par Claude Ruche 19 avril 2016
Le politologue Thomas Guénolé a publié le 5 avril dernier dans les colonnes du journal en ligne leplus.nouvelobs.com un article intitulé : "Islam, voile et "mode islamique" : les 6 erreurs (graves) d’Elisabeth Badinter".
Se présentant comme sociologue des banlieues, Monsieur Guénolé fait partie de ce groupe de personnes qui prétendent nous donner des leçons en dénonçant l’islamopsychose des Français qui, précisait-il en septembre dernier, sont plus racistes que les Allemands. Il prétend que les jeunes de banlieue sont en cours de "désislamisation" et il fonde cette certitude sur une enquête de l’IFOP datant de 2011 [1], c’est à dire avant l’irruption de Daech et avant les printemps arabes. A sa publication elle avait été contestée à cause du panel qui se semblait pas refléter la réalité des quartiers. Affirmer que les musulmans se désislamisent est en contradiction avec les observations de Gilles Kepel et surtout du sociologue Hugues Lagrange qui, eux, ne se contentent pas d’enquêtes sujettes à caution mais passent leur vie dans les banlieues avec les habitants. Pour eux, c’est exactement le contraire qui se produit et les musulmans sont de plus en plus nombreux à redevenir "pratiquants" en particulier les jeunes dans la tranche d’âge 18-25 ans.
Monsieur Guénolé lui, n’a semble-t-il pas la même rigueur scientifique. Le 23 novembre dernier, il se faisait virer de la radio RMC, dans laquelle il tenait une rubrique quotidienne, pour avoir, je cite, pointé du doigt les défaillances de la brigade d’intervention de la police judiciaire lors des attentats du 13 novembre. Le pouvoir politique a obtenu d’un organe d’information la tête d’un de ses collaborateurs, il n’y a pas lieu de s’en réjouir. Reste que, quatre jours après les attentats, il assurait que "les brigades d’intervention manquaient gravement d’hommes et de moyens" et que "plusieurs policiers n’avaient ni gilets pare-balles lourds, ni casques lourds". Selon lui – et La Lettre A d’où il tirait ses informations –, seuls trois fonctionnaires étaient de garde ce soir-là à la BRI. Or, comme l’expliquait le secrétaire général adjoint et porte-parole du syndicat Unité SGP Police FO, Nicolas Comte, 12 fonctionnaires étaient également d’astreinte. Ces derniers ayant par ailleurs l’obligation d’habiter à proximité du siège de la police judiciaire. C’est ballot mais les affirmations de Thomas sont toujours des deuxièmes mains qu’il ne recoupe jamais avec d’autres sources, ce qui semble être pourtant le fondement de toute critique un tant soit peu étayée. En qualité de donneur de leçons patenté, cela ne l’empêche pas de trancher.
C’est ce qu’il fait dans son article en pointant "les 6 erreurs d’Elisabeth Badinter".
Première erreur : "Le voile est une soumission des femmes aux hommes."
Pour Monsieur Guénolé, c’est faux car se ne sont pas les hommes qui voilent les femmes, c’est dieu et certainement pas dans le but de les asservir mais pour que l’on puisse les reconnaitre. De cette manière, elles n’exciteront pas les hommes et ne seront pas violées. Pour notre chroniqueur, c’est vrai puisque c’est écrit dans le Coran. Nous sommes forcément impressionnés par la profondeur de l’analyse qui lui permet d’affirmer que l’invocation du féminisme pour fustiger le port du voile musulman "en tant que soumission des femmes aux hommes" constitue donc une erreur, par méconnaissance du sujet. Les centaines de jeunes filles enlevées par Boko Haram apprécieront.
Deuxième erreur de Madame Badinter pointée par notre spécialiste de l’islam : "Le port du voile est une violation du principe de laïcité."
Bien-sûr c’est une affirmation fausse pour Thomas qui reprend l’argumentation de l’Observatoire de la laïcité que nous connaissons bien. En France, nous dit-il, le principe de laïcité est défini par la "célèbre" (dixit) loi de 1905. Or, observe-t-il, la laïcité de la loi de 1905, ce n’est pas une exigence de neutralité spirituelle des habitants dans l’espace public. Il est facile de lui objecter que Madame Badinter ne fait pas référence à une quelconque neutralité spirituelle mais à une neutralité vestimentaire. De plus, la laïcité ne se résume pas à la loi de 1905 qui n’est pas une loi sur la laïcité mais une loi de séparation. Quelqu’un devrait lui expliquer que l’on ne connait pas un pays quand on a visité que sa capitale. Notre Tartuffe nous démontre dans le paragraphe précédent que le voile est un signe de ralliement et affirme dans le paragraphe suivant que ce n’est pas un signe de prosélytisme et que l’invocation du principe républicain de laïcité pour fustiger le port du voile musulman constitue donc une erreur.
Troisième erreur : pour l’islam, les femmes "doivent rester à la maison".
Afin de réfuter cette argument, Thomas Guénolé s’appuie sur des chiffres fournis par la Banque mondiale et la CIA, c’est dire si les sources sont crédibles. Il précise que "certes, dans des pays musulmans comme l’Algérie, la Jordanie ou l’Afghanistan, le pourcentage des femmes en âge de travailler et qui travaillent tourne autour de seulement 15%. Mais ce taux est de 72% en Gambie, dont la population est pourtant à 90% musulmane". Des chiffres bruts d’un pays qui emprisonne ses opposants et les homosexuels sont certainement fiables pour notre cher Thomas. Encore une fois, il n’y a pas d’analyse. Elisabeth Badinter se base elle, sur des témoignages de première main comme celui de Nadia Remadna et ça ne se passe pas en Afrique mais dans nos quartiers. Cela n’empêche pas "Toto" d’affirmer que soutenir la thèse que l’islam d’aujourd’hui cantonnerait les femmes au foyer est une généralisation abusive. En d’autres termes, pour lui c’est faux.
Quatrième erreur que souligne notre banlieusard de l’Ouest parisien : "le mot "islamophobie" sert à diaboliser la critique de l’islam."
C’est encore faux pour notre observateur attentif des dérives linguistiques. Pour étayer son argumentation, il se base cette fois sur un livre écrit par deux sociologues proches des indigènes de la République et de Tariq Ramadan : Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, qui prétendent que le terme "islamophobie" a fait son apparition en France dès le début du XXe siècle et désignait dès cette époque les discours de haine envers les musulmans. Ce n’est pas du tout ce que nous dit Caroline Fourest [2] qui nous explique que le mot “islamophobie” a été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de « mauvaises musulmanes » en les accusant d’être « islamophobes ». En réalité, nous explique Caroline Fourest, « loin de désigner un quelconque racisme, le mot islamophobie est clairement pensé pour disqualifier ceux qui résistent aux intégristes : à commencer par les féministes et les musulmans libéraux ». C’est aussi ce qu’explique Pascal Bruckner [3] pour qui le terme a été forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 1970 pour contrer les féministes américaines, le terme d’« islamophobie », calqué sur celui de xénophobie, ayant pour but de faire de l’islam un objet intouchable sous peine d’être accusé de racisme. Les deux sociologues sus mentionnés font observer que cette thèse n’est pas défendable puisque le mot "islamophobie" n’existe pas en persan. C’est peut-être vrai mais c’est oublier que c’est le défunt Mouloud Aounit, président du MRAP, qui a francisé ce concept au début des années 2000. Mais Guénolé a choisi son camp puisqu’il affirme qu’"un propos islamophobe est un discours de haine envers les musulmans. Stricto sensu, l’islamophobie est ainsi l’équivalent, par exemple, de l’antisémitisme vis-à-vis des juifs". Ben voyons !
Cinquième erreur commise par Elisabeth Badinter : les islamo-gauchistes sont une minorité "influente" .
Alors qu’il n’argumente que sur des propos ou des écrits de personnalités qui sont toutes à classer dans la catégorie des islamo-gauchistes, Thomas Guénolé réfute cette affirmation. C’est là que l’on prend toute la mesure de la signification du terme aveuglement. Il se lance néanmoins dans une longue explication de la différence entre gauchisme et communautarisme, sans comprendre qu’aujourd’hui il n’y a plus de frontière entre ces deux concepts. En soutenant que les musulmans sont les nouveaux prolétaires, les "gauchistes" ont déplacé leurs actions d’un marxisme mal digéré vers une islamophilie assumée. Et tant pis si au passage ils apportent leur caution au renouveau de l’antisémitisme le plus violent.
Enfin sixième erreur : "être en désaccord avec Elisabeth Badinter, c’est soutenir l’islamo-communautarisme".
En réalité, nous dit monsieur Guénolé, "on peut parfaitement être à la fois formellement opposé à l’islamo-communautarisme, et plus largement à toute forme de communautarisme, et ce au nom de l’universalisme républicain, et formellement opposé aux thèses d’Elisabeth Badinter, en raison de sa spectaculaire accumulation d’erreurs sur l’islam, sur le voile, sur la laïcité, ou encore sur l’islamophobie". Nous touchons là au fondement de la double pensée dénoncée par Jean-Claude Michéa [4] dans de nombreux ouvrages et qui est devenue au fil du temps, la source de toute pensée sociologique. On prétend défendre les valeurs républicaines en dénonçant les défenseurs de la République comme intégristes laïques, comme fascistes ou comme islamophobes. Le procédé, même s’il est éculé n’en est pas moins efficace. L’autre procédé consiste à détourner l’attention d’un fait réel vers une intention supposée. Thomas Guénolé est un virtuose du genre. Pour ne pas parler de l’implication de l’islam dans les attentats de novembre, il dénonce l’incurie des forces de l’ordre, ou pour ne pas pointer le prosélytisme du voile, il dénonce l’islamophobie supposée d’Elisabeth Badinter. Lorsque certains dénoncent le racisme des organisations antiracistes, il détourne l’attention vers les Indigènes de la République qui sont racistes, ce que tout le monde avait compris depuis longtemps. Tout cela bien sûr au nom des valeurs républicaines...
Personnellement, je ne sais pas quoi penser de ce monsieur. Je n’arrive pas à décider s’il est un peu "simplet" et complètement manipulé ou s’il est conscient de ce qu’il fait et totalement diabolique. Ce qui fait vraiment peur c’est qu’il enseigne à Sciences-Po et à HEC. Je ne savais pas qu’il existait dans ces établissements des cours de charabia, de mauvaise foi.
Claude Ruche
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales