Note de lecture

H. Bouteldja : Le complexe de persécution

par Khaled Slougui, président de l’association Turquoise Freedom. 11 mai 2016

Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous : Vers une politique de l’amour, La Fabrique, 2016.

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Plaidoyer pour la fraternité de Abdennour Bidar, voilà un livre dont je conseille vivement la lecture à Houria Bouteldja ; car elle a besoin de se défaire de cette souffrance atroce qui transparaît dans son livre et qu’on devine être à l’origine d’autant de haine. Lacan parlerait, je suppose, de complexe de persécution.

Je pense très sincèrement que le combat qu’elle essaie de nous faire partager est contre-productif, à contre-courant de l’histoire, irréaliste. Son discours « anti-tout » (anti-colonial, anti-français, antirépublicain, anti laïc, antiféministe, anti art, anti esthétique, anti juif, anti blanc…) est tellement non fondé et excessif qu’il en devient franchement désuet, éculé et anachronique. Il n’y a aucune argumentation digne de ce nom, susceptible de donner de la crédibilité à son discours.

Le monde qu’elle nous propose et l’ordre supposé le régir, c’est un monde d’horreur, de « stupeur et tremblements » aurait dit Amélie Nothomb (une blanche).

J’avoue que j’ai lu son livre d’un trait ; quand j’ai terminé, j’avais l’impression de sortir d’un combat de boxe, j’étais KO. Incroyable ! me suis-je dit, où a-t-elle pu trouver autant de jus ? Certainement pas uniquement dans la haine. La haine tétanise habituellement ; elle paralyse et donne rarement du ressort.

Mais revenons au contenu du livre ; alors que le mot "complexité" est celui qui revient le plus souvent, avec le qualificatif "blanc", le style qu’elle adopte est simpliste, manichéen, binaire. A aucun moment, il n’est possible de relever une question ou le moindre doute ; l’on est dans la certitude totalisante et totalitaire, la certitude au marteau pour paraphraser Nietzsche.

Or, pour le blanc Nietzsche, « ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » et j’espère que cela va la secouer, la bousculer, l’encourager à la remise en cause, ou au moins stimuler en elle le doute.

Voici, pour elle, quelques principes de base de la théorie de la complexité telle que formulée par Edgar Morin [1] (même s’il est blanc) : simplifier sans réduire, et elle est dans la réduction totale ; distinguer sans disjoindre, et elle est tout le temps dans la disjonction, voire la rupture ; substituer le « et » au « ou », et la conjonction « et » est totalement absente de son travail.

Et puisqu’elle cite Frantz Fanon [2], une autre lecture s’impose : « Mon ultime prière, ô mon corps, fais de moi un homme qui toujours interroge ». Visiblement, ce n’est pas ce qui l’intéresse, car tels les islamistes, à propos du Coran et des hadiths du prophète qu’ils sortent de leur cadre contextuel et historique, elle a une lecture sélective, tronquée, pour ne pas dire fausse des auteurs qu’elle cite. Je reviendrai sur Fanon.

Elle veut fusiller Sartre sur la base d’éléments futiles, inconsistants et sans intérêt, car épisodiques et/ou évènementiels. Et que dit Sartre ? « L’existence précède l’essence » (cité par elle), ce qui est, semble-t-il, l’expression la plus accomplie, la plus achevée du doute. L’on comprend ainsi son rejet.

La trame de L’Etre et le néant se retrouve incontestablement dans l’œuvre de Fanon. Et les notions de l’en-soi et le pour-soi, d’autrui (l’autre) y reviennent de façon récurrente. Vouloir opposer ces deux penseurs relève plus de la fantaisie que de l’analyse sérieuse et rigoureuse.

En réalité, on peut douter de sa lecture de Sartre. Elle essaie d’impressionner, mais sa manœuvre n’accroche pas ; pour les âmes bien nées, donc blanches, la distance entre la posture et la conviction, l’engagement, est incommensurable.

Par ailleurs, Descartes la dérange fondamentalement, parce qu’avec son doute méthodique (systématique), il nous appelle à penser. « Je pense donc je suis » (puissance de la blancheur et/ou de la blanchité).

« Il faut douter de tout » nous confirmait Marx que ses amis islamo-gauchistes ont honteusement enterré pour aller flirter avec ses ténébreux pourfendeurs. Mais, si cela peut la réconcilier avec ses racines et son passé, parce qu’elle semble en avoir une connaissance à la fois partielle et partiale, peut -être aussi parcellaire et lacunaire ; un illustre ancêtre, poète, écrivain et penseur de l’école la plus rationaliste de l’islam du IXe siècle, un certain Gahiz (El Djahid, en arabe) nous a légué, huit siècles avant Descartes, une pensée admirable, majestueuse : « 50 doutes valent mieux qu’une certitude ». Elle devrait la méditer ; ce peut être une catharsis pour elle, dans la mesure où cela la libèrerait de l’obsession du juif et du blanc.

Les chapitres sur "vous les juifs", "vous les blancs", ont vraiment de quoi agacer, énerver, et cela au moins pour deux raisons.

Primo, ce discours est franchement réactionnaire et xénophobe. C’est celui que répètent les jeunes radicalisés, totalement sous emprise mentale. Ils ont perdu leur libre arbitre et tout sens du discernement et de la mesure ; ils sont désintégrés dans tous les sens du terme. Voilà donc ce que son discours génère : l’aliénation dans toute sa splendeur.

Secundo, à l’exact opposé de ce qu’elle nous propose, le vrai combat à mener c’est celui de la désaliénation. La victimisation, et les attitudes qui consistent à toujours rejeter la faute sur les autres (le juif, le blanc), à trouver le bouc émissaire, finissent par être lassants, insupportables ; l’alternative c’est d’essayer d’exister « en soi et pour soi » (Hegel), et ainsi « être son propre fondement » comme le criait haut et fort Frantz Fanon. La paranoïa se soigne.

L’identité à laquelle elle est attachée jusqu’à la déraison n’intéresse pas grand monde ; au vrai, une identité inconsciente de soi n’en est pas une, elle peut au mieux s’apparenter à un mimétisme pervers.

L’identité est, en réalité un processus perpétuel, de dépassement, de confrontation et d’acquisition ; elle se construit indéfiniment.

Dans une lecture rationnelle du Coran ; celui du « yousr » (libre cours) ; celui qui s’adresse à « des gens doués de raison » ; celui dédié à « ceux qui réfléchissent », sa religion responsabilise l’individu « chaque âme est redevable de ses actes » Coran. Bien sûr, cette lecture ne laisse aucune place à la platitude, et aux contorsions qui sont la marque de fabrique de ses amis islamistes qui réduisent une culture et une civilisation aux interdits alimentaires, au port de la barbe, au port du voile…Ironie de l’histoire !

Sa religion n’a rien contre les juifs ni les chrétiens « vous ne discuterez qu’avec la plus grande des courtoisies avec les gens du livre » dit le Coran, et les versets sur Marie et Jésus abondent. Mustapha Benchenane [3], dans un très bel article exhorte les responsables musulmans à appeler à célébrer le noël ; c’est aussi cela être dans l’esprit de l’islam, l’islam désaliéné.

Non ! Le racisme n’est pas l’œuvre du blanc ; il n’a ni race, ni couleur, ni religion ; c’est la chose la mieux partagée au monde, l’affirme clairement et simplement Fanon. J’espère qu’elle ne m’en voudra pas de lui avoir ôté un argument.

Pour Montesquieu, le blanc : « Il faut être de son temps » ; c’est en effet, une ineptie de croire que l’avenir (le fameux massir du Coran) peut être envisagé à partir d’un retour au passé. C’est hic et nunc que cela se joue, ici et maintenant.

Un demi-siècle nous sépare des indépendances, et elle est là avec ses amis à toujours s’agripper au passé colonial, recyclant les arguments déclassés que le nationalisme ombrageux leur a fourgués. Nationalisme qui a fait son temps, et qui n’arrive plus à gérer la nouvelle donne née de la disparition du protagoniste (le colonialisme) par rapport auquel il s’est construit, comme l’analyse très justement Abdelmalek Sayad [4]

Il faut lui rappeler que d’autres pays, détruits par la deuxième guerre mondiale (l’Allemagne et le Japon) sont arrivés à renaître, tels des sphinx de leurs cendres pour devenir la 2ème et la 3ème puissance au monde. Il n’y a pas de fatalité de l’histoire qui se fait, ni d’une quelconque destinée prescrite par les dieux.

Le ver est dans le fruit et « le mal est en nous ». C’est en prononçant ces mots que le regretté président Baudiaf a été assassiné (Algérie).

Le mal est bien dans l’islam dont le déclin n’a rien à voir avec le juif ou le blanc. Abdelouahab Meddeb [5] en parle très bien dans son essai Sortir de la malédiction.
Enfin, il n’y a pas d’alternatives à l’intégration ; des hommes et des femmes qui refusent d’être pris en otage, surtout au nom de la religion, s’en sortent très bien en étant dans la république ; ils sont de plus en plus nombreux à faire partie de la classe moyenne ; ils sont des citoyens ordinaires pas des indigènes. Ils n’ont pas besoin de l’amour révolutionnaire, dont on peut se demander comment le concilier avec l’anéantissement de l’autre, le blanc, le juif.

L’amour, la foi se vivent ; elles ne se clament pas.

En restant sur une conception fantasmée de l’islam qui mobilise à outrance l’effet oratoire (ALLAH OUAKBAR), elle occulte le fond et privilégie l’incantation, le folklore. De cet islam ne peut sortir que misère, régression et sous-développement.

Peut-être devrait-t-elle essayer de ré apprivoiser le réel en prenant le monde pour ce qu’il est et non pour ce qu’il devrait être ?

Khaled SLOUGUI,
président de l’association Turquoise Freedom

[1Edgar MORIN, introduction à la pensée complexe.

[2Frantz FANON, Peaux noires, masques blancs.

[3Mustapha BENCHENANE, politologue, enseignant à l’université Paris Descartes.

[4Abdelmalek SAYAD, Histoire et recherche identitaire.

[5Abdelouahab MEDDEB, Sortir de la malédiction : l’islam entre civilisation et barbarie.



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