29 janvier 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Dès le début du conflit, l’Eglise orthodoxe russe a soutenu l’agression de Poutine contre l’Ukraine. Une association étroite avec l’Etat qui a toujours été celle du patriarcat de Moscou.
Par Léo Vidal-Giraud
Lire "Guerre en Ukraine : l’Eglise orthodoxe russe au service du Kremlin".
Sur les photographies qu’il publie sur sa chaîne Telegram "Un prêtre à Donetsk", le père Roman porte une veste de camouflage au-dessus de sa soutane. Il pose aux côtés de soldats prorusses, de blessés dans les hôpitaux militaires, lève des fonds pour ses protégés et raconte des histoires édifiantes du front.
Pour ce religieux, la guerre en Ukraine est la mère de toutes les guerres. C’est un affrontement "contre le satanisme", nous explique-t-il, depuis la webcam de son téléphone portable, sur fond de drapeau représentant une icône christique, sans jamais se départir d’un sourire bienveillant. Le satanisme ukrainien, dont il fait remonter l’origine au schisme de l’Eglise orthodoxe ukrainienne d’avec le patriarcat de Moscou en 1992 ; mais surtout le satanisme d’un Occident qu’il décrit comme vautré dans la luxure et le péché, avec pêle-mêle, le mariage pour tous, les droits LGBT, l’avènement des transgenres, le tout parachevé par le "néonazisme" ambiant.
Le père Roman n’est pas le seul prêtre orthodoxe à s’être rendu au front, aux côtés des troupes russes ; ni le seul, loin de là, à tenir ce discours (même si beaucoup évitent le sujet). Il faut dire que depuis le début de la guerre en Ukraine, la hiérarchie religieuse, dont le patriarche Cyrille en personne, chef de l’Eglise orthodoxe russe, s’est attelée à légitimer la guerre de Vladimir Poutine. "Des fous ont pensé que la puissante Russie […] pouvait être vaincue, qu’on pouvait lui imposer de prétendues valeurs que l’on ne peut même pas qualifier comme telles […]. Nous prions le Seigneur qu’il leur fasse entendre raison. Nous croyons que Dieu n’abandonnera pas notre terre russe, nos autorités, notre président orthodoxe et nos guerriers", sermonnait ainsi le 18 janvier dernier celui qui avait déjà affirmé que les sacrifices des soldats russes "lavaient" tous leurs péchés.
En avril 2022, un porte-parole de l’Eglise orthodoxe avait affirmé à la télévision russe que l’Ukraine utilisait "des moyens démoniaques et des sorcières" pour résister à la Russie. En octobre dernier, le thème du "satanisme" finit même par se frayer un chemin jusqu’au sommet de l’Etat, quand le Conseil de sécurité russe ajouta officiellement la "désatanisation" de l’Ukraine à sa "dénazification" et sa "démilitarisation" parmi les buts de guerre russes.
"L’Eglise officielle russe a toujours été liée à l’Etat"
"C’est un vrai sujet pour les orthodoxes pratiquants", explique Sergueï Shtyrkov, sociologue spécialiste de la pratique religieuse en Russie. "Il revient le plus souvent dans les diatribes antioccidentales contre la normalisation de l’homosexualité et la déconstruction des rôles genrés traditionnels. L’idée que cela puisse arriver en Russie terrifie beaucoup d’orthodoxes. Ils n’imaginent rien de plus affreux et de plus satanique qu’une gay pride à Moscou, et les idéologues du Kremlin entretiennent activement ces peurs."
Rien d’étonnant, d’ailleurs, à cette alliance entre le pouvoir et le religieux… "L’Eglise officielle russe a toujours été liée à l’Etat", résume Leonid Sevastianov, le président de l’Union mondiale des vieux-croyants et l’une des figures de proue de ce mouvement schismatique orthodoxe qui, au XVIIe siècle, avait justement refusé la subordination du clergé au pouvoir du tsar. "L’Eglise a justifié le servage et l’autocratie par des préceptes religieux et soutenu toutes les guerres menées par l’Etat russe au fil de son histoire, poursuit-il. Elle a servi sans états d’âme les tsars, Staline et les autres dirigeants de l’époque soviétique, et maintenant Poutine, en leur apportant une caution sacrée. Elle y gagne le soutien financier et politique de l’Etat, et donc une influence sur la société hors de proportion avec sa réelle autorité morale."
Incarnation parfaite de cette collusion : le patriarche Cyrille, de son nom civil Vladimir Goundiaïev, proche de Poutine et… ancien agent du KGB. Plus récemment, il a été ciblé par plusieurs enquêtes anticorruption menées par des opposants russes, lui reprochant son goût pour les montres de luxe et les grosses berlines, et, aussi, de posséder de façon dissimulée des appartements de prestige dans les quartiers les plus chics de Moscou. Cet amour des richesses est un autre point commun avec Poutine, par ailleurs un homme divorcé, parent d’enfants nés hors mariage et entretenant, selon les enquêtes d’Alexeï Navalny, sa famille cachée sur les deniers de l’Etat. Mais ces contradictions-là non plus ne semblent pas préoccuper l’Eglise orthodoxe russe…"
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique L’Eglise orthodoxe et la guerre russe contre l’Ukraine (note du CLR).
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