Revue de presse

G. Smith : « La tendance à la discrimination positive a pour effet pervers de survaloriser les identités » (lefigaro.fr , 16 mai 18)

Géraldine Smith. 17 mai 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Géraldine Smith, Vu en Amérique... Bientôt en France, Stock, 2018, 272 p., 19,50 €.

"L’ancienne journaliste Géraldine Smith, qui vit depuis onze ans en Caroline du Nord, raconte dans un ouvrage remarqué les dérives identitaires de l’Amérique. Si les politiques de discrimination positive (« affirmative action ») sont louables sur le principe, elles ont aussi eu pour effet indésirable de renforcer la ségrégation des communautés, notamment dans les campus.

LE FIGARO. - En souhaitant introduire davantage de diversité dans le recrutement des meilleures écoles françaises, le gouvernement semble s’inspirer du modèle des universités américaines pour moderniser l’enseignement supérieur français. Cinquante ans plus tard, ce modèle a-t-il fait ses preuves ?

Géraldine SMITH. - Vouloir briser le phénomène de reproduction des élites, que ce soit en France ou aux États-Unis, est un principe louable. Le terme affirmative action a été inventé par John F. Kennedy en 1961, mais les politiques de discrimination positive ont pris de l’ampleur avec la fin de la ségrégation raciale. Le président Lyndon Johnson a justifié la démarche, en 1965, par une métaphore que je trouve très parlante : « Vous ne pouvez pas prendre une personne, qui, pendant des années, a été handicapée par des chaînes, pour la libérer, l’accompagner sur la ligne de départ de la course et dire : “Allez, tu es libre d’affronter tous les autres”, et croire que vous avez été équitable. » Mais le bilan est très mitigé, en particulier dans les établissements d’excellence, que ce soit en termes de diversité socio-économique ou de diversité raciale - un terme assumé aux États-Unis. En 2018, le revenu annuel médian de la famille d’un étudiant d’Harvard était de 169.000 dollars (contre 62.000 pour la moyenne nationale) et 67 % des étudiants venaient des 20 % de familles les plus riches du pays… Et, en termes d’accès aux universités d’élite, les inégalités raciales se creusent depuis 1980.

Les inégalités dans l’enseignement supérieur français sont également criantes : selon une enquête Pisa de 2016, un enfant dont les parents sont diplômés du supérieur a 14 fois plus de chances d’être lui-même diplômé…

Il n’y a en effet aucune égalité de départ et la « méritocratie » est donc largement une vue de l’esprit. Dans ce contexte, modifier les règles d’admission pour donner une chance à des élèves, qui ont peut-être le même potentiel mais n’ont pas profité de tous ces avantages, me semble aller dans le sens de la méritocratie républicaine.

Mais à trop s’intéresser aux « quotas » (d’étudiants boursiers, venus de ZEP, appartenant à telle ou telle minorité…), l’enseignement supérieur risquerait selon vous de s’enliser dans une logique d’assignation identitaire ?

Aux États-Unis, la Cour suprême a réaffirmé en 2016 que les quotas raciaux étaient anticonstitutionnels. En revanche, pour encourager la diversité sur les campus, les universités peuvent inclure la race ou le genre parmi leurs critères d’admission. Les politiques identitaires viennent en fait de la société, des étudiants eux-mêmes, les établissements suivant le mouvement par peur d’avoir des problèmes avec les étudiants activistes, ou tout simplement pour avoir l’air « suffisamment libéral ». C’est vrai qu’aux États-Unis, le phénomène a pris des proportions effrayantes. Sur les campus, des clubs, des fraternités, des dortoirs, des safe space (des « lieux sûrs » où les membres de minorités qui s’estiment marginalisés peuvent échapper aux discriminations, NDLR) ou des soirées s’organisent souvent en fonction de critères identitaires. Noirs, Blancs, LGBT, femmes, asiatiques… chacun reste en compagnie des siens. L’idée, c’est que pour pouvoir s’ouvrir aux autres dans le futur, il faut d’abord rester entre soi pour devenir plus forts. Dans les faits, l’entre-soi conduit à une méfiance grandissante envers ceux que l’on connaît de moins en moins bien, et à des formes d’intolérance inouïes : l’affaire des étudiants ayant empêché la représentation de la pièce d’Eschyle à la Sorbonne parce que les acteurs portaient des masques noirs, c’est le lot quotidien des universités américaines.

Cette survalorisation de l’identité, pensée comme un produit fini et non pas comme une production en cours, est sans doute un effet pervers, non voulu, des politiques de discrimination positive."

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