Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur et chargé d’enseignement à l’université, ancien membre de la mission Laïcité au Haut Conseil à l’Intégration. 5 juin 2017
"Il suffit !", s’est exprimée en substance Theresa May, lors d’une déclaration officielle, au lendemain des attaques qui ont fait sept morts et 48 blessés à Londres, dans la nuit du 3 juin. Un attentat qui intervient après d’autres, depuis mars, dont le précédent s’est produit à Manchester il y a seulement une quinzaine de jours.
Certes, on entend revoir l’organisation des forces de police qui sont chargées de cette question, au regard de la montée des risques, mais surtout, de ces attentats qu’elles n’ont pas été en mesure d’empêcher. Pour autant, on sait parfaitement que le problème principal est ailleurs. Il tient à l’illusion d’une moindre menace relativement à une Angleterre tolérante, fermant les yeux le plus souvent, avec des bobbies qui font respecter la loi, au moins en apparence dans ces circonstances, sans arme.
Un attentat qui crée une nouvelle donne : La fin de la tolérance vis-à-vis de l’extrémisme islamique
La Première ministre a condamné l’attentat, avertissant qu’il fallait "que cela cesse". "Il est temps de dire « assez ! » face au terrorisme. Nous ne pouvons et ne devons pas prétendre que les choses puissent continuer ainsi", a-t-elle assénée, ajoutant qu’il y avait "trop de tolérance" vis à vis de l’extrémisme au Royaume-Uni. Il serait temps, lorsque l’on sait combien dans ce pays on a laissé se développer l’extrémisme islamique, les prêcheurs de haine déverser leur poison dans la rue, tel que « il faut rejeter la démocratie, la charia est ce qu’il y a de mieux » [1], en toute impunité, au nom du droit à la différence.
On a longtemps cru que le caractère insulaire, l’accueil de la finance islamique mondiale, la tolérance à l’extrémisme musulman qui recrutait pour Al-Qaïda sur le territoire britannique dans l’ombre du communautarisme, protégeait de ces attaques, jusqu’à découvrir que c’était pour beaucoup des citoyens de la Couronne qui s’adonnaient à cette violence terroriste en se revendiquant d’un autre Etat, l’Etat islamique. Comment a-t-on pu penser par exemple, que de banaliser les Tribunaux islamiques qui appliquent tranquillement la charia avec la bénédiction du Juge anglais, en faisant des femmes de confession musulmane des citoyennes britanniques de seconde zone, était sans conséquence sur la cohésion sociale de ce pays, sur l’état de la citoyenneté ? Un encouragement à porter au-dessus de la loi civile la loi religieuse qui est tout le contraire de l’Etat de droit. Ce qui n’est qu’un aspect mais assez significatif des dérives du multiculturalisme anglais. Si on réfléchit au fait que dans la loi il existe encore le délit de blasphème, la religion de la Reine étant religion officielle, on voit encore là un autre aspect de cette brèche.
On explique, dans une série de commentaires sur les attentats paraphrasant les milieux officiels britanniques, que l’on commence à mettre en cause le communautarisme, le principe de communautés identitaires séparées, qui rendrait plus difficile le contrôle des personnes susceptibles de commettre des attentats. Eurêka ! On se rappelle des déclarations d’Angela Merkel ou de David Cameron, il n’y a pas si longtemps, expliquant que le multiculturalisme était un échec dans leurs pays au regard des enjeux de l’intégration. Une belle leçon de choses qui n’en est qu’à ses balbutiements, tant l’idéologie clientéliste qui a fait élire un « maire musulman » à Londres, est tenace. On oublie aussi trop souvent de rappeler, que ce multiculturalisme n’est pas ce système de pacification des différences que l’on prétend. La presse britannique se fait régulièrement l’écho de violences intercommunautaires, car ces groupes identitaires distincts se font concurrence, avec des intérêts divergents qui ne recouvrent que rarement l’intérêt du pays, ou en apparence seulement, lorsqu’on achète leurs voix par un clientélisme politico-religieux qui est un des secrets de la politique anglaise.
Selon un sondage mené en décembre dernier auprès de 3 000 Britanniques d’obédience musulmane pour Policy Exchange [2], 96% ne croiraient pas dans la version officielle des attaques du 11 septembre 2001. Pour 31%, c’est le gouvernement américain qui en est à l’origine et non Oussama Ben Laden, 7% que les attaques sont le résultat d’un complot juif, et 58% ne se prononcent pas. Deux britanniques musulmans sur cinq seraient favorables à l’introduction de la charia dans le pays. Il a également révélé que 40 % étaient en faveur de classes où on pratique la ségrégation sexuelle, tandis que 44 % pensent que les écoles devraient être en mesure de forcer les filles à porter la robe islamique traditionnelle. En avril 2016, une enquête menée au Royaume-Uni publiée dans le Times, posait la question de savoir si les musulmans britanniques ne constituaient pas une « nation dans la nation » ? Elle révélait que seulement 34% des musulmans seraient prêts à dénoncer une personne qui a des liens avec le terrorisme en Syrie. Dame Louise Casey, membre du gouvernement britannique en charge des questions d’intégration à ce moment, a publié une étude révélant que 75% des musulmans, vivant totalement coupés du reste de la société, pensent que le Royaume-Uni est un pays islamiste (sic !). Des signes avant coureurs des risques terroristes qui se tapissent dans l’ombre du communautarisme, qui auraient sans doute dû attirer l’attention sur les fragilités d’un modèle d’organisation sociale qui est une véritable bombe à retardement.
La laïcité, meilleure pour l’intégration et pour le travail de contrôle des risques terroristes
Si aucun pays n’est à l’abri du terrorisme, le Royaume-Uni est bien plus empêtré que la France dans cette situation, car notre laïcité nous protège mieux. A poser le principe de l’égalité de tous devant la loi, elle favorise par exemple le mélange au lieu de la séparation. Cette absence de séparation des individus sur une base ethnico-identitaire garantit ainsi bien mieux l’intégration, additionnée à une école laïque qui fait passer l’accès au savoir avant l’affirmation des différences. Les couples mixtes sont 27% (français/étranger), un tiers de plus qu’au Royaume-Uni. Une situation qui crée aussi de meilleures conditions pour la police, dans son travail de contrôle des risques terroristes, au regard d’individus moins susceptibles de se cacher que dans une société formée de groupes communautaires séparés qui ne se mélangent pas.
Une lecture de la situation qui devrait inviter en France à moins de complaisance vis-à-vis de ceux qui portent un discours de division, de haine, en faisant un usage « à tort et à travers » des procès en « islamophobie ». Et ce, jusqu’à notre République, régulièrement accusée de racisme d’Etat, parce que justement elle s’oppose au multiculturalisme juridique, c’est-à-dire aux séparations identitaires qui feraient voler en éclats l’intérêt général et favoriserait toutes les dérives extrémistes dans leur ombre.
Une montée des périls en France qui va avec le recul du modèle républicain
C’est bien cette menace que pointe le dernier rapport du Sénat sur la radicalisation qui désigne « un communautarisme hostile à la République » comme constituant un « terreau » de la radicalisation. Une radicalisation qui se diffuse un peu partout dans nos banlieues, avec 20.000 individus concernés aujourd’hui, un salafisme totalement hostile à la République, à ses valeurs, avec des pratiques contraires à nos lois comme la polygamie, laissé libre d’agir pour approcher dans les mosquées les plus fragiles, et les amener à une mise à part où tout peut se produire. On doit être plus que jamais attentif à une situation en escalier vers la radicalisation [3], qui est très bien décrite par l’identification des différents groupes repérés, qui posent problème, au sein des musulmans. Selon l’étude de l’Institut Montaigne de septembre dernier, intitulée « Un islam français est possible », un groupe de 28% des musulmans qualifié d’autoritaire, est pour le port du voile intégral, considèrent que la Charia est au-dessus des lois de la République, et utilisent l’Islam comme instrument de révolte. Si on rajoute que, selon l’enquête de l’Observatoire Sociovision de novembre 2014, 47% des musulmans souhaitent une société où chacun peut exprimer publiquement son appartenance religieuse, contrairement à une tendance générale qui s’exprime à 82% en faveur de plus de discrétion dans l’espace public en matière de religion, et encore le constat d’un refus du mélange au-delà de la communauté de croyance qui s’élargit à la mesure de l’extension du port du voile dans notre société, on voit l’annonce de bien des problèmes. Loin de toute chasse aux musulmans, il s’agit au contraire de protéger nos concitoyens de confession musulmane de ceux qui portent en eux le risque de toutes les violences, dont ils sont d’ailleurs aussi les victimes lors des attentats.
Des pistes à explorer pour contrer la montée des périls
Pour que nos concitoyens de confession musulmane puissent eux-mêmes trouver à faire qu’émergent, face à ce mouvement de fermeture dangereux, au risque de la radicalisation, d’autres courants, plus modérés, plus démocratiques, il faut sortir d’une logique de parti unique mise en place avec le Conseil français du culte musulman, pratique en terme de gestion, mais erronée dans les faits. Car elle procède d’une globalisation de la question islamique qui tend à étouffer toute autre approche, alors que la République a besoin d’interlocuteurs qui sortent réellement de la société civile, démocratiquement représentatifs, et non de l’influence extérieure de tel ou tel pays « ami », dont on organise aussi au passage l’ingérence. Pour les Anglais, le premier pas serait sans ambiguïté celui de la sortie du multiculturalisme.
Le fait qu’outre-Manche on critique la laïcité française, la considérant comme opposée à cette tolérance inconsidérée qui a conduit à la situation explosive que connait le Royaume-Uni, pendant que dans l’hexagone, certains ne cessent de faire son procès en mettant au pinacle le multiculturalisme et le chacun ses droits selon sa différence, pourrait faire sourire, si cela n’était pas révélé dans ces circonstances dramatiques dues à la barbarie fasciste de l’islamisme. La laïcité de notre République apparait donc comme notre sauvegarde, qu’il faut défendre et promouvoir. A condition qu’encore, au contraire, on ne la brade pas. De ce point de vue, la loi de « moralisation politique », présentée récemment par le gouvernement, ferrait bien d’ajouter à ses intentions des propositions visant à stopper un clientélisme politico-religieux grâce auquel certains n’hésitent pas à se faire élire.
Une prise de conscience au Royaume-Uni qui bouscule le multiculturalisme
Theresa May a aussi affirmé que des discussions "difficiles" et potentiellement "embarrassantes" étaient nécessaires au Royaume-Uni pour faire face à la propagation de l’extrémisme. (…) Nous faisons face à une nouvelle tendance dans la menace qui nous touche, car le terrorisme engendre le terrorisme", a affirmé la Première ministre, ajoutant que cinq attentats "crédibles" ont été déjoués durant ces derniers mois par les services de sécurité et de renseignement. Effectivement, c’est bien vu, mais un peu tard tout de même."
[1] Reportage sur les attentats en Angleterre, France 2, 20 h, le 5/06/2017.
[2] 93% des musulmans britanniques sont très attachés à la Grande-Bretagne mais 1 sur 25 seulement croit qu’Al Qaïda est responsable du 11 septembre. Décryptage publié sur Atlantico, le 5 décembre 2016.
[3] Grand Orient de France, Utopiales maçonniques 2017. RASSEMBLER : Démocratie et Radicalisation. Grand Témoin : Guylain Chevrier. Intervention filmée, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=-u7QYEvCiyU
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