Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République. 27 novembre 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Le prix de la laïcité 2021 a été remis à Rachel Khan pour son livre « Racée » et à Leïla Mustapha, la maire de Raqqa. Pour Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République, il est urgent d’affirmer cette valeur dans un contexte où celle-ci affronte une violence inouïe.
Par Ronan Planchon
Le FIGARO. - Après Richard Malka récompensé en 2020, le prix national du Comité Laïcité République a été remis à Rachel Khan pour son livre « Racée ». Pourquoi ce choix ? En quoi défend-elle selon vous la laïcité à la française ?
Le prix a été attribué à Rachel Khan parce que depuis quelques années même, nous dénonçons comme elle toutes ces tentatives de racialisation de notre société, qui sont portées par des élus ou différentes personnalités. Lorsque le jury s’est réuni sous la présidence de Gérald Bronner, son nom est très vite apparu comme une évidence. Le courage dont a fait preuve Rachel Khan dans la dénonciation de ses tentatives de racialisation de notre choix a été déterminant dans notre choix. Dans l’ensemble, les prix qui ont été remis à Richard Malka, Rachel Khan, Yves Bréchet, Kamel Daoud ou Nadia El Fani illustrent le combat que mène le Comité Laïcité République.
Le prix international a également été décerné à Leïla Mustapha, maire de Raqqa, l’ancienne capitale de Daech...
Lorsqu’un membre du jury a proposé le nom de Leïla Mustapha, beaucoup d’entre nous ne connaissaient pas cette femme. Comme l’a raconté dans son livre Marine de Tilly, journaliste au Point, Leïla Mustapha est une femme kurde, peuple minoritaire dans cette région de la Syrie. Par son volontarisme, elle a réussi à imposer la création d’une société où le Code civil se substitue à la charia. Pour ce faire, elle a traversé différentes a pris des risques pour sa vie, affronté le pouvoir syrien et Daech, ses ennemis sont nombreux. Et cela demande un courage incroyable.
Leïla Mustapha a réussi à être reconnue comme légitime, d’abord parce qu’elle est ingénieure urbaniste et a participé à la reconstruction de Raqqa, ensuite, parce qu’elle a mis en place une organisation où les Kurdes et les Arabes sont représentés. Il existe désormais des institutions qui fonctionnent dans sa ville, où la démocratie passe par les échelons de la commune puis de la région. Ce modèle est unique dans cette zone.
Malheureusement, elle n’a pas eu l’autorisation de venir en France pour recevoir son prix en main propre, notamment parce qu’on suspectait des mouvements de troupes turques du côté de la zone de sécurité fameuse zone de sécurité qu’Erdoğan veut préserver car elle lui permet de surveiller les Kurdes de Syrie.
La laïcité se trouve au cœur des enjeux contemporains. De l’attentat contre Charlie à l’assassinat de Samuel Paty, elle affronte une violence inouïe. Est-ce la raison d’exister de ce prix ?
Pour nous la remise de prix n’est pas seulement l’aboutissement d’un processus de sélection mais l’occasion de mettre l’accent sur un certain nombre d’évènements et de menaces qui pèsent sur notre société : les menaces contre les femmes qui ne s’habillent pas conformément à la norme édictée par la charia dans des banlieues, la tentation de réintroduire le blasphème dans notre législation (l’affaire Mila en témoigne) ou encore les attaques contre l’universalisme et la science. C’est le sens du prix que nous avons remis à Yves Bréchet ; il avait dénoncé dans son discours cette « religion boutonnière » où il est de bon ton de contester la parole scientifique. Chaque fois que nous remettons un prix, c’est pour mettre l’accent sur une menace qui pèse sur l’universalisme.
Comment définiriez-vous la laïcité ? Se résume-t-elle uniquement à la séparation du politique et du religieux ?
Ma définition est celle de la philosophe Catherine Kintzler : la laïcité, c’est d’abord que nul n’est obligé de croire en une religion plutôt qu’une autre. Nul n’est obligé de ne croire en aucune religion. Et nul n’est obligé de croire, c’est la liberté de croyance avec la la garantie apportée par la République que chacun est libre de croire.
La séparation du politique et du religieux a été réglée, mais l’islam radical a réveillé la question laïque et l’a réintroduit dans le débat public. Aujourd’hui, de véritables menaces pèsent sur la laïcité.
Parmi les menaces que vous évoquez, la laïcité française se trouve aujourd’hui confrontée au libéralisme anglo-saxon, qui concède la société civile aux communautés religieuses, et aux exigences de l’islam radical…
Bien sûr. On assiste à une tentative de réintroduction du modèle communautaire dont on connaît les échecs au sein de notre République et à l’abandon de l’organisation républicaine au profit d’une société communautariste. Quand Catherine Kintzler dit que nul n’a besoin du modèle religieux pour définir la citoyenneté, et qu’on est citoyen avant d’être membre d’une communauté, cela définit parfaitement l’organisation à laquelle nous sommes attachés. La racialisation du débat public vient bouleverser ce modèle. Elle veut que l’on soit d’abord membre d’une communauté maltraitée par l’Histoire, et que celle-ci aurait une revanche à prendre.
Est-il nécessaire de réaffirmer la laïcité ? Et si réaffirmation de la laïcité il doit y avoir, comment entendez-vous ce terme ?
Auparavant, nous étions dans un environnement relativement apaisé, il y avait certes des petites batailles juridiques, mais le grand danger est venu de cette réaffirmation par l’islam politique de vouloir introduire la loi de l’islam au-dessus des lois de la République.
Il est urgent de réaffirmer la laïcité et par ailleurs, il ne faut pas oublier que les attaques portées contre elle ne datent pas d’hier. Elles ont commencé par l’exportation du conflit algérien sur notre territoire, puis le développement des stratégies des Frères musulmans en France à travers l’implantation d’associations sur notre territoire qui se sont substituées à l’offre sociale, là ou la République était absente. Au vu de la perméabilité de la jeunesse à un tas de concepts anti-laïque, la bataille pour la réaffirmation de la laïcité s’annonce longue. Elle durera peut-être vingt ans.
Sommes-nous en train de perdre cette bataille ? N’assiste-t-on pas à une prise de conscience collective ?
Je l’ai dit lors de mon propos introductif lors de la remise des prix de la laïcité, il y a une prise de conscience salutaire. Le dispositif prévu par la loi portant sur le principe des principes républicains va dans le bon sens. Aussi, on ose désormais parler d’immigration sans la confondre avec la remise en cause du droit d’asile, et sans pour autant fantasmer sur un « grand remplacement ». Une parole républicaine a émergé dans le débat public qui n’est ni celle du « grand remplacement », ni de l’ouverture des frontières à tous les vents.
Il faut que le réveil continue sans pour autant tomber dans le piège d’Éric Zemmour qui tient un discours virulent à l’égard des musulmans. C’est l’islam politique qui est en cause. Kamel Daoud, Mohamed Sifaoui et un certain nombre d’intellectuels musulmans démontrent très bien que l’islamisme n’est pas l’islam."
Lire « La bataille pour la réaffirmation de la laïcité s’annonce longue ».
Voir aussi Prix de la Laïcité 2020-2021 dans Prix de la Laïcité, dans la Revue de presse la rubrique Le CLR dans les médias (note du CLR).
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