Revue de presse

H. Peña-Ruiz : "La fiction de l’identité collective -2" (Marianne, 21 juin 19)

Henri Peña-Ruiz, philosophe et écrivain, Prix de la Laïcité 2014, auteur de "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon). 19 juillet 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans le sillage de la colonisation et de sa critique, comme de la mauvaise conscience qu’elle a entraînée, le souci de reconnaître l’aspiration de chaque peuple à choisir son organisation politique et à préserver son héritage culturel a conduit à consacrer les cultures collectives comme autant de réalités à respecter.

Mais cette consécration est ambiguë, dès lors que sous couvert de tradition, on risque d’entériner tous les usages, et de les soustraire ainsi à l’approche critique, alors qu’ils peuvent recouvrir des pratiques oppressives. L’exaltation du « droit à la différence », construite contre l’ethnocentrisme colonialiste, tend à parer de vertus positives une communauté dès lors qu’elle a été opprimée. Simultanément, le souci de valoriser le groupe comme tel peut conduire à dénier toute autonomie aux individus qui le constituent, en les incitant à s’identifier à ce groupe, sans distance aucune. C’est alors le statut de sujet de droit de l’individu qui est nié. De la conscience victimaire à l’affirmation de soi par retour aux traditions valorisées par quête d’identité, il n’y a qu’un pas, trop vite franchi. Se pose-t-on en s’opposant ?

Sartre ne le pensait qu’au sujet de l’adolescent qui veut s’affirmer en s’affranchissant de toute tutelle de référence, et rejette systématiquement tout ce qui semble relever de ce genre de tutelle. Mais, avec Nietzsche, il tenait pour réactive, donc dépendante à son insu de cela même qu’elle veut rejeter, la posture d’opposition systématique. En réalité, c’est toute l’ambiguïté des notions de culture et d’identité collective que l’on retrouve ici. Supposer que l’alternative se joue entre le rejet global d’une culture et le retour non moins global à une autre culture, c’est se mouvoir dans une conception fixiste et non critique. C’est oublier un peu vite l’acception de la culture entant que processus dynamique d’élévation, mettant enjeu la liberté humaine comme faculté de redéfinir périodiquement ses conditions d’existence.

Tout héritage est susceptible d’inventaire. Si le patrimoine culturel tel qu’il s’inscrit dans les œuvres d’art et les productions intellectuelles, mais aussi les paysages façonnés demain humaine, doit être préservé et respecté, il n’en est pas de même de toutes les pratiques et de tous les usages, ni des normes sédimentées qu’elles attestent. L’identité individuelle est singulière, unique, et elle est incompatible avec toute assignation à résidence communautariste."

Lire "La fiction de l’identité collective (2)".



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