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"République laïque ou "accommodements raisonnables", un choix de société !" par Guylain Chevrier

Formateur en travail social, docteur en histoire. Intervention au Colloque du CLR « La laïcité en actes », Paris, 17 nov. 12. 4 décembre 2012

La question des "accommodements raisonnables" renvoie directement à la problématique de la diversité culturelle, à la place donc de ceux issus de l’immigration dans notre société, à la question aussi du vivre-ensemble et de quelle manière et pourquoi, et finalement, au choix de notre modèle politique.

On ne cesse de répandre l’idée qu’il faudrait enfin intégrer que nous sommes divers et multiples, en en tirant l’appellation d’ordre général de "société multiculturelle" pour la France, comme un fait accompli indiscutable.

Ne pas vouloir le voir serait comme une injustice historique, une discrimination au regard d’une réalité que l’on dénierait ainsi sous la suspicion d’intentions discriminatoires, xénophobes.

Une chose vite entendue par cet amalgame d’autant plus facile que dédouanée de la moindre prise de distance au nom de ses bonnes intentions, qui rabat vers l’extrême droite toute critique de ce constat, lui offrant par là même un boulevard. Une démarche nuisible à la capacité de réponse de notre République, de ses acteurs politiques ainsi intimidés par le jeu dangereux de cette prise en tenailles. La situation n’est pas ici facile, d’autant qu’à l’échelle locale, les revendications identitaires et communautaires se traduisent dans des demandes d’ "accommodements raisonnables" qui ne cessent de se multiplier ou même, de tenter de s’imposer par la politique du fait accompli.

C’est dans ce contexte que l’on tente de s’inspirer d’autres modèles et particulièrement du modèle politique anglo-saxon, plus précisément du modèle canadien, fondé sur la reconnaissance des identités dans les grandes largeurs, qui voit dans les communautés l’interlocuteur légitime du législateur. C’est ainsi que les "accommodements raisonnables" qui culminent dans la discrimination positive, dominent ces sociétés qui se réclament d’une « démocratie culturelle ».

"Accommodements raisonnables", la réponse du rapport Bouchard-Taylor : « laïcité ouverte »

Cette pratique a conduit à une "crise" avec, dans les années 2006-2007, un grand nombre d’affaires portées devant les médias au Canada et spécialement au Québec qui est la terre d’élection de cette approche multiculturelle de l’organisation de la société. Afin de répondre aux expressions de mécontentement qui se sont élevées dans la population sur ce qu’on a appelé les « accommodements raisonnables », le Premier ministre du Québec, M. Jean Charest, a annoncé le 8 février 2007 la création de la "Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles". Cette commission porte le nom de Bouchard-Taylor (du nom de ses deux présidents). Elle a délivré un rapport qui est le plus connu dans le genre, dont quelques extraits nous éclairent : " (...) Le propre de l’accommodement est de remédier, au moyen de certains aménagements, à des formes de discrimination qui surviennent parfois dans l’application d’une norme ou d’une loi par ailleurs légitime (...) L’obligation d’accommodement exige qu’il y ait discrimination, ce qui doit être déterminé en se référant aux chartes." La Charte canadienne des droits et libertés reconnaît le droit de pratiquer librement sa religion et fait état des « limites raisonnables » aux droits fondamentaux. Des exemples d’accommodement concernent le port de signes religieux dans les lieux publics (voile à l’école) ainsi que le kirpan (Le kirpan est une arme symbolique s’apparentant à un poignard, portée par les sikhs orthodoxes pour rappeler le besoin de lutter contre l’oppression et l’injustice touchant leur minorité) l’obtention de congés pour motifs religieux, des demandes d’exemption pour certains cours, des demandes de lieux de prière dans des édifices publics, l’aménagement des soins concernant la non-mixité, etc.

Ce rapport a tout simplement pour fil rouge ce qu’il nomme lui-même « la laïcité ouverte ». Par exemple, à propos de la loi française d’interdiction des signes religieux ostentatoires dans l’école publique du 15 mars 2004, on y dit que « l’attribution à l’école d’une mission émancipatrice dirigée contre la religion n’est pas compatible avec le principe de la neutralité de l’État entre religion et non-religion ». On devrait donc renoncer à la mission émancipatrice de l’école que l’Etat a pour rôle pourtant de garantir, pour ne pas être accusé de s’en prendre aux religions ! On parle de la France comme pratiquant une « laïcité restrictive ». On comprend ainsi la laïcisation de l’enseignement et son respect par chacun dans l’école, comme une guerre contre la religion ! Que reste-il de la laïcité, une fois appliquée cette « laïcité ouverte » où le droit à la différence, les religions priment sur tout, y compris sur un rôle de l’Etat normalement garant de l’intérêt général ? Qu’un mot creux !

Le Comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu scolaire, mis sur pied par le ministère de référence au Québec, en octobre 2006, a lui aussi publié un rapport éloquent sur cette démarche. On y évoque la nécessité d’une société inclusive, réduisant encore la notion même d’intégration à celle de la simple occupation d’un espace auquel il faudrait faire la place. Il ne suffit pourtant pas d’avoir un emploi ou la nationalité d’un pays pour s’intégrer, mais en partager les valeurs communes qui relient les individus dans un tout auquel chacun peut s’identifier comme son bien. Vivre ensemble ne saurait signifier une juxtaposition de communautés culturelles ou religieuses partisanes s’ignorant, dont la société serait le terrain de concurrence voire d’affrontement. La société doit rester un projet politique commun fondé sur l’intérêt général, aucune société n’étant longtemps viable à n’être conçue que comme une addition de différences.

On le sait, le rêve d’individus séparés vivant dans des communautés entretenant des relations d’amitiés vole bien vite en éclat dès que les intérêts se distordent au gré des aléas économiques et sociaux, comme régulièrement les banlieues des grandes villes anglaises en donnent le spectacle à travers des affrontements intercommunautaires.

Dans ce rapport, « on se propose des repères communs applicables à la recherche de solutions modulées en vue de favoriser l’éducation au vivre ensemble dans une école et une société démocratiques et pluralistes. » Les intentions sont louables mais le résultat au regard de la garantie des libertés et droits individuels bien discutable.

On explique que cette façon de concevoir la place de la diversité permet un dialogue qui façonne les repères communs. Encore faut-il qu’il n’aboutisse pas à créer, par des "accommodements raisonnables" sans fin, des mises à part, un communautarisme qui enferme et auto-exclut. On incite ainsi à l’ouverture des élèves sur les références morales et culturelles de son milieu et sur l’interculturalité. Mais derrière cette préconisation on laisse largement aux communautés le soin au Canada de régler la question des relations relatives à la famille, jusqu’au risque de tribunaux islamiques comme cela a été le cas en Ontario. Il résulte de cette laïcité « ouverte » une assignation systématique des individus à un groupe communautaire de référence dont ils ne peuvent que difficilement se départir. Une femme de telle communauté ne sera ainsi pas égale, dans une société de droit qui pourtant dans le principe le propose, avec une autre. Quel déni par la réalité des intentions de départ, qui devrait faire réfléchir à deux fois les chantres en France de ce modèle qu’ils décrivent comme le seul juste à respecter les différences, ce qui conduit finalement à l’oubli de l’égalité, à l’oubli de la liberté qu’elle constitue, entre autres, pour les femmes.

Contrairement au rapport Bouchard-Taylor on entend dans celui-ci une certaine inquiétude, car on y explique que « de manière variable, les discussions se poursuivent également ailleurs, au Canada, aux États-Unis et en Europe, marquant une étape dans l’évolution du rapport au pluralisme dans bien des sociétés et dans la reconstruction des cadres normatifs ». A cet égard, on fait étonnement référence à la loi issue de la commission Stasi d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l‘école publique et à la Charte de la laïcité dans les services publics rédigée par le Haut conseil à l’intégration. Comme quoi précisément on mesure les difficultés à faire société sur de tels fondements et comment, l’exemple français laïque intéresse le monde, contrairement à l’idée défendue par certain de son caractère d’exception française inapplicable ailleurs parce que le terme laïcité serait intraduisible en anglais.

"Accommodements raisonnables" en France : une évolution dangereuse

Mais la France n’est pas en reste sur la question des accommodements dits raisonnables. Une enquête réalisée par le défenseur des droits sur les cantines scolaires qui vient d’être réalisée fait apparaître qu’il n’y aurait que très peu de demandes religieuses. Et pour cause, elles ont été le plus souvent déjà satisfaites en aménageant la règle. Si l’adoption des menus sans porc a pu apparaître comme une solution avantageuse à dépasser une « pomme » de discorde, des tables se sont créées et des groupes se sont formés sur des bases ethnico-religieuses problématiques. Les plats sans viande on aussi fait flores pour pallier à la demande de viande halal, justifiant finalement que des parents puissent imposer à leurs enfants de sauter la viande au repas du midi. Mais plus loin aussi, cette démarche identitaire, qui tourne au communautaire, prépare une société bien fracturée derrière la banalisation des accommodements raisonnables, de ce qui apparaît comme la simple prise en compte du cas par cas.

On rencontre de plus en plus de jeunes files portant le voile dans les établissements de formation en travail social. Etant en formation, le droit les autorise à ces manifestations de leur religion. Pour autant, on peut s’interroger du comportement de ces futurs professionnels du travail social qui sont censés être porteurs de politiques sociales qui sont des politiques publiques, par essence neutre, qui impliquent normalement l’absence de tout signe religieux, un devoir de discrétion qui va avec le respect de l’usager, sans parler encore de l’égalité homme femme d’emblée biaisée. Plus, en interrogeant ces jeunes filles sur la question de leur rôle quant aux missions de prévention santé/sida, droit à l’avortement, à la contraception, il n’est pas rare d’entendre expliquer qu’en raison de leurs convictions religieuses elles rejettent ces missions, interrogeant leur rôle vis-à-vis de la santé même de l‘usager, de sa sécurité. La dimension sanitaire et sociale devrait voler ici en éclat au nom du respect de la religion. Cette situation est-elle vraiment tenable sur le long terme sans réagir ?

D’autres participent à leur façon à ce mouvement. Les aumôneries catholiques de Paris vont à la pêche aux fidèles dans les lycées parisiens. La fédération des parents d’élèves (FCPE) a mis les pieds dans le plat en interpellant le nouveau recteur de l’Académie de Paris sur le sujet. Lors de la dernière rentrée, les 2000 élèves et étudiants du lycée Buffon (XVe) ont reçu des mains de leur professeur principal une invitation à rejoindre l’aumônerie Buffon « pour l’amitié entre les jeunes dans une ambiance chrétienne ». Le tract, dans une enveloppe blanche cachetée, était glissé entre le règlement intérieur du lycée et le calendrier des réunions des associations de parents d’élèves.

« Nous nous étonnons que dans un Etat laïque - avec séparation de l’Eglise et de l’Etat depuis 1905 - soient distribués massivement dans un établissement public de tels documents », s’est insurgé la FCPE Paris. Une pratique qui a également eu lieu dans les collèges voisins de Staël et de Duhamel (XVe).

On remarquera au passage que les aumôneries ne sont censées être présentes que dans les lieux fermés tels les hôpitaux ou les internats selon la loi, en aucun cas dans les collèges ou lycées. On voit ici toléré un prosélytisme d’une Eglise catholique qui participe de favoriser les revendications de ré-encadrement de la société par les religions et une logique multiculturelle qui s’y nourrit.

Depuis quelques années, on assiste à la montée en puissance de revendications ressortissant à l’expression religieuse dans l’entreprise. Toute contrainte ou entrave à la liberté religieuse relèverait de la discrimination.

Port de signes religieux parfois incompatibles avec la fonction exercée, demande d’horaires aménagés en vue de prières, de repas respectant un caractère cultuel, jours de congés pour fêtes religieuses considérées comme un droit indépendamment des obligations de service, vestiaires utilisées comme salle de prière sans l’autorisation de l’employeur ou les lavabos de toilette pour des ablutions. Des revendications essentiellement portées par des employés de confession islamique.

On rapporte des situations où les "accommodements raisonnables" ont pris complètement le pas sur les pratiques communes comme celui du repas du personnel où on a fait le choix de la viande halal pour prétendument mieux permettre à tous de participer, de s’intégrer, faisant passer pour inapparent le problème. C’est sans compter avec le rejet que peut créer ce type d’attitude chez ceux qui, majoritaires, se voient imposer la règle de la minorité et manger de la viande marquée par une religion dans l‘irrespect totale de leur liberté de conscience, sans rien pouvoir dire face au risque du procès en racisme. S’imagine-t-on bien les conséquences politiques à moyen-long terme qui peuvent ressortir du ressentiment ainsi créé, relativement à sa traduction négative dans les urnes ? Est-on à ce point inconscient ?

A l’hôpital ce n’est pas mieux. Là, trois quarts d’heure sont nécessaires pour convaincre une femme qui se plaint d’avoir mal aux oreilles d’enlever son voile enroulé autour de la tête pour se faire examiner ; ailleurs, une jeune fille s’accroche à ses vêtements, excluant de s’en défaire pour passer au bloc opératoire ; des mères récusent des pédiatres de sexe masculin pour leurs petites filles parfois âgées de quelques jours ; des maris refusent les soins pour leurs épouses au risque de mettre leur santé en danger sous prétexte de pudeur ; une famille qui visite une femme hospitalisée qui est voilée transforme la salle d’attente en salle de prière sans que le personnel alerté par une autre personne gênée, ne réagisse. Ailleurs, c’est la chambre qui sert de salle de prière et le cabinet de toilette pour faire des ablutions aux visiteurs d’une femme alitée au mépris d’une autre femme occupant le second lit qui se plaint et à laquelle on répond par le laisser-faire.

Encore ailleurs, ce sont les sapins de Noël que l’on ne met plus dans des écoles à la demande de parents d’autres religions que la religion catholique, sous prétexte que cela serait discriminatoire… Pourtant, on sait combien Noël est une fête laïcisée qui n’a plus, pour l’immense majorité des Français, de connotation religieuse, pas plus non plus d’ailleurs que le caractère consumériste que cette fête a pris pour les grands magasins loin de toute propagande religieuse. C’est le recul d’un repère commun qui là encore produit du ressentiment, par le fait qu’une toute petite minorité impose sa loi, au nom d’une religion contre une autre dans l’école elle-même, une école censée avoir pour mission de fédérer autour de valeurs collectives, dont, non pas la naissance de Jésus, mais l’enchantement du Père Noël…

Si le rejet de cette fête religieuse laïcisée est d’autant plus fort chez ceux qui entendent l’effacer du champ commun, c’est bien parce qu’elle l’est. Cela a à voir avec la volonté de ceux qui mènent ce genre de charge, à maintenir tout ce qui vient de la religion dans le sacré, pour mieux pouvoir demander la reconnaissance de nouveaux jours fériés au nom de la religion qu’ils y opposent.

Des "accommodements raisonnables", nous en avons effectivement de différents ordres, parfois qui donnent le mauvais exemple au plus haut niveau des responsabilités.

Ce fut le cas lors des derniers Jeux Olympiques à propos d’une judokate saoudienne combattant avec le foulard sous prétexte selon Jacques Rogge, le président du CIO, que ce dernier aurait lutté pour permettre la présence aux Jeux de sportives d’Arabie Saoudite, du Brunei et du Qatar. Une victoire donc à ses yeux qui méritait cet accommodement. Sauf que, la judokate en question n’a pas tenu sur le tatami montrant qu’elle n’avait aucune compétence pour être là en dehors de servir de faire-valoir à la remise en cause des principes de la Charte olympique, et tout particulièrement de l’égalité homme-femme. On a ainsi offert une superbe régression à ces principes, à valider sur la base de la charia la participation de cette jeune fille : le port d’une tenue islamique, la présence d’un parent proche et la non-mixité des épreuves pour toutes les femmes de la sélection olympique !

On se rappelle de l’ancien chef de l’Etat qui, avant de le devenir, en 2005, prônait la discrimination positive dans une interview donnée au journal Le Figaro pour expliquer que : « Proclamer l’égalité devant la loi ne suffit plus : il convient désormais de promouvoir aussi l’égalité par la loi ». Ceci, jusqu’à vouloir inscrire le principe de diversité dans notre Constitution, lorsqu’il ne voyait pas dans le pasteur un meilleur éducateur que l’instituteur.

On parle ainsi de la reconnaissance de la diversité comme composante essentielle des droits humains. A ces demandes en France d’ "accommodements raisonnables" qui sont liés à cette idée, il y a une explication de texte à avoir.

Les défenseurs de la cause identitaire font toujours prévaloir la non-discrimination plutôt que le principe d’égalité, tel que c’est le cas de Dounia Bouzar, pour justifier bien des "accommodements raisonnables" en lieu et place de l’intérêt général (voir ses ouvrages : La République ou la Burqa. Les Services publics face à l’islam manipulé ou Laïcité mode d’emploi). Ainsi, si l’école est le théâtre d’absentéisme sur une semaine au moment de la fête de l’Aïd, d’adolescents crachant par terre au prétexte que le coran leur interdit d’avaler leur salive durant le ramadan, où d’affiches déchirées ou barbouillées parce qu’elles représentent des figures humaines, ce serait le fait de trop discriminer les jeunes d‘origine maghrébine, notre société les pousserait ainsi vers une religion devenue un refuge. Certains jeunes chercheraient dans le rigorisme de la religion à mieux supporter un présent qui leur est si hostile. Certaines jeunes filles qui utilisent les enseignements du prophète pour opposer aux traditions et coutumes qui prétendent les tenir à l‘écart des études, leur imposer un mari ou la virginité avant le mariage, suivraient le même chemin. Autrement dit, aux tentatives de confessionnalisation de la société, on devrait opposer une laïcité comme système permettant à tout le monde de vivre en commun par la reconnaissance des identités de chacun.

Ainsi, selon cette analyse, on commence par donner l’impression de s’en prendre aux "accommodements raisonnables" mais finalement on suggère une laïcité à géométrie variable s’adaptant aux demandes identitaires de chacun, selon une logique de non-discrimination contrebalançant le sentiment d’exclusion par discrimination. Une autre version de la laïcité « ouverte » dont on voit bien le glissement par victimisation.

S’il existe des faits de discrimination, les comportements en référence et les traditions citées telles qu’elles sont ainsi mises en avant ne sauraient se justifier du fait pour le moins improbable des discriminations qui domineraient. La France fonde son école sur le principe d’égalité (en termes d’obligations de moyens car l’égalité réelle n’existe pas), pour faire que l’on puisse dire aujourd’hui, selon une étude récente de l’Observatoire des inégalités, que les enfants d’immigrés réussiraient mieux à l’école que ceux issus du cru, et les enfants d’origine maghrébine aussi bien que les petits Français d’origine (37%).

Aussi, le fait que ces jeunes musulmans s’identifient à des traditions d’un autre âge et rejettent les valeurs de la société française, ne tient-il pas plus des références religieuses qu’on leur donne ?

En matière de liberté d’expression, on cultive du côté du Conseil français du culte musulman le délit de blasphème à la moindre caricature par des mises en procès. Et ces jeunes de la cité de Mohamed Merha qui se réclament de lui comme d’un héros, comme en a témoigné la mère du jeune français musulman première victime de cet islamiste intégriste, qui est allée à leur rencontre ? Un fantasme selon le représentant du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri, Président de l’Observatoire « des actes islamophobes » sur le plateau de l’émission Mots croisés (France 2, le 24 septembre 2012), consacrée au thème : « Islam : où est le problème ? » (http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/emission-mots-croises-france-2-123234.)

« Le droit est sans prise sur la foi » comme aiment à le dire dans leur livre les deux avocats de la mosquée de Lyon et de Paris (Droit et religion musulmane, Dalloz, pages 35-36) qui rejettent le principe du droit de changer de religion avec la Déclaration universelle des droits de l’homme où il figure, dans la continuité avec le coran, au nom de vivre sa religion de façon authentique. N’est-ce pas là où il faut voir les appuis du rejet de l’intégration qui fait le terreau de l’intégrisme, du communautarisme qui fracture la société et détruit le lien social tel qu’il a été conçu en France sous le signe de la fraternité et du mélange ? N’est-ce pas cela qui favorise cette extension du port du voile dans notre société signifiant l‘interdiction de l’union au-delà de la communauté de croyance s’opposant à une France qui est le premier pays d’Europe pour les couples mixtes ?

Rien, aucune analyse non plus sur le lien à faire avec la nouvelle donne issue du Printemps arabe transformé en cauchemar, avec le climat international d’un islam radical qui partout prend le pouvoir dans les pays arabo-musulmans non sans influer sur les velléités d’accommodements raisonnables de certaines franges de musulmans chez nous.

Plutôt que les discriminations encore, ce mouvement de mise à l’écart communautaire ne serait –il pas aussi influencé par les islamistes d’oumma.com et des Indigènes de la République, meneurs d’un radicalisme religieux en France rarement dénoncé, qui ont empêché que Caroline Fourest, militante féministe et laïque, puisse s’exprimer à un débat organisé à la dernière Fête de l’Humanité sur le thème : « Comment combattre le FN ? »

Selon un sondage Ifop/Le Figaro, 68% des Français estiment que les musulmans sont mal intégrés dans la société parce qu’ils le refusent.

Jacques Bourgoin, le maire PCF de la ville de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), avait suspendu quatre animateurs pour avoir observé le jeûne du ramadan. Raison invoquée : la sécurité des enfants, leur contrat mentionnant en effet l’obligation de se restaurer pour être "en pleine possession" de leurs moyens physiques. Hassan Ben M’Barek, président de l’association Front des banlieues indépendant (FBI), à la suite de cette décision a déposé plainte auprès du commissariat de Gennevilliers, estimant que le motif invoqué par la mairie, la sécurité des enfants, "masque une discrimination à l’égard d’une pratique musulmane". Devant les vives réactions déclenchées par sa décision, le maire a fait machine arrière. L’élu assure n’avoir "jamais voulu" faire de discrimination. En réalité, le maire était dans son bon droit et il n’y avait là aucune discrimination mais l’application d’un règlement qui devait être respecté, relayant ce qui apparaîtrait comme de bon sens pour tout parent normalement constitué, de voir assurée la sécurité de son enfant. On sait qu’il y a précisément régulièrement des malaises chez les personnes qui pratiquent le ramadan, spécialement l’été où les journées sont longues, d’autant plus lorsqu’il s’agit au bout de plusieurs semaines de jeûne d’accompagner des enfants dans un cadre d’activités physiques quotidiennes. Le respect des enfants, de leur droit à la sécurité, ne devrait pas être négociable, au nom de quelque culture que cela soit ! C’est pourtant le contraire qui s’est effectivement passé, et le point de vue religieux qui l’a emporté contre le sens de l’intérêt général, contre la sécurité des enfants, dans ce contexte pesant dont je viens de décrire quelques traits.

Autre aspect, Le Nouvel Observateur en 2010 a été lourdement condamné en référé sur la plainte de la chanteuse Diam’s. Sa faute ? Avoir évoqué la conversion de la chanteuse. L’hebdomadaire avait été condamné pour atteinte à la vie privée et au droit à l’image.

Mais qu’avait donc fait le Nouvel Observateur pour mériter ça ? Il a publié dans son numéro 2354 du 17 décembre 2009 une enquête intitulée « La France et ses musulmans ». Avec, en couverture, une photo de Diam’s et à l’intérieur un court article évoquant sa conversion à l’islam et au voile. C’était apparemment suffisant pour être condamné au nom du principe qui veut que les convictions religieuses relèvent de la vie privée.

Désormais, sous peine de finir devant un juge des référés, il ne faut donc plus écrire qu’une personne s’est convertie à une religion, mais qu’elle « a cessé d’être athée » avait commenté avec humour un journaliste.

Ne laissons pas trop longtemps aux tribunaux le soin de définir une jurisprudence dans ce climat, comme l’avait fait Lionel Jospin de façon catastrophique lors de la première affaire du voile à l’école en refusant de poser clairement la règle. Car, cela risque fort d’être au final défavorable au respect de nos grands principes, au regard d’une logique de non-discrimination dans la continuité d’un climat sur ces questions qui joue d’influence en faveur de la reconnaissance des particularismes comme supérieurs à la règle commune, lorsqu’il est question de répondre à des cas particuliers qui convergent pour en réalité, représenter une démarche communautaire de plus en plus ostensible, qu’il faut déminer.

D’ailleurs, la loi du 15 mars 2004 s’est imposée contre bien des critiques en réglant une question de fond par une intervention directe de l’Etat qui a fait ses preuves en apaisant généralement les choses. On pourrait ici se rappeler les propos de René Rémond, historien, en mars 2005 lors d’un débat public à l’IEP de Grenoble pour le Centenaire de la loi de séparation, qui expliquait que « la loi sur le voile » était « réductrice, réactionnaire » qu’il jugeait « discriminatoire » accusée de réduire « la liberté individuelle ». Aujourd’hui, contrairement à ces propos, dans les situations qui sont rencontrées la loi permet d’autant mieux le dialogue qu’il se fait sur la base d’une règle qui vaut pour tous, éloignant la suspicion en discrimination qui était renvoyée sur telle ou telle responsable d’établissement refusant le voile dans les cours, dans une situation précédant la loi où tout était abandonné à l’appréciation du local.

Pour autant tout n‘est pas réglé comme le révèle Le Nouvel observateur de cette semaine dans un dossier consacré à ce problème de revendications identitaires. Il attire l’attention sur des élèves du Lycée auguste Blanqui de Saint-Ouen qui viennent en cours avec de longues robes de couleur sombre appelées des abayas, ostensiblement religieuses. Elles sont soutenues dans cette démarche par un imam, membre du collectif Cheikh Yassine, un groupe ultra-religieux qui désigne la loi du 15 mars 2004 comme liberticide.

Pourtant, on nous dit que l’Etat devrait rester neutre et que ce serait dans ce sens qu’il faudrait interpréter la loi de séparation. Faire autrement et demander l’intervention de l’Etat ce serait de la stigmatisation, voire du racisme. On en viendrait à se pincer pour être sûr de ne pas rêver !

Non, l’Etat n’a pas à être neutre, il doit pouvoir fixer la limite lorsque les libertés et droits fondamentaux, le lien politique qui rattache le citoyen à la cité est directement mis en cause, c’est même son rôle primordial. N’est-ce pas par essence le rôle du législateur que de veiller au respect de notre Constitution et des droits et libertés fondamentales, et de corriger la trajectoire si des événements viennent à interroger nos institutions pour mieux leur rendre leur force, ces institutions que l’Etat protège lorsque les circonstances l’exigent ? De ce point de vue, la tolérance qui existait concernant le port du voile intégral avant la loi d’interdiction qui la frappe était un des pires "accommodements". Il livrait des femmes à la suppression de leur identité dans l’espace commun en enterrant leur droit derrière cet effacement de leur regard. Comment la République aurait pu tolérer plus longtemps un tel phénomène directement inspiré d’une interprétation de la religion qui entend soumettre les femmes à une condition qui la fait régresser de plus de mille ans !

La question de l’interdiction de signes religieux ostensibles, pour les parents participant à l’encadrement de groupes scolaires pendant les heures d’école, est revenue en force dans le débat public à plusieurs reprises. Le Premier ministre, François Fillon, pouvant dire être "très attentif à ce que la solution ne soit pas stigmatisante pour l’enfant", soulignant encore qu’il était "difficile pour un enfant de voir sa mère exclue".

On voit ici évoquée la sensibilité de l’enfant, le ressenti de l’individu (l’enfant ou la mère), présentés ici comme froissé ou blessé, qu’on oppose implicitement à la jurisprudence qui elle va dans le sens de l’interdiction, tendant à donner raison à la logique des convictions religieuses.

Cette dernière pourtant ne souffre pas débat : « lorsqu’un parent encadre des activités scolaires "la jurisprudence du Conseil d’Etat engage la responsabilité de l’Etat à leur égard s’ils sont victimes d’un accident durant les activités d’encadrement ou les sorties scolaires". Ainsi, un arrêt du tribunal administratif de Paris de septembre 2007 a condamné un Inspecteur de l’Education nationale et un Inspecteur d’académie pour avoir refusé la prise en charge des frais inhérents à un accident survenu à un parent accompagnateur de sortie scolaire. Le juge a clairement défini que le parent "se trouvait chargé temporairement de responsabilités par l’Education nationale", avec les droits et les devoirs que cela implique. C’est ce principe jurisprudentiel que le Haut Conseil, dans un avis de mars 2010, a souhaité voir rappeler, et conforter le cas échéant, par circulaire. »

Luc Chatel, le ministre de l’Education, s’était exprimé en faveur de l’interdiction et donc du respect du principe de laïcité : « Il y a un principe qui doit être non négociable, c’est un principe de neutralité et de laïcité de notre système éducatif », avait-t-il affirmé. Vincent Peillon, l’actuel ministre de l’Education, interrogé sur la possibilité de faire que cela soit formulé en toutes lettres dans le règlement intérieur des établissements a répondu qu’il n’irait pas au-delà de ce qu’a fait son prédécesseur. Ceci, dans l’attente de voir si un recours serait formulé à l’encontre du jugement favorable à l’interdiction du Tribunal administratif de Montreuil (93), non sans risques.

Les religions n’ont rien à craindre de la laïcité, de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat qui garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

Contrairement aux allégations d’un Tariq Ramadan trop souvent relayées, il ne s’agit nullement de garantir l‘égalité de traitement devant la loi des religions ici, mais de garantir une liberté fondamentale à chaque citoyen, qui est de ne pas se voir empêché, dans le respect de la loi, de pratiquer sa religion, car il n’y a dans notre « Etat de droit », que des individus de droit, s’en est même la condition. Consubstantiellement, aucune logique communautaire n’y existe en matière de libertés fondamentales, tel que l’impose notre Constitution, sa hiérarchie des normes. La laïcité n’est pas une forme de conviction à côté des autres mais bien le principe qui les autorise toutes dans le respect du droit, de la loi.

L’historien de la question sociale Pierre Rosanvallon mettait en garde dans son livre La Nouvelle question sociale, en 1995, sur le risque, avec la crise économique et sociale, d’une demande de réparation généralisée prenant toutes les formes, dans laquelle s’engouffre aujourd’hui le multiculturalisme.

N’est-ce pas ce à quoi on assiste avec la fameuse gageure d’une République multiculturelle que défend un certain Lilian Thuram, soutenu par combien de personnalités et d’hommes politiques, pourtant prônant une société multiculturelle vaporisant notre République. Sans compter encore avec le CRAN, le "Conseil représentatif des associations noires", qui se revendique sans ambiguïté comme porteur d’intérêts propres aux gens de couleur.

On entend d’ailleurs dans le même état d’esprit repenser la politique de la ville selon un nouveau modèle de l’action sociale appelé le « community organizing », qu’entend valoriser le dernier rapport de l’association Terra Nova, dont des extraits ont été récemment publiés dans le journal Le Monde. Venu des pays anglo-saxons, ce modèle prône la mise en place de conseils de quartier dit « réellement représentatifs » ne comprenant pas les « habitants méritants aux yeux du personnel de la mairie » pour porter les projets de la politique de la ville, mais « sélectionnés en fonction de leur pays d’origine, de leur genre, de leur âge… » Les actuels animateurs des comités de quartier qui sont pourtant souvent très impliqués et militants associatifs apprécieront ce jugement a priori, pour les remplacer par une représentation ethnico-identitaire outrancièrement considérée comme plus juste !

On voit se multiplier les initiatives dans ce domaine, sous couvert d’égalité des chances qui renverrait par l’équité à une « égalité réelle » ringardisant l’égalité de tous devant la loi, sous prétexte que cette dernière ne serait qu’un leurre au regard des inégalités qui se creusent à la faveur de la crise économique qui tance notre société. Il serait question de développer ici un nouveau « pouvoir des citoyens ». Mais de quelle citoyenneté parle-t-on ? Et puis, le jeu en vaut-il la chandelle car quelle démocratie pourrait bien ressortir de cette logique des assignations et des minorités ? Quel sens pourrait-on donner à une démarche qui modifie à ce point le sens de notre vivre ensemble ?

Cette voie qui serait à suivre, ne serait évidemment pas sans conséquences, tout particulièrement au regard des droits fondamentaux qui définissent précisément la citoyenneté, le lien social, les droits et libertés de l’individu jusqu’à notre République laïque et sociale. Le community organizing est le reflet d’une société multiculturelle organisée sur un mode de séparation selon l’origine, la race, la religion, la couleur, promouvant l’auto-discrimination, totalement antagonique avec l’esprit républicain de nos institutions. C’est pourtant un modèle qui est en bonne place au milieu de ceux mis en avant, dans une revue comme les Actualités sociales hebdomadaires (ASH), qui est la bible des travailleurs sociaux.

Pour résoudre les inégalités on veut faire croire qu’on pourrait passer par un système de réparation généralisé ciblé selon des déterminants identitaires, la fameuse discrimination positive. Toute positive qu’elle se dise cette discrimination reste ségrégative tournant le dos à nos plus chères valeurs. C’est en fait jouer « le droit à la différence » contre les droits de tous, pour aboutir à la différence des droits et à la négation de l’égalité. Une égalité conquise de haute lutte par le peuple imposant son influence sur le cours de l’histoire, celle de l’intérêt du plus grand nombre sur tous les intérêts particuliers et les égoïsmes.

Le retour des religions, pour encadrer la société, et le multiculturalisme, entraînent la France dans une démarche aventureuse contre le peuple dans un contexte de crise de sa place. Derrière des valeurs de tolérance en apparence généreuses on cède en fait aux effets d’une crise d’un système qui met en pièces l’idée même de faire société. On passe par profit et perte ce qui est sa cause, son sens : la volonté générale représentée par le corps civique, non un conglomérat de communautés concurrentes.

Selon certains, la laïcité ne serait pas un principe juridique mais une idéologie, voire un mythe. La loi de 1905 serait dépassée et s’opposerait même aujourd’hui à des rapports apaisés entre la République, les religions voire les nouvelles communautés ethnico-identitaires postcoloniales. C’est l’idéal égalitaire qui fonde la laïcité qui est en premier lieu ici attaqué parce qu’il fait précisément obstacle au communautarisme, parfois en usant de l’alibi colonial.

On voit aussi poindre les risques d’une clientélisation politique du multiculturalisme. La tolérance bienveillante du Conseil d’Etat qui a multiplié les arrêts ouvrant la voie au financement public des cultes par des dispositions dérogatoires à la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, joue aussi ici son rôle. Entre autres, on peut citer la conception extensive validée par lui du financement des activités culturelles sous l’appellation de « l’intérêt public local » qui a abouti par exemple au Mans à autoriser le financement d’un abattoir rituel pour l’Aïd-el-kébir pour un montant de 380.000 euros supportés par les contribuables ou encore à Montpellier, la mise à disposition d’une salle polyvalente qui n’en a que le nom, sur les deniers publics, transformée en lieu de culte.

On remplace de plus en plus la laïcité par le credo de l’égal traitement des religions qui attaque de plein fouet la liberté de conscience, droit de croire ou de ne pas croire. On pousse ainsi dans le sens d’une société multiculturelle fondée sur la reconnaissance des religions comme identités première dans l’ordre du droit, jetant les individus dans des logiques communautaires qui remettent en cause l’égal traitement de chacun devant la loi et l’autonomie de l’individu, sa liberté de choix.

Travail social et laïcité : soutenir la proposition de la sénatrice Françoise Laborde

Le travail social est en première ligne devant cette question de la différence culturelle. A ce propos on croit pouvoir affirmer que « lui qui justifiait son action par l’égalité formelle de traitement entre tous les citoyens fait face désormais, à la conscience de vivre dans des sociétés multiculturelles et doit affronter la redoutable question de la différence, au prix de tensions, de contradictions et d’interrogations sur ce qui fonde sa déontologie ». En réalité, c’est un faux débat, car les personnes qui vivent en France, qu’elles soient de n’importe quelle origine, doivent respecter la règle commune, et le travailleur social acteur de droit auprès de l’usager se doit de remplir ce rôle que de leur en transmettre le message éclairé.

Bien sûr il ne s’agit pas de nier la réalité des diverses origines ou cultures, mais de les prendre en compte pour mieux emmener tout usager des politiques sociales sur le même chemin de droit que tous, et de transmettre les exigences collectives propres à notre modèle politique, social et laïque, comme voie commune de l’intégration sociale. Quitter ce chemin, ce serait à terme faire perdre ses droits à celui dont on flatte la culture, trahir la garantie de sa liberté individuelle derrière la logique communautaire sous-jacente à la question de la diversité.

Mais c’est surtout que certains voient ici l’opportunité d’imposer la logique des cultures comme réponse à la diversité des usagers en faisant ainsi propagande de leur cause, qu’elle soit politique ou religieuse. On voit aujourd’hui apparaître des travailleurs sociaux qui, dans des établissements s’autorisent ici, l’un, à offrir un tapis de prière à un enfant qu’il accompagne en rompant avec tous les principes de respect de sa fonction, là, un autre, à organiser avec des enfants issus de famille de pays musulmans par la justification de l’affinité de religion, des prières collectives, niant complètement la neutralité de leur rôle de guide éducatif à la construction du libre-arbitre de ces enfants en bafouant par-là, leur droit. Il se trouve que des réactions face à ces situations commencent à se faire sentir dans ce secteur longtemps à la dérive, de façon salutaire.

La portée d’intérêt général des missions contenues dans les politiques sociales, leur caractère de droit public exigent une neutralité et une impartialité qui sont seules à même de respecter l’enfant et la diversité des convictions et croyances ou non de leurs parents. Les politiques sociales, quoi que parfois les missions en soient confiées à des établissements privés, sont des missions de droit public fondées sur le principe d’égalité, égalité de traitement des personnes, visant à la satisfaction de l’intérêt collectif au titre de la cohésion sociale, et non d’intérêts particuliers dans lesquels la diversité culturelle trouverait naturellement à se couler.

Au titre même de l’égalité d’accès des usagers des politiques sociales, quelles qu’elles soient, sur l’ensemble du territoire selon « l’Etat unitaire » qui est le nôtre et qui veut que la loi s’applique partout à tous de la même façon, aucune manifestation religieuse des professionnels travaillant dans ce secteur ne devrait être tolérée.

C’est l’esprit dans lequel la sénatrice Françoise Laborde, concernant le secteur de la petite enfance, a posé la question courageusement, de rendre explicite l’interdiction par la loi du port de signe religieux pour les personnels encadrant, par extension du cas Baby loup. La crèche Baby loup avait vu une de ses employées se mettre à porter le voile contre le règlement intérieur où se trouve consigné le principe de laïcité. Licenciée logiquement suite au refus de le retirer, elle avait porté plainte accusant la directrice de la crèche de discrimination. Elle avait sollicité la Halde qui avait malheureusement été dans son sens. Finalement elle devait être déboutée de toutes ses demandes et la crèche reconnue dans son bon droit.

Cette exigence de neutralité, c’est tout simplement faire toute sa place au droit de l‘enfant à se construire le chemin de sa propre liberté dès le commencement de sa socialisation. C’est d’ailleurs le sens des réserves mises par l’Etat français à la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant de novembre 1989, concernant l’article 30 qui définit le droit à la langue et culture d’origine, à la communauté, télescopant le droit de notre pays pour lequel il n’y a de droit et liberté que de l’individu, bien commun de tous, et de communauté que de citoyens.

Jean Jaurès, le 30 juillet 1904, discours de Castres « Démocratie et laïcité sont deux termes identiques (…) La démocratie ne peut réaliser son essence et remplir son office, qui est d’assurer l’égalité des droits, que dans la laïcité (…) Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l’enfant. La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance ; et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l’homme. »

Cette liberté, c’est elle qui pousse l’histoire vers l’avant, qui l’autorise au lieu de la figer dans la tradition ou dans une lecture rigide des textes sacrés.

"Accommodements raisonnables" ou République laïque, il faut choisir !

C’est la laïcité qui réalise les conditions que le peuple puisse se penser comme une entité à mettre l’accent sur ce qui unit les hommes plutôt que sur ce qui les différencie, les divise, donnant son sens à la notion d’intérêt général, à la démocratie. C’est l’idée que les hommes sont les agents d’une histoire commune dont la responsabilité prévaut sur leur différence. C’est la condition du mélange de tous, qui a fait de la France ce brassage unique, entre un peuple historique et une immigration s’y intégrant, pour y prendre toute sa place.

L’intégration est souvent montrée du doigt en France, rendue responsable de tous les maux des personnes d’origine immigrée. S’il existe dans notre pays des faits de discriminations qu’il faut combattre, qui contrecarrent parfois l’intégration, l’image de généralisation de celles-ci est sans fondement, car ces personnes, comme les autres pour l’essentiel travaillent, se logent, leurs enfants allant à l’école, bénéficient des mêmes acquis sociaux, des mêmes prestations sociales, que les autres, précisément en raison de l’effectivité de la laïcité. Voilà comment, loin d’une assimilation forcée, l’intégration est définie comme un beau projet humaniste et laïque tel que le Haut Conseil à l’Intégration le propose : « Sans nier les différences, en sachant les prendre en compte sans les exalter, c’est sur les ressemblances et les convergences qu’une politique d’intégration met l’accent afin, dans l’égalité des droits et des obligations, de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et de donner à chacun, qu’elle que soit son origine, la possibilité de vivre dans cette société… » Ce qu’il faut, c’est veiller à l’application de ce principe républicain, et spécialement dans l’action de celui-ci, à la place faite aux enfants de toutes origines qui feront les citoyens et la Nation française de demain, si l’on veut conjurer les dangers du communautarisme.

La laïcité est une de nos libertés des plus fondamentales qui conditionne toutes les autres, la façon dont nous entendons vivre ensemble, jusqu’à la forme de notre société. Si la laïcité ne contient pas en elle-même la marche vers une démocratie sociale, elle est la voie qui en autorise la possibilité dans le prolongement de l’égalité politique, de la citoyenneté, de la place du peuple dans notre démocratie, qu’elle conditionne.

La laïcité est au cœur de notre modèle républicain et démocratique, au cœur de nos libertés communes et de l’égalité, c’est sans aucun doute l’un des grands enjeux contemporains pour l’histoire à venir de notre pays, un modèle à défendre, à promouvoir, à exporter, et plus largement un principe porteur de projet et d’avenir vers un monde plus juste et en paix.

Lors d’une visite privée de l’exposition poignante « C’étaient des enfants » organisée par le Département des expositions de la direction de l’information et de la communication de la Ville de paris, qui vient de fermer ses portes, j’ai saisi une remarque de première importance pour comprendre la portée de la laïcité. Cette exposition prenait pour objet la façon dont les enfants juifs vécurent les arrestations et la déportation, et aussi comment ils furent parfois sauvés en nombre par des actions organisées par des Français qu’ils aient été catholiques, protestants, juifs ou communistes… On nous expliquait que, si plus d’enfants en France avaient été sauvés qu’en Hollande par exemple, et bien c’était du fait qu’en France les communautés ne sont pas fermées. Et cela, voyez-vous, on le doit sans aucun doute à la laïcité. Le nombre de Juifs hollandais ayant survécu à la Shoah est l’un des plus faibles pourcentages parmi les pays qui ont été touchés par cette barbarie.

Il me semble que c’est un marqueur qui exprime plus que l’on ne pourrait décrire, ce que les mots même permettent d’en dire, du côté de ce que l’on doit à la laïcité. Un bien résolument humaniste, bon pour tous les peuples et par-là, sans aucun doute, une référence universelle.



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