Politologue, auteur de "Le Mai 68 conservateur" (Cerf, 2014). 14 juillet 2015
"Pourquoi un ancien président de la République, à la tête d’un parti rebaptisé Les Républicains, signe-t-il un texte opposant clochers et minarets, catholiques et musulmans ? Le politologue Gaël Brustier, collaborateur du Centre d’étude de la vie politique à l’Université libre de Bruxelles, décrypte la pétition « Touche pas à mon église », à la une de Valeurs actuelles cette semaine, et la présence de Nicolas Sarkozy parmi les signataires.
L’appel « Touche pas mon église » à la une de Valeurs actuelles, c’est le retour du débat sur l’identité nationale…
C’est la poursuite d’un débat qui correspond aux interrogations du moment de la France : quelle communauté de destin dans l’Union européenne et dans la globalisation. Il faut souligner surtout que cette pétition est bâtie sur du sable car Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, a répondu à une question sur Europe 1 sur le sujet par un « pourquoi pas ? » qui a créé la polémique. Ni lui ni personne dans la communauté musulmane ne réclame que les églises soient transformées en mosquées. En France, il n’y a que quatre ou cinq cas, le sujet de la transformation de lieux de culte catholiques en mosquées est donc particulièrement marginal. Il n’y a rien de tangible qui puisse expliquer une telle mobilisation. C’est un cas typique de panique morale en lien avec l’islam et avec la définition de l’identité française. Il s’agit d’une excitation de plus du malaise identitaire.
L’islam est instrumentalisé, avec le risque de faire monter l’islamophobie. Est-ce une vraie peur dans les milieux conservateurs ?
Il y a plusieurs types de réactions. Certains conservateurs ne sont pas hostiles à l’islam mais pensent que l’affirmation de cette religion dans notre société doit avoir pour réponse une réactivation d’un catholicisme identitaire. Au contraire, d’autres trouvent que l’islam réintroduit la question de l’identité religieuse du pays dans le débat public et en sont plutôt satisfaits.
Un ancien président de la République qui signe un appel qui oppose clochers et minarets, catholiques et musulmans, n’est-ce pas jeter de l’huile sur le feu ?
Nicolas Sarkozy a toujours contribué à exciter, dramatiser, hystériser le débat sur l’identité nationale. Mais le fait qu’un ancien président de la République signe un tel appel est assez incongru. Cela nous renvoie à 2007, quand il s’était rendu au Mont-Saint-Michel, ou à ses discours de Caen et Besançon centrés sur l’identité. Ce qui est intéressant aussi, c’est de voir les différentes familles de droite qui signent cette pétition. Il y a des intellectuels conservateurs comme François-Xavier Bellamy, Camille Pascal, on trouve également Philippe de Villiers. C’est la famille authentiquement conservatrice, qui a fait son « Mai 68 » avec le mariage pour tous. Et il y a la galaxie des néocons au sens quasi américain, avec le philosophe Pascal Bruckner, à laquelle on pourrait même intégrer Jeannette Bougrab, qui délaisse en l’occurrence la lutte pour la laïcité pour emprunter le sentier périlleux de la lutte contre l’islam. Ces deux familles politiques distinctes ont un point commun : face à l’islam, elles pensent nécessaire une réaffirmation de l’identité chrétienne de la France.
Qu’est-ce que cela dit de la stratégie de Nicolas Sarkozy pour 2017 ?
Nicolas Sarkozy est en train d’adopter une ligne politique tout à fait claire. A l’extérieur, il a pour objectif de fusionner des droites européennes derrière l’étendard de la CDU-CSU. On le voit dans la croisade qu’il mène contre Syriza et son discours sur la gauche radicale qui est contre nos valeurs. Il n’est donc pas étonnant qu’il poursuive sur les thèmes de l’identité européenne, l’hostilité à l’islam… A l’intérieur, il oscille entre plusieurs lignes, il essaye de capter le potentiel des conservateurs français issus de la Manif pour tous. Il prend les mots de la république, qui ont une résonance dans toutes les têtes, et il les réinvestit d’une charge idéologique nouvelle. La république de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas la république laïque, c’est la poursuite, avec les mots de la république, de sa ligne conservatrice, identitaire et autoritaire. Son positionnement par rapport au Front national est tout à fait symptomatique. Il leur reproche leur ligne économique, ce qui consiste à dire que Les Républicains seront les seuls capables de porter les aspirations droitières de l’électorat du Front national au pouvoir. Sarkozy est clair : « La seule vraie droite, c’est nous ! » Pour l’instant, son excitation des thématiques identitaires fonctionne plutôt bien."
Lire "Gaël Brustier « La république de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas la république laïque »".
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