Revue de presse

G. Konopnicki : "Le président des sacristies" (Marianne, 13 av. 18)

20 mai 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Emmanuel Macron a entrepris d’écouter toutes les religions, ce qui ne semble pas totalement anormal, la laïcité de la République n’oblige pas le président à bouffer du curé à chaque repas. Il se doit même de veiller sur la liberté des cultes, mais, en principe, sans en soutenir aucun. L’actuel président n’est certes pas le premier à s’écarter quelque peu de la neutralité religieuse, il reprend avec un peu plus de culture les orientations défendues par Nicolas Sarkozy, qui considérait que l’instituteur ne pouvait remplacer le prêtre. Au moins Nicolas Sarkozy avait-il, avant son élection, refusé la réintroduction du délit de blasphème, en apportant son soutien à Charlie Hebdo, traîné devant les tribunaux pour la publication des caricatures de Mahomet. Emmanuel Macron, après avoir récusé la laïcité, qualifiée de « religion d’Etat » et donc renvoyée au fanatisme, entend réparer « le lien entre l’Eglise et l’Etat ». Ce discours ne tombe pas du ciel.

Les religieux de toutes les tendances sont régulièrement invités à philosopher avec le président dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Or, si les religions sont libres de défendre leur conception sur la manière de donner la vie et d’en reconnaître la fin, la République n’est nullement obligée d’en tenir compte.

Le catholique Charles de Gaulle s’est passé de l’avis du Vatican, hostile à la contraception, lorsqu’il a signé la loi Neuwirth, adoptée le 19 décembre 1967. Cette loi résultait d’une initiative parlementaire. La loi Veil, autorisant l’interruption volontaire de grossesse, a été présentée au nom du gouvernement, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, qui ne faisait pourtant pas mystère de son attachement à l’Eglise. François Hollande, qui certes ne fréquentait guère la chapelle, a résisté à la formidable pression cléricale en faisant adopter la loi ouvrant à tous le droit au mariage. Ces lois établissent des libertés, les croyants ont le droit de ne pas les utiliser, mais aucune institution religieuse ne peut entraver leur exercice. La consultation préalable des chefs religieux ressemble fort à du lobbying quand il s’agit de préparer des lois légalisant des pratiques jusque-là condamnées par les Eglises. Autant prendre l’avis de Monsanto sur les pesticides et celui de Philip Morris sur le tabac.

On ne saurait suspecter Emmanuel Macron de sectarisme. Il rencontre aussi bien des évêques, des pasteurs, des rabbins, des imams, des bonzes… Ce sens des courants spirituels lui vaut la bénédiction du père Ribadeau-Dumas, secrétaire général de la Conférence des évêques de France : « Nous sommes sensibles au fait que le président de la République attache plus d’importance à l’apport des religions dans la société française. »

Alléluia ! Sauf que ce pluralisme a disparu du discours tenu au collège des Bernardins. Il s’agit désormais de rétablir le lien rompu avec la religion d’Etat de l’Ancien Régime. Pour un peu, le président de la République marcherait sur les brisées de Louis XIV, en révoquant la loi de 1905 comme un vulgaire édit de Nantes. Et il appelle les catholiques à investir la vie civique. On comprend mieux ce que signifie le dépassement des clivages droite/gauche. Le président rêve d’une démocratie chrétienne, troquant la tradition républicaine française pour ressembler à la CDU d’Angela Merkel.

Les citoyens sont invités à intervenir en politique à partir de leurs convictions religieuses. On ne saurait mieux préparer la communautarisation de la vie politique. L’appel aux catholiques sera-t-il complété par un appel aux autres religions ?

L’engagement citoyen, unissant les Français au sein de la République, s’effacerait devant l’irruption des militants et bientôt des élus, défendant leurs visions chrétiennes, juives ou musulmanes de la société française. Or, dans les vingt dernières années, les apports les plus voyants de la religion sont bien la fragmentation de la société et le retour des exigences obscurantistes. Les uns manifestent contre la souveraineté de la République sur l’état civil afin d’imposer à tous leur conception du mariage, de la procréation et de la filiation. Les autres revendiquent le droit de voiler les femmes et de prier dans l’espace public. Dans cette situation, les millions de citoyens qui ne fréquentent guère les églises et ne se reconnaissent en aucune chapelle attendaient autre chose qu’un discours de sacristain."

Lire "Le président des sacristies".



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