu ce ressort. Le premier flic de France déroute les partageux, tendance Bob Marley ou abbé Pierre.
Sans mentir, osons dire qu’il dégoûte même, depuis longtemps déjà, les vigies tweetantes qui font profession de traquer le « dérapage », dans les prétoires et les salles de rédaction. N’est-ce pas lui qui jugeait le socialisme « dépassé » et voulait saborder le PS, réclamait l’extradition du brigadiste italien Cesare Battisti et proposait de « déverrouiller » les 35 heures ?
Fin juillet, quand l’odieux personnage encravaté a osé annoncer, à propos des bidonvilles bricolés par les Roms, qu’il ferait appliquer les décisions de justice, ils ne l’ont pas loupé. Ce n’est pas la Roumanie ou la Bulgarie qu’ils ont critiquées. Pas non plus la Commission de Bruxelles, indulgente à l’égard de ces deux Etats membres qui malmènent leurs Tsiganes. Motus aussi sur la prime perverse (300 € par adulte, 100 € par enfant), instituée en 2006 par Sarkozy pour attirer en France des nomades faciles à expulser. Unique cible : Valls, hermétique au folklore de la mendicité organisée et plus sensible à l’odeur âcre des câbles métalliques fondus au grand air qui empeste les banlieues.
« Honteux, inefficace »
« Pour Valls, le changement, c’est de poursuivre la politique anti-Roms de Sarkozy », l’a ainsi crucifié SUD-Education le 10 août. « Sa politique ressemble à celle de MM. Hortefeux et Guéant comme deux gouttes d’eau », a commenté La voix des Roms. « En 2017, vous serez le candidat UMP à la présidentielle ! » ironise encore ce lobby légitimé par une dépêche de l’AFP. Comme de juste, toutes les associations de lutte contre les discriminations ont embrayé, sans d’ailleurs abuser, cette fois, du mot « rafles », méchamment connoté.
Mais, sur le même motif, une partie de la gauche politique a cru devoir broder, avec plus ou moins d’emphase, en fonction des prudences exigées par les fonctions assumées et du sens du ridicule. Ainsi, Christiane Taubira a-t-elle inventé une audacieuse manière de dévoiler sa pensée tout en fermant sa gueule. Le 7 août, quand Libération met à l’épreuve le sens de la solidarité gouvernementale de la garde des Sceaux, l’interrogeant : « En 2010, vous critiquiez le discours de Grenoble de Sarkozy. Aujourd’hui, Manuel Valls annonce un démantèlement des camps de Roms. Où est la différence ? », la ministre répond : « C’est une question pour Manuel Valls ? Allez Place Beauvau. Là, on est Place Vendôme [sourire]. »
Quelques jours plus tard, l’écologiste Cécile Duflot rédige, encore dans Libération, une tribune doctorale et, à l’égard de son collègue Valls, délicieusement ambiguë. « Il est inconcevable qu’en France quelques milliers d’êtres humains venant de Roumanie et de Bulgarie vivent dans des conditions insalubres. Stigmatiser sur une base ethnique une population déjà discriminée, et expulser, dans une absurde et coûteuse logique d’objectifs chiffrés – comme l’a fait le précédent gouvernement –, est non seulement honteux, c’est aussi inefficace. On ne résout pas le problème, on le déplace. [...] Une politique durable, humaine, efficace et exemplaire reste à construire. »
Duflot la verte comme Taubira la radicale de gauche estiment que « la politique autrement » exige d’exprimer leurs convictions, quitte à assimiler un collègue à l’adversaire. Or, ni Matignon ni l’Elysée n’ont jugé cette transgression assez grave pour recadrer les ministres, à la différence de Nicole Bricq, lorsque l’éphémère ministre de l’Ecologie s’est opposée aux forages de Shell en Guyane.
Au contraire, en convoquant une réunion interministérielle précédée par la réception des associations, Jean-Marc Ayrault comble les procureurs qui avaient « sarkozysé » son ministre de l’Intérieur.
S’il n’a pas perdu la face, le soldat Valls paraît bien isolé. Certes, conforté par un sondage Ifop où 80 % des Français et 71 % des sympathisants socialistes se déclarent « favorables au démantèlement des camps illégaux de Roms ». Faute de ténors – où étaient Bartolone, Bel, Rebsamen ou Cambadélis ? –, il ne s’est trouvé que neuf élus locaux peu connus Rue de Solferino pour signer un texte publié par Le Monde, évoquant en praticiens « les conditions d’insalubrité intolérables pour les personnes, en particulier les familles avec enfants », mais aussi « les tensions croissantes avec les populations avoisinantes jusqu’à menacer la vie en collectivité ». Même en été, l’exécutif et le PS auraient pu, s’ils l’avaient souhaité, orchestrer la fanfare médiatique.
Deux raisons, semble-t-il, ont justifié la prudence du tandem Hollande-Ayrault.
Tout d’abord, dans leur argumentaire, les opposants aux expulsions de Roms n’ont pas oublié de citer un engagement du candidat socialiste, formalisé en mars dans un courrier au Collectif national droits de l’homme Romeurope : « En ce qui concerne la situation des Roms aujourd’hui sur notre territoire, ma préoccupation est aussi la vôtre : la situation de ces femmes, de ces enfants, de ces hommes qui vivent dans des campements insalubres n’est pas acceptable. Je souhaite que, lorsqu’un campement insalubre est démantelé, des solutions alternatives soient proposées. On ne peut pas continuer à accepter que des familles soient chassées d’un endroit sans solution. Cela les conduit à s’installer ailleurs, dans des conditions qui ne sont pas meilleures ». Au passage, Hollande évoquait « une politique publique d’accompagnement vers le droit commun dans tous les domaines (social, scolaire, logement, sante, travail) » et l’« examen objectif » des mesures transitoires qui limitent l’accès des Roumains et des Bulgares au marché du travail. A première vue, le président pris au mot se serait donc contenté d’imposer à son gouvernement la traduction de ses engagements électoraux.
Surenchère et revanche
La jubilation juvénile et sans fard de Cécile Duflot quittant une réunion interministérielle à Matignon et débordant largement de sa fonction de ministre du Logement, traduit pourtant un choix tactique moins souverain. En août, le nouveau pouvoir, anémié par la crise économique et budgétaire, défait à Berlin par Angela Merkel et défié à Aulnay-sous-Bois par la famille Peugeot, n’a pas eu le cran d’ouvrir un second front à Saint-Germain-des-Prés.
Trois plumes acérées, au nom d’une conception vintage de la morale et du progrès, ont ramené François Hollande aux années 80. Déjà alors, il s’agissait de masquer le tournant de la rigueur, de sniffer du « sociétal » pour éviter le social au goût de rouille et d’os.
Audrey Pulvar a griffé la première, dans son premier éditorial de directrice des Inrockuptibles : « Expulser - comme hier - n’est pas la solution. Chasser les Roms, rouvrir les charters : cautère sur jambe de bois. On ne résout pas le problème, on le déplace. On soulage, momentanément, des riverains incommodés par le bidonville poussant sous leurs fenêtres, et après ? Cher François, on n’a pas voté pour ça. » Reste à définir, très précisément, de qui ce « on » est le pronom !
La surenchère de son homologue éditorialiste de Libération, Sylvain Bourmeau, est sobrement titrée - « Défaite ». A propos de « sa » gauche, il écrit : « En 1997, lors d’un colloque à Villepinte, elle rendit les armes [à la droite] par la voix du très républicain ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, qui n’hésita pas à décréter la sécurité "concept de gauche". » Ah, l’infâmie ! Alors qu’Hollande et son Clemenceau tentent de démontrer, à Amiens notamment, que le laxisme n’est pas leur karma, Bourmeau règle ses comptes avec Jospin 2002, qui, regrettant « avoir jusque-là entretenu [la croyance] dans l’existence de causes sociales de la délinquance, entérinait la défaite absolue de la gauche dans cette bataille des idées ».
Conclusion du bras droit du directeur de Libération, Nicolas Demorand : « Revenue au pouvoir après une campagne qui sut raisonnablement oublier [la] question [de la sécurité], il est plus que temps qu’elle [...] démontre clairement que le réalisme se situe du côté de ceux qui jamais ne cherchent à attiser les peurs en confondant, par exemple, insécurité et sentiment d’insécurité. »
Pendant la campagne, Bourmeau avait échoué à lepéniser l’universitaire membre du PS Laurent Bouvet ainsi que les quelques intellectuels qui avaient osé forger l’expression « insécurité culturelle » pour désigner l’angoisse du Français moyen face à la Chine et à l’islam. Stimulé par le flottement hollandais, l’élegant Bourmeau prend sa revanche.
Quel soutien populaire ?
Une troisième missive, signée dans Le Monde par une sénatrice verte du Val-de-Marne, dévoile le rêve secret d’une gauche qui aime tellement haïr l’extrême droite qu’elle l’alimente par ses provocations. « A défaut de pouvoir changer la donne économique d’un revers de main, Hollande et son gouvernement se doivent d’innover, écrit Esther Benbassa. [Or,] nos ministres semblent ne pas avoir toute la marge de liberté nécessaire pour engager, certes dans la concertation, des mesures susceptibles, au moins dans le domaine sociétal, de mettre un peu de baume au coeur de la gauche, et au-delà, de la France. »
Au-delà de Manuel Valls, ce naturalisé trop républicain qui protège la police, au-delà même des Roms qui ne sont pas tous attirés par la perspective d’épouser le « rêve français » de François Hollande, la nostalgie soixante-huitarde encore vivace n’hésite pas à troquer la légalisation du cannabis et le mariage homosexuel contre un coup de pouce au Smic ou un blocage des loyers.
Pourtant, au PS, Harlem Désir et la majorité des dirigeants n’oublient pas que la victoire du 6 mai a été étroite, que le soutien populaire reste à conquérir. Même la maire de Reims, Adeline Hazan, habituellement préposée aux rappels à l’ordre droits-de-l’hommistes se garde de tweeter ses différends avec Valls.
Mais Martine Aubry n’est pas seule à défendre l’héritage libéral-libertaire d’Olivier Ferrand, feu président du think tank Terra Nova ! Déjà Le Monde, dans un éditorial quoique titré « Gauche et sécurité : de la clarté, s’il vous plaît ! », a pris ses marques pour la prochaine épreuve, s’engageant derrière Christiane Taubira pour « une autre idée de la justice », qui répugne notamment à enfermer les mineurs dans des centres éducatifs fermés et cherche des alternatives aux courtes peines de prison.
Soumis au Blitzkrieg de la gauche enivrée de sentiments, le président Hollande obéit à ses réflexes. Sans dévier de la ligne tracée, il poursuivra le désendettement de l’Etat, insensible aux objurgations de Jean-Luc Mélenchon. En revanche, il rendra les armes au même gladiateur qui s’interroge sans plus de finesse : « Quelle est la différence entre un baraquement cassé sur ordre d’un ministre de droite et un baraquement cassé sur ordre d’un ministre de gauche ? »
Le temps d’une campagne, François le Corrézien avait bridé sa culture deloriste, promettant aux délinquants financiers comme aux fraudeurs et aux petits caïds que la « République les rattrapera ». Et si c’était déjà les indignations sélectives des « indignés » autoproclamés qui l’avaient rattrapé ?"
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