Revue de presse

""Great Reset", formule magique des complotistes" (Marianne, 13 av. 23)

18 mai 2023

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’ouvrage de Klaus Schwab, président du Forum de Davos, a provoqué un emballement durant la pandémie. Trois ans plus tard, l’idée que le Covid-19 serait une planification des élites mondiales s’est essoufflée, mais l’expression « Great Reset » s’est imposée comme un nouveau label dans la complosphère.

Par Youness Bousenna

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Lire "Trois ans après le Covid-19, où en est-on du "Great Reset", la théorie préférée de la complosphère ?"

[...] The Great Reset est devenu en quelques mois la matrice complotiste de l’ère pandémique. C’est notamment le Premier ministre canadien Justin Trudeau qui va provoquer un emballement. En septembre 2020, à l’ONU, il évoque le Covid-19 comme « une opportunité pour une réinitialisation » focalisant l’attention sur cette initiative que l’ex-prince Charles avait rendue publique dès juin 2020 aux côtés de Klaus Schwab. En France sort alors le documentaire complotiste Hold-Up qui fait reposer sa théorie à propos de la pandémie sur le « Great Reset » – cet événement serait un moyen de hâter l’asservissement des populations aux plans de l’élite mondiale représentée par le Forum de Davos.

« Cette thèse prend alors très fortement dans certains cercles et partis politiques proches de l’extrême droite. Jusqu’ici, ces mouvances se moquaient de sujets comme la vaccination. Mais l’événement leur permet de confirmer leur vision globale : ils l’attrapent pour l’intégrer dans leur univers de sens déjà constitué » souligne Julien Giry, chercheur en science politique à l’université de Tours. Cette popularisation est aussi le fait de figures connues, comme Philippe de Villiers, qui fait du « Great Reset » la grande cible de son livre le Jour d’après (Albin Michel, 2021). « Le reset consiste à réinitialiser le monde, à le mettre à zéro. Par définition, le reset ne profite qu’à celui qui réinitialise », y écrit l’ancien député de la Vendée.

Pour l’historien Emmanuel Kreis, la théorie suscitée par The Great Reset s’appuie sur une des constantes complotistes, à savoir le mythe d’un mégagouvernement supranational, qui a émergé dès la Révolution française « avec l’idée que la franc-maçonnerie veut colporter ce bouleversement de façon universelle ». Ce marqueur du camp antirévolutionnaire resurgira à chaque grand événement, et s’étendra des francs-maçons aux Juifs à partir de la fin du XIXe siècle, dans un contexte de montée de l’antisémitisme en Allemagne puis en France. De la Société des Nations (SDN) après la Première Guerre mondiale à l’ONU après la Seconde, ce sont aussi les grandes institutions qui sont « accusées d’être le germe de ce gouvernement mondial » souligne ce chercheur.

Ce fantasme est largement démoli par le politiste Jean-Christophe Graz, de l’université de Lausanne. Ce spécialiste de la gouvernance de la mondialisation souligne notamment, dans un article de 2003 paru dans la revue A contrario que le Forum de Davos et tous les autres clubs d’élite ont un pouvoir informel « limité par leur principe d’organisation et les modalités concrètes de leur pratique ». S’ils aiment mettre en scène le mythe selon lequel ces rencontres pourraient déboucher sur des transformations d’envergure à l’échelle mondiale, « l’absence de relations formelles avec les institutions politiques de la société » rend le plus souvent sans lendemain les grandes orientations qui y sont évoquées.

On pourrait néanmoins penser que, contrairement aux autres théories du complot, la croyance dans le « Great Reset » ne sort pas de nulle part. À première vue, la pandémie, caractérisée par un confinement inédit dans l’histoire de l’humanité, qui a eu des répercussions importantes sur l’économie mondiale, ou encore par la mise en place du passe sanitaire, semble expliquer le regain complotiste. Pourtant, si l’on en croit la contribution de Julien Giry dans le livre Covid Conspiracy Theories in Global Perspective (2023) dirigé cette année par Michael Butter et Peter Knight, les structures des théories du complot qui ont émergé durant le Covid sont semblables à celles des précédentes épidémies. Les soupçons d’intentionnalité liés à l’origine étrangère du virus ont déjà été vus lors de la grippe russe en 1889-1890 et espagnole en 1918-1919. L’idée qu’un virus cache la mise en œuvre d’un agenda des élites a déjà été avancé lors de l’arrivée du sida dans les années 1980. Enfin, l’incrimination d’une technologie (ici la 5G) dans la maladie n’est pas nouvelle, puisque les ondes radio ont par exemple été pointées du doigt pour la grippe espagnole, ou la 3G pour le Sras en 2002.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le « Great Reset » est assimilé à une tentative rampante d’appauvrissement général – cette accusation est par exemple colportée par le youtubeur aux 127 000 abonnés Michael Ferrari dans une vidéo intitulée « Great Reset : vous ne posséderez rien et vous serez heureux ». Un complot international des élites mondialisées : voilà qui fait beaucoup pour un simple document prospectif. Et si son aura tenait d’abord, et surtout, à son titre ? « Ce titre soulignant que tout va être remis à zéro passe pour un aveu des élites aux yeux des complotistes » analyse Julien Giry. « Le titre est sans doute la chose qui a suscité le plus de controverses, alors qu’il énonce une évidence : c’est quand on est dos au mur que les choses bifurquent le plus rapidement », pointe Thierry Malleret. [...]"



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