Revue de presse

H. Peña-Ruiz : le commentaire de Hollande sur les femmes voilées "frise le ridicule" (lejdd.fr , 12 oct. 16)

Henri Peña-Ruiz, philosophe, Prix de la Laïcité 2014, auteur de "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon). 18 octobre 2016

"Parmi les nombreuses citations de François Hollande dans le livre des journalistes Fabrice Lhomme et Gérard Davet, "Un président ne devrait pas dire ça", une a plus particulièrement retenu l’attention : [...] "La femme voilée d’aujourd’hui sera la Marianne de demain. Parce que, d’une certaine façon, si on arrive à lui offrir les conditions pour son épanouissement, elle se libérera de son voile et deviendra une Française, tout en étant religieuse si elle veut l’être, capable de porter un idéal." [...]

  • Sur la phrase "la femme voilée d’aujourd’hui sera la Marianne de demain" :

"Dans ce qu’on appelle l’aliénation, c’est-à-dire qu’un être humain ne soit pas maître de lui-même, il peut y avoir deux grands registres : le registre politique - c’est là que la laïcité doit intervenir- et le registre social et économique - c’est là que la justice sociale doit intervenir. Si on veut lutter contre l’aliénation, il faut tenir les deux bouts, comme Jean Jaurès le disait : la République doit être laïque et sociale.

Dans la citation, est évoqué "aujourd’hui" et "demain". Aujourd’hui, il y a en France des personnes doublement aliénées. Parmi les personnes issues de l’immigration maghrébine (dont on ne peut pas dire qu’elles soient forcément musulmanes, car il y a aussi des athées), il peut y avoir une double aliénation : sur le plan économique, elles peuvent être victimes de discriminations et il y a donc une aliénation socio-économique. Par ailleurs, lorsque des personnes sont tenues en tutelle par une idéologie d’assujettissement - comme c’est le cas de l’idéologie religieuse qui prend le relais de l’idéologie patriarcale -, alors il faut une émancipation laïque. Ce n’est pas parce que souvent les immigrés d’origine maghrébine sont discriminés socialement qu’il faut leur laisser, si l’on peut dire, en lot de consolation, l’aliénation religieuse. Il faut lutter sur les deux fronts."

  • Sur l’utilisation de la figure de Marianne :

"Marianne, qui est l’allégorie sensible de la République, porte, non pas un voile, mais l’unique coiffe qui peut représenter l’émancipation : le bonnet phrygien des esclaves affranchis dans l’Antiquité. Notre République est symbole de liberté mais surtout de libération. C’est la femme qui représente la République en train d’advenir à sa liberté. L’analogie avec la femme voilée qui serait la Marianne de demain ne me parait pas très pertinente. Ce qui permet l’émancipation, c’est à la fois la laïcité de la puissance publique et la politique socio-économique. L’analogie de François Hollande est confuse. Il faudrait dire les choses plus clairement : aujourd’hui la stricte laïcité de la puissance publique permet l’émancipation politique, juridique et intellectuelle, mais il faut aussi la justice sociale pour assurer une émancipation socio-économique. Je ne crois pas que ce soit en faisant la loi El Khomri, qui a redonné au pouvoir patronal l’ascendant sur les droits sociaux, que l’on pourra émanciper. Ce commentaire frise le ridicule. Le Président devrait dire les choses plus simplement, mais sans doute n’a-t-il pas l’habitude des formules claires et dépourvues d’ambiguïté."

  • Sur la phrase "parce que, d’une certaine façon, si on arrive à lui offrir les conditions pour son épanouissement, elle se libérera de son voile et deviendra une Française, tout en étant religieuse si elle veut l’être, capable de porter un idéal" :

"Il mélange tout. Le fait de devenir français est assujetti à des conditions juridiques très claires. On ne donne pas la nationalité française à la condition que l’on ne porte plus le voile. Cela fait penser à ce malencontreux épisode de la déchéance de nationalité durant lequel François Hollande voulait instaurer deux régimes de punition selon l’origine des gens. La République porte un idéal universaliste. Quelle que soit l’origine que l’on a, on doit être puni de la même façon par la loi. Encore une fois, c’est une grande confusion. Après la Révolution française, sous l’influence de Rousseau, du contrat social, du droit naturel, la Nation est vue comme une communauté de droits, fondée sur un contrat volontaire. Le peuple se donne à lui-même sa loi et il prend pour principes constitutionnels les principes du droit naturel. Il faut s’en tenir à cette doctrine républicaine et ne pas chercher à compliquer des choses qui sont simples.""

Lire "Hollande sur les femmes voilées : "Ce commentaire frise le ridicule"".


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