Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur et chargé d’enseignement à l’université, ancien membre de la mission Laïcité au Haut Conseil à l’Intégration. 17 avril 2017
"L’Union des organisations islamiques de France organise ce week-end son congrès annuel au Bourget. On dit que l’organisation qui défend depuis toujours l’islam politique, sinon l’islamisme versus Frères musulmans, entend jouer l’apaisement. Elle y officialisera ainsi un nouveau nom : "Musulmans de France". Un nom qui ne cache pas l’ambition de cette organisation, celle de se tailler un costume de parti unique des musulmans de France, tout en créant l’illusion de devenir fréquentable, à se défendre aujourd’hui de tout lien avec les Frères musulmans. Son président, Amar Lasfar, se défend de vouloir ainsi redorer l’image dégradée de l’organisation, affirmant que « la constitution française est notre constitution, que le droit français est notre droit" ("En quête de respectabilité, l’UOIF "joue l’apaisement"", L’Express.fr,14 av. 17). S’interroger sur cette affirmation n’est-ce pas déjà céder à l’esprit de défaite face à la montée d’un communautarisme de plus en plus fermé, sous influence salafiste sinon de l’islam politique qui souffle dans le sens de la radicalisation, à quoi cette organisation est loin d’être étrangère ?
L’UOIF, une organisation qui a banalisé les pires discours de l’islam salafiste et communautariste
Comment laisser l’UOIF d’aujourd’hui prétendre n’avoir aucun lien avec la confrérie des Frères musulmans dont l’idéologie a été depuis sa création en 1983 la ligne directrice, rejetant les lois laïques de la République, invitant les pires prêcheurs de l’islamisme : du Syrien Mohamed Rateb Al-Nabulsi, du Marocain Abouzaïd Al-Mokri et du Saoudien Abdallah Salah Sana’an, au côté de l’islamologue suisse Tariq Ramadan et son frère Hani Ramadan qui vient d’être expulsé de France, parce que, selon le ministre de l’intérieur « faisant peser une menace grave sur l’ordre public sur le sol français (…) Les forces de l’ordre sont pleinement mobilisées et continueront de lutter sans relâche contre l’extrémisme et la radicalisation ». En septembre 2002, il avait fait scandale en défendant dans une tribune publiée dans Le Monde l’application de la charia et la lapidation des femmes adultères. Il avait ensuite été licencié de son poste d’enseignant par le gouvernement genevois pour propos « contraires aux valeurs démocratiques et aux objectifs de l’école publique ». Il faisait partie des invités lors du 31e congrès de l’organisation en 2014, ce n’est pas si loin. La démographe Michèle Tribalat avait suivi son intervention retransmise en direct sur UOIF-tv. Elle expliquait au journal Le Figaro ("Choses entendues lors du 31ème congrès de l’UOIF", Le Figaro, 23/04/2014) : « Malheureusement, l’antisémitisme a occupé une place de choix avec l’intervention de Hani Ramadan (le frère de Tariq), directeur du Centre islamique de Genève et présenté comme un « invité de marque » sous les applaudissements du public. »
Tout en France, et dans le monde, est fait pour contrarier les musulmans. « Qu’il s’agisse de la France, de la situation en Egypte, de la guerre en Syrie, de l’Irak, du Rwanda, de la Centrafrique, tout provient d’une main qui agit dans l’ombre. Et quelle est cette main ? La barbarie sioniste, dixit. Tout le malheur provient des juifs qui n’ont qu’une idée en tête, concrétiser le rêve du grand Israël. » Non seulement ce prêcheur islamiste y a défendu le salafisme mais aussi s’est livré à un antisémitisme débridé, qui n’a amené à aucune déclaration de désaveu les dirigeants de cette organisation. Michèle Tribalat rapportait encore les propos de Nouria Addou, invitée la même année de l’UOIF, qui « a fustigé le comportement du président de la République, qui a eu une compagne et des enfants qu’il a quittés pour une nouvelle compagne, qu’il a quittée à nouveau pour un flirt, comportement d’après elle typique d’une société qui privilégie le plaisir à l’attachement. » Quel obscurantisme ! Combien de temps accepterons-nous que des organisations fassent la promotion d’une vision de la famille où la femme est un sous-individu de droit, que le voile intégral entend enterrer vivante ! Une organisation qui rejette sans ambiguïté depuis des années les valeurs de la modernité démocratique. Il était temps de s’apercevoir des dangers que font peser certains par leur idéologie sur notre société en expulsant Hani Ramadan. Tariq Ramadan ne vaut pas mieux derrière ses airs de ne pas y toucher, il a été l’initiateur d’un « moratoire sur la lapidation », faux-nez de l’islamisme radical, qui est un des animateurs d’une opération permanente de déstabilisation de notre République.
Une société mise en danger par la montée de l’islam radical
Selon l’étude publiée par l’Institut Montaigne, sous le titre « Un islam français est possible », 28% des musulmans interrogés considèrent la charia comme supérieure aux lois de la République. Dans une note, la Direction centrale de la sécurité publique (DSCP) datée de fin 2016, alerte sur « le développement de l’emprise religieuse dans les quartiers » évoquant de véritables « stratégies locales » menées entres autres, par les salafistes, avec des « pressions exercées sur les familles et notamment les femmes », avec une politique de « conquête des instances de représentation des quartiers », tout cela sous le signe d’un retour à un « islam des origines ». Daniel Dugléry, maire LR de Montluçon, est un des maires qui témoignent de cette évolution qui évoque un « climat changeant » : « Je constate depuis peu que le communautarisme gagne du terrain en ville. Les commerces sont rachetés un à un, et une ambiance délétère s’installe, qui pousse certains riverains à partir et à céder leurs biens, rachetés à vil prix. C’est un vrai système qui s’est mis en place » déplore-t-il. François Pupponi, député-maire socialiste de Sarcelles, confirme ces évolutions « insidieuses ». Selon lui, « les salafistes infiltrent les milieux culturels », il en veut pour preuve concrète qu’ils ont récemment « essayé de prendre le pouvoir à la MJC de Sarcelles ». Le dernier rapport d’information qui vient d’être rendu par le Sénat sur la prévention de la radicalisation n’est pas moins inquiétant. Il souligne un double enjeu pour les collectivités : « contribuer à la prévention de la radicalisation violente, certes, mais aussi lutter contre un communautarisme hostile à la République qui en constitue le terreau ». On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas !
On commence à voir ce qui se trame derrière ces organisations qui militent en faveur d’un communautarisme mortifère, qui cherche l’affrontement, en utilisant un discours de victimisation à outrance, de l’UOIF au Parti des Indigènes de la République qui milite pour des « camps décoloniaux », dont les organisateurs expliquent sur internet qu’ils sont « réservés uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’Etat en contexte français » autant dire interdit aux blancs, au Collectif contre l’islamophobie en France, organisation qui ne cesse de faire des procès aux intellectuels français qui osent critiquer l’islam politique et le rôle que joue, dans sa promotion, tout un réseau qui passe par les quartiers dans lesquels une allumette pourrait déclencher le pire. Combien de contrôles de femmes portant le voile intégral, interdit par la loi du 11 octobre 2010 qui proscrit la dissimulation du visage dans l’espace public, ont dégénéré en émeutes, avec le soutien de bandes et de population de quartiers ghettoïsés. Il faut stopper ces organisations qui font passer la laïcité républicaine pour un instrument de chasse aux musulmans, quand elle garantit les convictions de tous, de croire comme de ne pas croire, et protège précisément la liberté de nos concitoyens de confession musulmane de pouvoir vivre leur religion en pleine concordance avec les valeurs et principes de notre République.
Des voies d’eau inquiétantes venues d’une frange intellectuelle, médiatique et institutionnelle de notre société
Mais force est de constater aussi, que toute une frange de notre société, intellectuelle, médiatique et institutionnelle, participe de créer ici des voies d’eau. D’Emmanuel Todd, qui dénonce ceux qui ont été Charlie après les attentats de janvier 2015, comme malades d’un racisme inavoué, au sociologue Raphaël Liogier, qui fait le procès permanent d’une société française accusée de stigmatiser les musulmans, déjà invité au congrès de l’UOIF, on peut s’interroger d’autres prises de position. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), si elle montre dans son dernier rapport sur La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, que l’indice de tolérance des Français au regard de la diversité de notre société n’a jamais été aussi bon, reprend malheureusement à son compte le concept d’« Islamophobie », sachant parfaitement l’usage qu’en font les associations citées plus haut comme bélier idéologique contre la République, afin d’interdire toute critique d’un courant de l’islam qui vise à imposer le religieux contre le politique et donc, contre nos libertés. « Islamophobie », un concept juridique qui sert à condamner dans les pays musulmans pour délit de blasphème ! Il reprend aussi le concept d’ « intersectionnalité » dans la lutte contre les discriminations, d’influence anglo-saxonne, qui vise à encourager la montée des affirmations identitaires pour les faire converger dans une demande de réparation généralisée qui amène tout droit au multiculturalisme, qui signerait la généralisation du communautarisme, la segmentation de notre société avec tous les risques d’affrontement que cela peut contenir et la fin de l’égalité républicaine, et donc, de la laïcité.
Le dernier rapport de l’Observatoire national de la laïcité, qui appelle médias et élus à la prudence à se détacher du "culte de l’immédiateté" et du "clash" dans un contexte de "sensibilité toujours très forte" autour du fait religieux en période pré-électorale, faisant état d’une "crainte de voir la laïcité se redéfinir par de nouvelles lois pensées uniquement pour l’islam" n’est pas, non plus, très aidant, au lieu de dénoncer la dérive communautariste actuelle avec la montée des périls que nous venons de souligner. Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris, ex-président du Conseil Français du Culte Musulman, peut ainsi, allègrement, faire le procès de la France comme un pays qui stigmatise les musulmans, lors de la présentation récente de la charte de l’imam, qui interpelle encore notre République en faveur d’accommodements déraisonnables.
On finira ce constat par une bien curieuse démarche de l’Express.fr qui, sous le titre « En quête de respectabilité, l’UOIF "joue l’apaisement" », à propos du congrès de l’UOIF, interviewe un certain Vincent Geisser, présenté comme spécialiste de l’islam, qui est surtout connu pour ses prises de position polémiques en faveur de l’islam radical ("L’"Islam light" selon Vincent Geisser", par Caroline Fourest, Le Monde, 19 juin 09) « En fait de "contribution scientifique", explique-t-elle, « l’essentiel des travaux de Vincent Geisser consiste à stigmatiser toute personne critique envers l’intégrisme musulman comme étant "islamophobe", tout en répandant des clichés sur les musulmans laïques sur les sites islamistes ». Il explique ainsi, dans cette interview, à qui veut l’entendre, que l’organisation aurait changé et ne serait pas organiquement liée aux Frères musulmans : "Elle est historiquement proche des Frères musulmans, corrige Vincent Geisser, chercheur au CNRS et à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. Mais face aux injonctions des autorités et à l’épreuve du terrorisme, il y a un recentrage politique, idéologique et théologique, une réflexion sur leurs fondements politiques et doctrinaux, ils jouent davantage le jeu du légalisme." En cherchant un peu dans nos souvenirs, on s’apercevra que ce dit chercheur a surtout participé, comme militant d’extrême gauche, aux meetings organisés en banlieue avec son ami Tariq Ramadan. Il est l’un des invités de ce congrès de l’UOIF pour y parler laïcité…
Réagir face à cette montée de tous les dangers
Le temps n’est plus à tomber dans ces approximations, c’est celui de tous les dangers face à la montée de ce communautarisme explosif pour notre vivre-ensemble et notre paix sociale, sans oublier des attentats qui, un peu partout, se multiplient. Il serait grand temps que l’on écoute ceux qui s’interrogent à propos de certaines organisations quant à leur légalité, alors qu’elles participent activement à la montée de revendications identitaires à caractère religieux et de tensions dans nos quartiers, encouragent la division, un climat de violence symbolique qui pousse à la violence tout court, alimentent l’islam politique, antichambre de la radicalisation."
Lire aussi "L’UOIF devient « Musulmans de France »" (la-croix.com , 28 fév. 17) (note du CLR).
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