Revue de presse

H. Peña-Ruiz : "La laïcité n’a rien d’ambigu" (lepoint.fr , 25 jan. 16)

Henri Peña-Ruiz, philosophe, auteur de "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon). 25 janvier 2016

"Alors que deux conceptions s’affrontent, divisant l’Observatoire de la laïcité lui-même, le philosophe Henri Peña-Ruiz tient à simplifier le débat.

Le Point.fr : La laïcité est devenue un principe à géométrie variable. Que dit exactement la loi de 1905 ?

Henri Peña-Ruiz : La laïcité n’a rien d’ambigu. Elle se définit très simplement par trois principes indissociables : la liberté de conscience – un croyant est libre de croire en Dieu, mais il n’engage que lui dans cette croyance ; un athée est libre de nier l’existence de Dieu et de n’affirmer qu’un humanisme athée, mais il n’engage que lui dans cette affirmation – l’égalité de droit sans distinction de conviction spirituelle et l’union des croyants divers, des athées et des agnostiques dans la participation à une sphère publique uniquement dévolue à l’intérêt général. Le bien commun, la res publica, nous permet de dépasser les communautarismes, de nous retrouver dans une sphère publique qui, dans sa neutralité et son indépendance par rapport à toute conviction particulière, permet de fonder la vie commune sur ces trois principes. À partir de là, la laïcité, c’est le principe qui unit tout le peuple (laos, en grec). Son étymologie renvoie à l’unité indivisible de la population, l’union du peuple, sans nier les différences, mais en invitant à considérer au contraire qu’en amont des différences, nous sommes tous des êtres humains, dotés de droits et de devoirs. Liberté, égalité, universalité de la puissance publique : voilà le triptyque qui définit la laïcité.

Comment expliquez-vous qu’on en ait perdu le sens ?

Dès l’origine, quand la laïcité s’est affirmée dans la loi de 1905 comme séparation de l’État et de l’Église, ceux qui jouissaient de privilèges publics – en particulier l’Église catholique – n’ont pas accepté que la laïcité puisse les leur retirer. Quelque part, la résistance à l’émancipation laïque a toujours existé. Aujourd’hui encore, en Alsace-Moselle, c’est le concordat napoléonien de 1801 qui subsiste. [...]

Que répondre à certains théoriciens qui affirment que l’Église catholique a largement contribué à inventer la laïcité ?

Il y a ceux, en effet, qui invoquent la parabole des deux royaumes, et notamment l’affirmation attribuée à Jésus-Christ selon laquelle son royaume n’était pas de ce monde : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! » Mais saint Paul, lorsqu’il explicite la conception chrétienne, dit au contraire que « toute puissance vient de Dieu ». Autrement dit, le pouvoir du roi, du prince, de l’empereur ou autre est une médiation du pouvoir de Dieu. D’ailleurs, Bossuet l’exprime très bien lorsqu’il affirme : « Le roi est le ministre de Dieu sur la terre. » Lorsqu’il s’exprime ainsi, il place clairement la puissance temporelle au service de la puissance spirituelle. Affirmer, comme certains idéologues le font encore aujourd’hui, que le christianisme aurait spontanément décrété la sortie de la religion est un contresens. Il ne s’agit en aucun cas de « sortir » de la religion, mais, plus exactement, de sortir de l’époque où la religion bousculait la norme commune. Victor Hugo, qui était pourtant profondément croyant, l’avait bien compris, qui s’écriait dans son discours contre la loi Falloux en 1850 : « Je veux l’État chez lui et l’Église chez elle ! » Voilà la définition de la laïcité que n’acceptent pas encore un certain nombre de représentants religieux.

Pourquoi sclérose-t-on le débat autour de l’islam, de la radicalisation, du port du voile ?

Certains journalistes ont été malhonnêtes lorsqu’ils ont appelé la loi de 2004, la « loi sur le voile ». Il faut lire le rapport issu de la commission Stasi pour se rendre compte du manque de rigueur de ceux qui ont commenté la loi. Ledit rapport proposait de soumettre au Parlement un projet de loi visant à interdire les signes ostensibles d’appartenance religieuse. Le voile était bien sûr cité, mais aussi la kippa, et la croix charismatique portée par les jeunes catholiques. Il était aussi mentionné dans le rapport que tout signe d’appartenance religieuse devait être interdit dans l’école, non pas par une volonté liberticide, mais parce que l’école n’est en aucun cas un lieu de manifestation. [...]

La loi n’est pas la même à l’école, dans l’espace public, dans la fonction publique, au travail... Ce ne sont pas plutôt ces variables dans les règles de la laïcité qui créent le trouble ?

Non. Il faut bien comprendre qu’il y a des lieux différents dans la société. [...] Le citoyen doit comprendre que, selon les lieux, il y a des choses qu’on peut faire et d’autres non. Si une femme voilée ou un homme portant une kippa entre dans un bureau de poste, ils viennent de la société civile, cela ne pose donc aucun problème. En revanche, si la femme qui est derrière le guichet porte le voile, là, cela pose un problème. Le service public ne peut pas s’afficher à travers ses représentants par un symbole particulier.

Que répondre aux défenseurs d’une laïcité qui se redéfinirait au fur et à mesure que le « paysage religieux » évolue ?

Ce n’est pas à la laïcité de s’adapter aux religions, mais l’inverse. Car la laïcité se définit comme un cadre de conditions qui rend possible la coexistence des diverses options spirituelles. C’est un peu comme les droits de l’homme. Pourquoi figurent-ils en préambule à nos conditions démocratiques ? Parce qu’on considère qu’ils énoncent des principes qui permettent de construire le cadre général qui va accueillir les diverses convictions spirituelles. Ceux qui veulent réviser la loi de 1905 sous prétexte qu’elle avait à l’époque en face d’elle le catholicisme et qu’aujourd’hui elle aurait l’islam se trompent complètement. Certains affirment que le christianisme reconnaît l’indépendance de la sphère privée sur la sphère publique et que l’islam ne la reconnaît pas. L’islam veut que la loi politique traduise la loi religieuse. Mais ce fut aussi le cas du catholicisme ! Remontez ne serait-ce qu’un siècle ou deux en arrière, l’idée que la puissance publique puisse être indépendante de la conviction religieuse est absolument condamnée et insupportable pour l’Église. La différence entre le catholicisme et l’islam n’est pas de nature, mais historique. Il faut éviter de stigmatiser l’islam sous prétexte de condamner l’islamisme politique. Il y a plusieurs islams de la même manière qu’il y eut plusieurs christianismes. Mais, quelle que soit la religion, la donne reste la même : les conditions spirituelles n’engagent que leurs adeptes ; la République, elle, vise l’universel.

Comment enseigner les religions à l’école ?

Il ne s’agit en aucun cas d’« enseigner » les religions. Pas plus d’ailleurs qu’il ne s’agit d’enseigner le communisme, le socialisme ou telle idéologie. Il s’agit d’enseigner la connaissance objective et distanciée des religions. Ce n’est pas du tout la même chose. Par ailleurs, l’univers spirituel des êtres humains ne se limite pas aux religions. Je récuse la formulation retenue par la ministre Najat Vallaud-Belkacem lorsqu’elle dit « enseigner les seules religions ». On doit enseigner la connaissance des diverses convictions spirituelles, de telle façon que les élèves aient une ouverture grand-angle sur tout ce qui a compté dans l’histoire de l’humanité. [...]"

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