Texte de la conférence CENSUREE de Guylain Chevrier, membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013), docteur en histoire. 8 juin 2015
"Texte de la conférence censurée qui devait avoir lieu le 27 mai 2015 à la Mairie de Saint-Denis."
L’égalité serait un mythe, selon d’aucuns, du fait du développement des inégalités sociales, et la laïcité dépassée par les mutations de la société - entendez une diversification de sa population sur une base multiculturelle.
Mais tout d’abord, les inégalités ne seraient-elles pas cent fois plus importantes si le principe d’égalité cédait le pas ? D’ailleurs, l’égalité n’est pas qu’une valeur que l’on pourrait choisir de garder ou de laisser de côté, comme on se débarrasse d’une idée. C’est une norme de droit, une règle juridique qui organise l’ensemble des rapports au sein de notre société. Loin d’être un mythe, l’égalité est un principe inscrit dans notre Constitution au sommet de la hiérarchie des normes, un principe de portée universelle.
S’agissant des mutations de la société qui remettraient la laïcité en cause, on confond diversité multiculturelle, d’un point de vue sociologique, avec le multiculturalisme comme principe juridique d’organisation de la société, qui acte la séparation des individus sur une base religieuse ou/et culturelle, selon la couleur, la religion ou l’origine voire l’ethnie.
La reconnaissance d’une certaine diversité n’implique pas la nécessité du multiculturalisme ou le communautarisme, car ce sur quoi on fait société peut être plus important que ce qui nous différencie voire nous divise, sans pour autant qu’on doive renoncer à nos identités particulières.
1-Egalité et laïcité sont étroitement liées et même indissociables
L’égalité, reprise de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [1], et que l’on trouve associée à la liberté et à la fraternité dans la devise de la République, est au fondement de l’idéologie républicaine.
Elle se traduit dans toutes les sphères du droit.
Le fait qu’elle soit portée au premier article de la Constitution [2] implique que l’égalité entre tous les citoyens impose qu’eux seuls soient titulaires de droits, car reconnaitre des droits à des groupes pourrait rompre l’égalité entre les citoyens selon qu’ils appartiennent ou non à tel groupe, comme le constitutionnaliste Guy Carcassonne, qui nous a récemment quitté, pouvait le définir.
La laïcité est la traduction des nécessités qu’entraîne dans les rapports entre les citoyens et l’Etat, jusque dans la forme de notre société et notre vivre ensemble, l’égalité.
C’est l’égalité d’exercice des droits de chacun, d’égalité de traitement devant la loi, qui implique que, pour qu’elle soit effective, elle se fasse en dehors de l’influence, de l’intervention d’une Eglise ou de tout sous-groupe religieux ou culturel, voire philosophique.
La laïcité protège donc, par la séparation du religieux et du politique, l’effectivité de cette égalité.
Un principe d’égalité très différent d’un autre principe, qui, lui, est constitutif du droit anglo-saxon, celui de la « non-discrimination », qui favorise l’expression des différences.
Ce principe renvoie à une autre forme de société, précisément divisée en groupes discriminés identitaires. C’est ce qui conduit aux « accommodements » dits « raisonnables » qui rompent avec l’égalité.
Elle encourage l’expression des différences et une organisation divisée de la société, qui divise les forces sociales. Ces forces ainsi ne peuvent plus jouer leur rôle de régulation sociale et de correction des injustices, de contre-pouvoir. C’est ainsi que l’on peut s’expliquer le niveau si bas des droits sociaux dans les pays anglo-saxons.
2-Retour sur nos institutions pour mieux comprendre les enjeux de la laïcité
C’est la Révolution française qui a imposé, par la volonté générale qui s’y est exprimée, que la loi du nombre prévale sur les intérêts particuliers, et ainsi, que le principe d’égalité qui fonde notre droit, se trouve au sommet de la hiérarchie des normes juridiques. Il repose sur la Déclaration des Droits de l‘Homme et du Citoyen qui n’a rien à voir avec une simple déclaration de portée incantatoire, mais est constitutionnalisée.
La constitution de l’Etat et particulièrement la forme républicaine qui le caractérise, a été traversée de bout en bout, en quelque sorte, par le souffle de l’égalité.
La Constitution de la Ve République de 1958 précise, dans son article premier, à côté du principe d’égalité, que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » La laïcité, contrairement à ce que certains affirment, est bien présente dans notre droit et clairement énoncée parmi les attributs de la République, donc, sur sa plus haute marche.
Elle est indivisible : une même loi pour tous sur l’ensemble du territoire, ou encore, tel que se définit l’Etat-unitaire : une loi-un territoire-un peuple.
L’indivisibilité était acquise dès 1791 et, quelques mois plus tard, on payait de sa vie l’accusation de fédéralisme. Mais l’indivisibilité n’est pas uniformité. Elle impose simplement qu’un seul pouvoir politique exerce la souveraineté sur l’ensemble du territoire de la République. Ce qui n’empêche nullement que ce pouvoir attribue des compétences à des collectivités territoriales comme la décentralisation a pu le faire, mais sans transfert du pouvoir de faire la loi. La République exclue la transmission héréditaire.
Elle est laïque : la séparation du politique et du religieux garantit la souveraineté du peuple émancipé de l’influence de l’Eglise : liberté de croire ou de ne pas croire, protection des libertés individuelles contre tout corps intermédiaire, communauté, voulant se mettre entre le citoyen et ses droits. C’est aussi la garantie de la liberté d’exercer son culte pour chaque individu.
Elle est démocratique : concrétisation des hommes agents de leur histoire, c’est la mise en œuvre du gouvernement des hommes par les hommes. Le gouvernement du peuple, pour le peuple par le peuple.
Elle est sociale : des droits sociaux embrassant l’ensemble des membres de notre société à travers une protection sociale et un droit du travail unique au monde, avec l’affirmation de ce que l’on nomme "l’Etat providence", qui n’a de providentiel que le nom au regard des révolutions et des mouvements sociaux qui ont été à l’origine de son envol.
3-Dans la continuité de l’égalité, ce qui caractérise cette République, c’est qu’elle est à la fois laïque et sociale.
La laïcité, c’est l’idée que l’on fait société à partir de ce que l’on met en commun car aucune société ne saurait être une simple addition de différences.
La laïcité, c’est l’affirmation que ce qui nous fait égaux, la loi, la politique, la démocratie, la Nation, la République, sont au-dessus de ce qui nous différencie, les religions, les origines diverses, les cultures régionales, sans pour autant les mépriser, bien au contraire.
La laïcité n’est pas une conviction à côté des autres, c’est son principe qui les autorise toutes.
L’égalité des droits de l’individu portée au-dessus des différences, les protège toutes contre l’hégémonie de l’une d’entre-elles sur les autres. La laïcité permet ainsi aux différences de coexister pacifiquement en facilitant le mélange des populations.
Elle favorise une forme unique de vivre ensemble qui a évité les séparations sur une base ethnico-religieuse que connaissent d’autres pays.
Le principe de laïcité promeut les valeurs d’un humanisme tolérant, favorise la coexistence des différences dans un cadre de bien commun.
La laïcité peut être d’autant plus ouverte aux évolutions de notre société qu’elle est forte, dans son rôle qui est de veiller au respect des libertés fondamentales de l’individu qui fondent son libre choix.
La Convention internationale des droits de l’enfant propose par son article 30 la reconnaissance d’un droit communautaire qui télescope le caractère inaliénable à aucun corps intermédiaire des droits et libertés fondamentales de l’individu. Ainsi, l’Etat français a émis des réserves concernant cet article qu’il ne reconnait pas.
C’est la laïcité qui réalise les conditions permettant au peuple de se penser comme une entité, de mettre l’accent sur ce qui unit les hommes plutôt que sur ce qui les différencie, les divise, donnant son sens à la notion d’intérêt général, au bien public, à la démocratie.
La laïcité est une de ces spécificités françaises dans le droit fil de la Révolution de 1789 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Lorsque le lien social n’est plus d’origine religieuse, mais provient de la souveraineté de la nation, du peuple, ce lien est de nature politique. La citoyenneté est alors ce qui est commun à l’ensemble des membres d’une même communauté : c’est ce qui va au-delà des appartenances particulières (religieuses, historiques, culturelles, régionales…), la citoyenneté constitue un espace commun d’où les particularismes sont absents parce que ramenés essentiellement à la sphère privée.
Or, dans la France en 1789, l’individu n’existe pas. C’est une société d’ordres, aux mille divisions. Chacun fait partie d’un groupe qui a ses traditions, ses « libertés » distinctes : communautés paroissiales, villes, métiers, provinces… Chacun de ces corps intermédiaires est donc régi par une « loi » particulière, privée. En latin « privata lex », étymologie du mot « privilège ». Chacun a une place dans une société hiérarchisée, les individus sont inégaux, soumis à l’arbitraire des puissants. Le roi est le père de ses sujets, il tient son pouvoir directement de Dieu.
Avec la Révolution française, c’est cet ordre qui s’effondre, brisant le lien indéfectible entre le trône et l’autel. Ce qui triomphe alors, ce sont des principes d’organisation politiques fondés non sur la tradition, la religion, mais sur la raison. La France n’est plus gouvernée par un roi mais par la souveraineté populaire. La Révolution est le reflet d’une prise de conscience, celle d’individus constituant une force qui renverse le sens de l’histoire.
En changeant l’ordre établi ici-bas, le peuple a concrètement renversé la vision religieuse du monde qui avait pour dogme que le sens et l’ordre de celui-ci trouvent leur raison dans une puissance extérieure à l’histoire humaine : Dieu.
L’Etat républicain doit alors être l’expression et le garant d’une société de citoyens, censés être autonomes à l’égard de tout « corps intermédiaire », et par excellence, de l’institution religieuse.
Pour autant il n’est pas question d’interdire les religions : l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen dit que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. »
En 1792, c’est la remise aux communes des registres de l’Etat civil, tenus jusqu’alors par les églises.
En 1795, la Constitution de l’An III dit : « nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun. » C’est la première séparation déclarée des Eglises et de l’Etat.
La Iere République est proclamée le 22 septembre 1792.
Le Code civil, dit Code Napoléon (1804), est expurgé de toute référence religieuse.
L’école de Jules Ferry, l’école de la République, naît en 1882. Elle est gratuite, neutre religieusement et obligatoire jusqu’à l’âge de 13 ans. Une révolution pour les conditions de l’enfance ouvrière, quel chemin parcouru depuis le début du XIXe siècle, où les enfants de cinq ans descendaient dans les mines, qui étaient appelés « les esclaves blancs ».
Bien sûr, il y a ce pilier de la République que représente la Séparation des Eglises et de l’Etat (1905), tournant majeur de la laïcité française.
Loi du 9 décembre 1905 :
« Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes.
Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »
Cette loi, autrement dit, c’est la reconnaissance et la garantie de la liberté de croire ou de ne pas croire (art.1), c’est la projection dans le droit privé des cultes, c’est en même temps la définition d’une séparation stricte entre le politique et le religieux (art.2).
La garantie du libre exercice des cultes ne signifie nullement, comme le plaide M. Baubérot, un traitement égal par la République des religions, le respect pour chaque citoyen de la pratique de son culte. Car il n’y a dans notre droit que des individus de droit et aucun droit collectif religieux ou culturel.
L’Etat, qui représente l’intérêt général, est au-dessus et indépendant des particularismes, des intérêts particuliers, a fortiori des Eglises qui constituent des puissances importantes, très influentes.
Cela dit, la loi de 1905 prévoit que, dans les lieux fermés, les internats, les hôpitaux, un service d’aumônerie soit prévu, pour respecter la garantie du libre exercice des cultes.
Si la laïcité pose le principe du bien public, de l‘intérêt général, au-dessus des différences, des religions, ce n’est pas pour les nier, mais pour garantir le caractère inaliénable à aucun intérêt particulier ou groupe d’influence des libertés de l’individu.
En 1959, la loi Debré a permis à des écoles privées sous contrat de bénéficier d’un régime subventionné. La loi Carle, plus récemment, a défini l’égalité d’entretien des élèves entre le public et le privé, imposant que chaque euro versé en faveur de l’élève du public soit aussi versé au privé. Une loi largement réprouvée par les milieux laïques et républicains.
Faisant suite à la première affaire dite du « foulard » de juin 1989, la loi du 15 mars 2004, issue des travaux de la commission Stasi, est venue renforcer la séparation du religieux d’avec l’Etat, en réaffirmant la laïcité dans l’école de la République, par l’interdiction du port de tout signe ou tenue par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.
La question sociale a pris en France une ampleur toute particulière où le peuple a joué un rôle unique. Il en est découlé un droit social, c’est-à-dire des protections contre les grands risques sociaux, des politiques sociales et un droit du travail, les plus avancés au monde. Les révolutions (1848-1871) et mouvements sociaux (Le Front populaire en 1936 tout particulièrement) qui ont nourri la dimension sociale de la République française, ont participé d’un grand mouvement de laïcisation de l’Etat. Le programme du Conseil national de la résistance en 1944 reprendra les acquis du Front populaire et les enrichira pour rester la référence en matière d’avancées et de progrès social.
Si la charité de l’Eglise a joué un rôle certain dans la prise en charge des indigents, de ceux qui se retrouvaient à la marge de la société et ce pendant plusieurs siècles, c’est la Révolution française qui leur a donné leurs premiers droits parallèlement à la création des comités de mendicité et bureaux de bienfaisance, dans la continuité de l’érection du principe d’égalité de tous devant la loi.
On trouve d’ailleurs déjà, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, en germe, l’idée de progrès social, lorsqu’on lit son article premier, particulièrement le second membre de celui-ci. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » mais surtout, « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
On retrouve cette pensée dans le financement de la solidarité nationale, selon le principe des cotisations sociales prélevées sur les salaires qui veut que : « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. »
C’est aussi le principe de l’égalité devant l’impôt, d’une nouvelle conception de la responsabilité commune devant la société relevant d’une nouvelle forme de cohésion sociale.
La dimension sociale de la République est clairement énoncée dans le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans celle de 1958 [3]. Il y est affirmé que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Autrement dit, l’Etat a reconnu ses responsabilités en matière sociale dans le fait de procurer aux individus les conditions suffisantes de subsistance aux individus afin qu’ils soient à même d’exercer leur citoyenneté. Pas un autre texte au monde ne renferme une telle promesse en terme de progrès social.
La dimension sociale de la République est étroitement liée au principe de laïcité, c’est-à-dire à l’égalité d’accès aux mêmes droits, particulièrement les droits sociaux et de traitement des personnes, indépendamment de l’origine, la couleur, la religion.
C’est effectivement en portant au-dessus des différences et du religieux le droit, que les droits sociaux dont nous parlons ont pu prendre leur place dans nos institutions.
Conclusion
Céder à la division du communautarisme, ce serait diviser les forces sociales qui ont permis la conquête de nos acquis sociaux et les livrer aux forces qui sont en embuscade pour les remettre en cause. Ce serait aussi donner des arguments en faveur du hold-up que le FN fait sur la laïcité, qu’il utilise pour désigner l’étranger et le musulman comme responsable de tous les maux.
La laïcité de l’Etat et les droits fondamentaux des individus qu’elle garantit, des droits politiques aux droits sociaux, font que la France est l’un des rares pays où les hommes vivent ensemble sans être séparés selon la culture ou la religion, tout en étant garantis par la loi contre toute discrimination, sans conflit majeur, sans guerre civile. C’est un acquis fragile qui reste un combat !
[1] Voir Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (note du CLR).
[2] Voir Constitution de la Ve République (4 octobre 1958) (note du CLR).
[3] Voir Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (note du CLR).
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