Note de lecture

Henri Caillavet : L’humanisme incarné

par Philippe Foussier octobre 2007

Henri Caillavet, Un esprit libre, entretiens avec Paul Marcus, Le Cherche midi, 396 p., 18 €.

A 92 ans, Henri Caillavet n’a rien perdu de sa combativité et de sa volonté à défendre ses convictions. Et dire qu’il en a, solides, relève de l’euphémisme. Il livre dans cet ouvrage d’entretien un retour sur une vie entière d’engagements, un témoignage sur le siècle écoulé qui est aussi un cours d’histoire… vécue. Qu’on en juge. Il a vu chez lui le maréchal Joffre et Clemenceau invités par son père, il a connu Jean Zay, Léon Blum, Edouard Herriot et tant d’autres… Ce livre est d’ailleurs parsemé de petits portraits qui méritent le détour par leur précision, leur chaleur parfois, leur acidité pour quelques-uns. Les plus réussis concernent Pierre Mendès France, Edgar Faure, François Mitterrand, Gaston Monnerville, Jacques Chaban Delmas ou Alain Poher.

Une vie d’engagements

Mais revenons sur ce parcours, commencé au risque de sa vie en 1937, transportant des armes vers l’Espagne pour les Brigades internationales. 70 ans après, Henri Caillavet n’a toujours pas compris la neutralité de la France proclamée par le Front populaire face à la guerre d’Espagne. En 1940, il sera comme d’autres dénoncé parce que franc-maçon, arrêté et empêché de devenir enseignant, frappé par les lois de Vichy sur l’accès à la fonction publique. Il deviendra avocat. Et il passera sa vie à plaider des causes que beaucoup estimaient impossible à défendre. Dès 1947, il dépose ainsi une proposition de loi pour légaliser l’avortement ; en 1949, pour faire de l’insémination artificielle un moyen de procréation. Car le jeune Caillavet est élu député du Lot-et-Garonne au lendemain de la Libération, à 32 ans. A ce titre, il sera vite plongé dans le bain en siégeant à la Haute Cour de justice, qui jugeait alors pour collaboration les anciens responsables de Vichy. En 1951, il bataille contre la loi Marie-Barangé, inscrite dans une longue série de mesures favorables à l’école catholique, de Debré à Robien en passant par Lang et Bayrou. Et c’est en 1953 que commencera une courte mais intense carrière ministérielle : il sera secrétaire d’Etat à la France d’outre-mer dans le gouvernement de René Mayer, donc avant la décolonisation, puis chargé des affaires économiques et du Plan et enfin en 54-55 titulaire du portefeuille de la marine dans le gouvernement Mendès France. Puis, comme beaucoup d’élus de gauche, il sera battu en 1958 et entamera une traversée du désert jusqu’en 1967, date de sa première élection au Sénat. Un Sénat qu’il préfère à l’Assemblée nationale, comme il ne manque pas de le souligner à maintes reprises. C’est à son retour au Parlement qu’il fera voter à l’unanimité des deux chambres la loi qui porte son nom sur les prélèvements d’organes. En 1971, il dépose, sans succès, un nouveau texte sur l’avortement, plus audacieux que la future loi Veil de 1974. Mais il se rapprochera de la future ministre de la Santé pour figurer sur sa liste aux élections européennes de 1979 : Henri Caillavet explique assez drôlement qu’à Strasbourg il votait toutefois avec ses collègues de gauche. Il fut aussi de l’aventure des radicaux de gauche, vice-président du MRG dès sa fondation, farouchement opposé à l’initiative de Maurice Faure de confier les commandes du Parti radical à JJSS, et il restera tout au long de sa carrière politique attaché au radicalisme.

Contre l’ordre moral

Président de la commission de l’agriculture au Parlement européen, sénateur actif inscrit au groupe de la Gauche démocratique, il délaisse quelque peu les affaires de son département : il sera battu aux sénatoriales de 1983. Commence alors une nouvelle vie publique pour Henri Caillavet : à la présidence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, à celle de la Commission nationale pour le pluralisme de la presse (qui aurait aujourd’hui l’audace d’une telle initiative ?), ensuite au sein du Comité national d’éthique, toujours désigné dans ces instances par François Mitterrand. Longtemps président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui continue à lutter pour faire avancer la législation, Henri Caillavet aura finalement toujours trouvé sur sa route ceux qui se revendiquent de Dieu plus que de l’Homme. Sur l’avortement, sur le don et les greffes d’organes, sur le droit à mourir dignement et bien d’autres sujets encore, cet "esprit libre" aura toujours fait prévaloir l’humain contre le divin, le progrès et la laïcité contre l’ordre moral et clérical. Caillavet appartient à cette lignée d’hommes qui font honneur à la République et à la gauche.

Philippe Foussier


Cet article est paru dans Laïcité Info (nov.-déc. 2007), le bulletin du CLR, que l’on peut télécharger ici.


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