Henri Peña-Ruiz, philosophe et écrivain, auteur de "Qu’est-ce que la laïcité ? "(Folio Gallimard) et "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon), Prix de la Laïcité 2014. 29 août 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Non, la laïcité n’est pas une invention chrétienne".
"La laïcité n’a pas été inventée par le christianisme. Rappelons d’abord qu’elle a été conquise dans le sang et les larmes à rebours d’une Église catholique crispée sur ses privilèges temporels, qui n’a reconnu l’autonomie du pouvoir politique qu’au XXe siècle, contrainte et forcée par les luttes pour l’émancipation laïque. Pourquoi cette histoire sanglante de quinze siècles de persécution religieuse, de Théodose à la Révolution de 1789, si vraiment le christianisme prônait la laïcité, c’est-à-dire l’indépendance de l’ordre civil par rapport aux préceptes religieux ?
L’attachement obstiné de l’Église, pendant un millénaire et demi, à son pouvoir temporel et spirituel sur la puissance publique en fit l’adversaire résolu de tout processus de laïcisation. Considérant l’État comme son « bras séculier », elle lui fit réprimer les hérétiques, les athées et les infidèles. Il faut donc un certain culot pour attribuer à la religion chrétienne une paternité de la laïcité que démentent toute son histoire mais aussi les Évangiles. Lisons donc de près les textes cités comme preuves supposées.
D’abord la distinction des deux royaumes. « Mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs… » (Jean 18, 36-37). Ainsi, le royaume de Jésus-Christ s’affirme différent des royaumes terrestres. Mais la distinction n’implique pas la séparation. Tous les royaumes terrestres sont bornés et sujets à corruption. Le royaume de Jésus-Christ est céleste, mais il entend le régir par sa puissance spirituelle, par son ubiquité, par son pouvoir sur les consciences.
Au nom d’une vie future, des normes religieuses sont imposées aux royaumes terrestres. L’Église se réfère à la transcendance de l’amour divin, mais elle sacralise des usages souvent rétrogrades, comme la domination de la femme par l’homme, l’oppression des hérétiques, des athées et des homosexuels. L’ubiquité du royaume céleste rançonne les consciences et soumet les corps. La philosophie, amour de la réflexion rationnelle, est sommée de se faire « servante de la théologie » (ancilla teologiae). Quant à la science, elle est censurée dès qu’elle contredit les textes sacrés. Et l’Inquisition brûle les mécréants. L’ordre divin règne sur les États comme sur les individus. Une étrange façon de programmer l’émancipation laïque !
Faut-il payer le tribut à César ? La réponse est célèbre : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Marc 12, 10-17). Jésus-Christ commente ainsi une pièce de monnaie romaine où l’empereur César est présenté comme un dieu, et qui stipule : « Empereur Tibère, auguste fils de l’auguste dieu. » Il ne sépare nullement l’ordre politique et l’ordre religieux. Il invite en fait à distinguer deux types de devoirs dans le cadre d’une soumission au vrai Dieu, auteur de tout ce qui existe, y compris de l’empereur César, indûment divinisé sur la monnaie.
Théoricien initial du christianisme, Paul de Tarse précisera : « Il n’y a d’autorité que venant de Dieu. Celles qui existent sont mises en place par lui. Et leur résister c’est résister à Dieu. » (Aux Romains 13, 1.) Bossuet, en 1670, fera du roi « le ministre de Dieu sur la terre ». La monarchie absolue de Louis XIV, dite de droit divin, révoquera en 1685 l’édit de tolérance promulgué par Henri IV à Nantes en 1598. Le sacre des rois, dans l’Ancien Régime, confirme la collusion du pouvoir temporel et du pouvoir religieux, même si le gallicanisme tenta d’en inverser la hiérarchie. Bref, seules une lecture peu rigoureuse des Évangiles et une illusion rétrospective partisane peuvent faire croire que le christianisme a inventé la laïcité."
Lire aussi dans les Initiatives proches mezetulle.fr "Non, la laïcité n’est pas d’origine chrétienne" (J.-P. Castel, mezetulle.fr , 10 juin 21) (note du CLR).
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