Revue de presse

G. Chevrier : "Plus de diversité en entreprise" ne doit pas "contribuer à une assignation des individus à des groupes d’appartenance selon l’origine, la couleur, la religion" (atlantico.fr , 30 nov. 21)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République ; Sébastien Cochard, économiste, conseiller de banque centrale. 9 décembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Autant la lutte contre les discriminations dans le monde de l’entreprise est non seulement défendable mais nécessaire, autant le diagnostic qui consiste à imputer aux entreprises la responsabilité quasi exclusive de ce défaut de diversité est absurde.

Atlantico : À l’initiative de la fondation Mozaïk RH, le Cercle des économistes vient de publier une note sur l’impact de l’insertion professionnelle des jeunes sur les entreprises. Et surprise, dans cette étude on découvre que l’arrivée de profils différents dans les entreprises est rentable. Selon une étude du cabinet McKinsey : « les entreprises où la diversité est une réalité sont jusqu’à 36% plus susceptibles d’avoir de meilleurs résultats financiers. » Voir une relation de causalité directe entre diversité et meilleurs résultats financiers est-il pertinent ?

Guylain Chevrier : On ne saurait reprocher à ces promoteurs engagés de la diversité de prêcher pour leur paroisse, même s’ils y vont avec un volontarisme que l’on pourrait juger coupable. Vouloir voir une causalité directe entre diversité et meilleurs résultats économiques, renvoie ici à quels critères ? On parle de « profils différents » pour identifier cette diversité, ce qui est assez vagues et polysémique pour finir par ne plus rien vouloir dire, à moins de ne sélectionner que ce que l’on veut y voir. Il en va aussi de ce sur quoi cette vision tire ses arguments : « D’abord : la suppression du coût, pour la société, lié à l’inactivité de ces jeunes. » On explique que « En 2011, une étude de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) estimait ce coût à plus de 12 000 euros par NEET pour la France, au-delà de la moyenne européenne qui s’élevait à 10 651 euros. » On induit que ce chiffre révélerait une mauvaise gestion de la situation des jeunes et que cela pourrait venir d’une moindre prise en compte qu’ailleurs de leur diversité. Mais de quoi nous parle-t-on ? Tout d’abord, nous sommes dans le pôle de tête pour le moins grand nombre de jeunes au chômage en Europe, selon les statistiques de l’UE, devant la Suède, l’Espagne et l’Italie, entre autres, de loin. Et ce, alors que nous avons le plus grand nombre de mineurs de l’UE. Le différentiel du coût entre la France et la moyenne des autres pays européens, concernant l’inactivité de ces jeunes, tient, comme c’est fréquemment le cas, pour une large part à la mobilisation de moyens publics relatifs au haut niveau des protections collectives dans notre pays, où l’Etat est particulièrement interventionniste en matière sociale et économique. Tout cela doit-il être oublié, pour servir les buts poursuivis par cette « grande cause », dont on sait que la fin justifie toujours les moyens ?

Mais si ces promoteurs de « la diversité » prêchent ainsi, en s’autorisant quelques approximations, c’est que cette tendance a le vent en poupe au sommet de l’Etat. Une démarche qui s’inscrit pleinement dans une politique de « discrimination positive » menée par madame Elisabeth Moreno, Ministre déléguée en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances. Sa trouvaille, la création d’un « Index de la diversité » en direction des entreprises. Il s’agit de sonder selon elle « le niveau d’inclusion et de diversité d’une organisation publique ou privée, via une enquête collaborateurs ». Pour dire que « cet outil aidera les dirigeants et les DRH à engager ensuite des mesures correctives pour, au final, que leur organisation soit un meilleur reflet de notre société. » De son point de vue, « la diversité constitue un atout compétitif ainsi qu’un levier d’attractivité » Si on n’avait pas compris, elle exprime que « C’est donc sur cette dimension multiculturelle qu’il est nécessaire d’avancer, avec les organisations qui le souhaitent. » (sic !) Pour faire bonne mesure elle ajoute que « Bien entendu, cet Index se fera à droit constant et sera basé sur le volontariat à la fois des entreprises et des organisations publiques ainsi que des salariés. » On entend « créer un outil qui prendra une photographie de la diversité d’une organisation à un instant T » à l’aide d’outils de mesure les plus souvent utilisés à savoir « l’audit, le testing, l’analyse de process » . En réalité, il est question d’un véritable outil de contrôle de ladite « diversité », qui servira à pointer du doigt les mauvais élèves, et ainsi à exercer une pression de l’extérieur déplorable sur l’entreprise, contraire à son intérêt. On notera au passage, que cette politique tourne totalement le dos au principe d’égalité qui est le marqueur de notre République, d’un mode de vie où on ne regarde pas l’autre d’abord selon sa différence mais comme un égal. Ceci, en reflet de l’article premier de notre constitution qui affirme le principe d’égalité comme le seul à définir les relations d’individu à individu, et donc notre sociabilité.

Sébastien Cochard : Vous touchez du doigt l’incertitude fondamentale de la statistique : la corrélation n’est pas, en général, causalité. Les entreprises où la "diversité" est plus importante sont certainement des entreprises de taille plus importante, des multinationales, des entreprises du secteur des services, des services financiers, des sociétés de l’économie numérique, localisées dans les grandes villes, près des marchés mondialisés et près de la population de consommateurs aisés. Ces entreprises de la "diversité" ne sont pas des PME de province qui emploient des "français de souche" de la France périphérique. Donc, oui, ces entreprises sont plus rentables ; mais la diversité n’est en rien la cause de cette rentabilité plus importante.

De quoi parle-t-on tout d’abord, de quelle diversité s’agit-il ? Le site internet de Mozaïk RH utilise l’écriture inclusive, ce cancer de la langue et de la civilisation française. L’on comprend bien qu’il s’agit, facialement, de promouvoir l’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration. Mais l’on peut toutefois deviner sans peine que la folie des autres revendications "wokiste" s’engouffreront à la suite de la revendication que porte Mozaïk de quotas de recrutements par les entreprises de travailleurs issus de la "diversité". Ce n’est donc qu’un début. A quand les quotas de LGBTQQIP2SAA (Note : "lesbian, gay, bisexual, transgender, questioning, queer, intersex, pansexual, two-spirit (2S), androgynous and asexual") dans les entreprises ? La boîte de Pandore est en train de s’ouvrir.

Ce calcul économique est-il hors-sol ?

Sébastien Cochard : Il ne s’agit en rien d’un calcul économique, mais de la contamination du champ de l’entreprise par des revendications de nature politique et (anti) civilisationnelles. En France, les entreprises recrutent sur le diplôme et sur la carrière professionnelle passée. La diversité "raciale" et les autres revendications déconstructionnistes "wokistes" n’ont pas leur place dans le monde professionnel, pas plus qu’à l’école.

La lutte contre les discriminations dans le monde de l’entreprise est non seulement défendable mais nécessaire, mais imputer aux entreprises la responsabilité quasi exclusive de ce défaut de diversité n’est-il pas une erreur ?

Guylain Chevrier : Tout d’abord, voyons que ce fonds de commerce est ouvert à qui veut l’exploiter, tout droit venu du monde anglo-saxon de l’entreprise où ce concept est en vogue depuis bien longtemps. Sauf que, on notera immédiatement que nous ne sommes pas un pays de communautés séparées comme l’Angleterre par exemple, et qu’ainsi, le sens de cette volonté d’imposer dans l’entreprise de façon formelle ce que l’on appelle « la diversité » tombe à plat. Pour lui donner du sens, on décrit notre pays comme le siège de discriminations d’ampleur qu’il s’agirait de corriger, constituant l’obstacle majeur à l’employabilité des jeunes des quartiers prioritaires. C’est tout le fond du propos d’Elisabeth Moreno. On en retrouve l’écho dans les propos de Jean-Hervé Lorenzi, président du directoire du Cercle des économistes qui parle d’un « gain potentiel pour l’économie lié à l’arrivée d’une nouvelle main d’œuvre considérable. (…) Avec 1,5 millions de jeunes éloignés de l’emploi, l’impact serait absolument majeur ! On ne se rend pas compte à quel point cette situation est non seulement socialement inacceptable mais un véritable handicap pour la croissance", dit-il. Dès qu’il est question de promotion de la « diversité », est toujours sous-tendu la thèse selon laquelle le niveau de chômage élevé des jeunes dans les quartiers prioritaires de la ville, marqués par une forte présence immigrée, serait lié au poids important de discriminations supposées.

Quelques éléments nous éclairent sur ce sujet. Tout d’abord, le niveau d’accueil des populations immigrées s’est envolé, avec une augmentation la plus forte depuis la fin de la seconde guerre mondiale, particulièrement entre 2000 et 2020. Le solde migratoire des immigrés est passé de + 133 000 en 2009 à + 222000 en 2016, et la délivrance des titres de séjours est passée de 193120 en 2012 à 230.353 en 2016 et à 277406 en 2019. Ce qui se traduit dans un contexte de crise économique, par une forte difficulté à intégrer, que ce soit sur le marché du travail, donc économiquement, mais aussi socialement. Ce qu’il faut ici bien mesurer, c’est la réalité des difficultés que connaissent ces jeunes, du fait de leur origine immigrée que l’on ne veut jamais voir. Rappelons que selon une étude d’« Infos migrations » du ministère de l’Intérieur, « Diplôme selon le lien a la migration et les origines sociales », « près d’un quart des parents d’immigrés n’a jamais été scolarisé ». « Cette proportion s’élève à 11 % pour les parents de descendants d’immigrés et à seulement 1 % pour les parents des personnes sans lien avec la migration. » Cela n’aurait-il aucune conséquence sur l’employabilité de ces populations, de ces jeunes ? Dans une enquête de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, menée avec l’INSEE, en 2008, on apprend que 9% des personnes vivant en France sont dans cette situation de ne pas maitriser la lecture, l’écriture, le calcul, les compétences de base pour être autonome. Grâce à la journée d’appel de préparation à la défense, on sait que 4,7% des jeunes de 17 ans sont dans cette situation. On notait que dans les Zones Urbaines Sensibles, renommées depuis Quartiers Prioritaires de la Ville, le pourcentage d’illettrés était deux fois plus élevé que dans la population sur laquelle portait l’exploitation de l’enquête, et qu’à elles seules elles totalisaient 10% des personnes en situation d’illettrisme. On notait aussi que « 8% des personnes qui utilisaient exclusivement le français à la maison à 5 ans sont en situation d’illettrisme, contre 20% de celles qui utilisaient exclusivement une langue étrangère ou régionale au même âge ». Est-ce assez pour se rendre compte du problème et d’où, pour une large part, il vient ? On rappellera aussi, qu’environ 6000 affaires viennent devant les tribunaux dans notre pays au titre des discriminations. Un chiffre relativement modeste au regard d’une population de 67 millions d’habitants, même si aucune discrimination n’est acceptable. Même multiplié par dix, il resterait d’une signification qui n’a rien à voir avec on ne sait quel racisme « systémique » français, servant à tout expliquer.

On notera que madame Elisabeth Moreno a créé « une plateforme antidiscriminations.fr » en lien avec la Défenseure des droits, en avançant que « les discriminations se manifestent dans toutes les sphères de notre société (…) minent notre cohésion sociale et constituent des entorses à nos valeurs républicaines ». Après une période témoin, on explique que 10.000 internautes se sont rendus sur le site et que 20% de ces utilisateurs ont saisi la Défenseure des droits… Rien qui ne prouve une situation de « ségrégation » dans notre pays. Prétendre ainsi sans éléments probants qu’il y existerait des discriminations massives, n’est-ce pas justement trahir cette République qui grâce à ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité, est celle du mélange et de la paix civile ?

Puisque le problème, comme ces éléments le montrent, ne vient pas de l’entreprise, ce n’est pas elle la solution, encore moins cette promotion de la diversité qu’on entend lui imposer. On se trompe de politique, dont les conséquences peuvent être ainsi catastrophiques sur la relation sociale dans l’entreprise, prise en otage de cette vision ancrée dans une victimisation généralisée qui caractérise notre époque, à défaut d’étudier sérieusement les problèmes posés, pas politiquement corrects, il est vrai.

Sébastien Cochard : Il ne s’agit pas en l’occurrence de lutter contre des discriminations imaginaires, mais justement d’instituer une ségrégation contre les français qui ne sont pas issus de la "diversité". A diplôme égal, chances de recrutement égales. Les quotas de "l’affirmative action" sont une discrimination, que l’on retrouve déjà à l’école puisque par exemple les logiciels d’affectation dans les lycées, à niveau scolaire égal, attribuent des points négatifs aux enfants de parents de catégories CSP+ et qui habitent dans les meilleurs quartiers.

Calculer un objectif de rentabilité à la représentation des diversités dans les entreprises n’est-il pas contreproductif ?

Guylain Chevrier : Regardons ce qui se passe d’ores et déjà dans l’entreprise, au regard des conséquences de cette diversité magnifiée, pour la vendre comme vecteur de gains de productivité. Selon le dernier rapport de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), si en 2012, 44% des encadrants interrogés déclaraient faire face au fait religieux, ils sont 65% aujourd’hui. Les cas dits bloquants impliquant des conflits à ce titre sont passés de 2% en 2013 à 16% aujourd’hui. Les comportements dits « rigoristes » de 8% en 2019 à 12% aujourd’hui. On explique que dans 13% des cas problématiques « des hommes refusent de travailler avec une femme, de lui serrer la main ou de travailler sous ses ordres ». On en vient d’ailleurs, pour la première fois, à dire que les attitudes comme « le refus de travailler avec des non-coreligionnaires », « de réaliser des tâches », « la prière pendant le temps de travail ou le prosélytisme », « remettent intrinsèquement en cause l’organisation du travail ». Comme le souligne l’enquête, c’est l’islam qui est principalement concerné, avec aussi dans une moindre mesure l’évangélisme. Est-ce cela l’essence de cette diversité dont on nous vante les mérites ? D’ailleurs, du côté de la réception de l’expression religieuse au travail par les salariés, selon une étude Harris Interactive pour l’Institut supérieur du travail (IST), le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et Le Point publiée jeudi 14 octobre, sept salariés sur dix (72 %) se disent « opposés » à « des aménagements de travail formels » en fonction de « la pratique religieuse ». Ils refusent par exemple des « aménagements d’espace comme des salles de prière » (71 % s’y opposent) et le « port du voile » (68 % contre) dans leur entreprise ou établissement. Contrairement à la vision d’une entreprise plus performante et heureuse sous le signe de cette « diversité inclusive », dans l’étude de l’OFFRE, 68,7% des salariés interrogés se disent favorables à une extension de la laïcité à l’entreprise privée. Autrement dit, à une plus grande réserve vis-à-vis des signes qui distinguent cette fameuse diversité.

Par-delà l’entreprise, on doit bien voir les dégâts qu’une telle orientation politique est susceptible de faire. C’est avant tout contribuer à une assignation des individus à des groupes d’appartenance selon l’origine, la couleur, la religion, contraire à leur liberté. Faut-il rappeler que le principe d’égalité protège l’autonomie de l‘individu, qui ne pèse pas lourd lorsque celui-ci est pris dans les nœuds de la logique communautaire, qui fait prévaloir l’intérêt du groupe et l’autorité du chef de clan, culturel ou religieux, sur toute autre critère. Ce qui ne peut manquer de rejaillir sur la société en encourageant une logique de séparation, de replis identitaires, contrairement aux discours de lutte contre le séparatisme. Le « en même temps » présidentiel trouve décidément là ses limites, en croyant sans doute ainsi se créer des ouvertures dans tous les camps, il joue en réalité avec le feu au-dessus d’un baril de poudre. Pousser les choses de ce côté jusqu’au paroxysme, c’est engager notre société sur un territoire hostile, celui qui encourage les extrêmes à entrer de plain-pied sur la scène de l’histoire, au risque de nous rejouer des airs que l’on espérerait ne plus jamais entendre.

Sébastien Cochard : Il ne revient pas plus à l’entreprise qu’à l’école de "corriger" la société dans le sens voulu par des activistes -qui n’ont, disons-le clairement, pas d’autre but que de déconstruire la France pour la fondre dans le grand magma indifférencié de la globalisation.

Cette étude est-elle le seul cas où l’inclusion est mise au cœur de conclusions économiques ?

Sébastien Cochard : S’il y avait un type d’inclusion qui devrait intéresser le politique et le monde de l’entreprise, ce devrait être celui de la fracture numérique. Les populations relativement les plus âgées et souvent les moins formées, héritières de l’économie traditionnelle dont l’éradication a été accélérée par la crise covid et la pénétration forcée toujours plus rapide de l’économie digitale, ces populations se retrouvent rapidement exclues, de plus en plus durement, non seulement de la vie économique mais également en tant qu’administrés : le "e-gouvernement" n’est déjà plus un choix mais est devenu une obligation. L’exclusion de la France périphérique est de plus en plus prononcée et c’est là le vrai enjeu qui devrait concentrer les efforts de nos responsables politiques."

Lire "Plus de diversité en entreprise, plus de croissance automatique ? L’étrange pensée hémiplégique des économistes inclusifs".


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