Revue de presse

G. Chevrier : "Danger islamiste en Tunisie ? Connaît pas !" (atlantico.fr , 26 août 21)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 29 août 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Voilà un mois environ que le président tunisien, Kaïs Saïed, a été amené à suspendre le Parlement, dominé par le parti islamiste Ennahdha, et à limoger son Premier ministre d’un gouvernement tout aussi sous influence. Choses que la Constitution sensiblement lui autorise. Il s’était alors engagé à nommer un nouveau gouvernement, sous 30 jours. On reproche ainsi au président tunisien, au nom de la démocratie vue côté médias occidentaux, de ne pas en avoir nommé encore un nouveau et que l’armée bloque toujours le Parlement. C’est bien le message que délivre ce 23 août France info, insistant pour dire que « la communauté internationale s’inquiète de voir la Tunisie glisser vers une nouvelle forme d’autoritarisme ». On rajoute : « Mais une bonne partie des Tunisiens approuvent cette suspension du Parlement gangrené par les luttes politiques internes et la corruption. » Puis, suit un reportage dans lequel on ne nous dira rien de plus pour comprendre sur quoi repose cette appréciation à contre courant des Tunisiens. C’est pourtant là que réside l’essentiel, sans quoi, on ne peut qu’être dans un discours de défense de la démocratie et des libertés, hors-sol, au regard des enjeux vitaux auxquels se confronte la Tunisie. Une tradition d’aveuglement d’un certain journalisme français qui a la peau dure.

Un peuple dressé contre l’islam politique

Lorsque le président tunisien prend la décision de geler les travaux du Parlement et limoge le chef du gouvernement, quelle est la situation politique dans le pays ? Plusieurs milliers de Tunisiens exaspérés manifestent contre leurs dirigeants, particulièrement contre Ennahdha, parti islamiste conservateur, criant des slogans hostiles à celui-ci, et au Premier ministre qu’il soutient, Hichem Mechichi, scandant "le peuple veut la dissolution du Parlement". Un parti en perte de vitesse (ses voix ont été divisées par trois en 10 ans), qui doit encore sa position à son organisation et sa discipline, dans le paysage politique de la jeune démocratie tunisienne. Sur des pancartes on peut lire, « dégage ! », "Changement de régime !" Selon France 24 [1], des locaux et symboles d’Ennahdha ont été pris pour cible. « Des appels à manifester le 25 juillet, jour de la fête de la République, circulaient depuis plusieurs jours sur Facebook... Ils réclamaient entre autres un changement de Constitution et une période transitoire laissant une large place à l’armée, tout en maintenant le président Saïed à la tête de l’État. »

L’opinion publique tunisienne est exaspérée par les conflits entre partis au Parlement, et par le bras de fer entre le chef du Parlement Rached Ghannouchi, chef de file de la formation islamiste Ennahdha, et le président Saïed, qui bloquent toute avancée depuis six mois, notamment dans la gestion de la crise sanitaire. On a en mémoire les images d’hôpitaux bondés, de personnes contaminées agonisantes, parfois couchées à même le sol, privées d’oxygène. Le manque d’anticipation du gouvernement face à la Covid 19, laisse la Tunisie dans une situation catastrophique. Avec ses 22.000 morts pour un peu moins de 12 millions d’habitants, le pays a l’un des pires taux de mortalité au monde dans cette pandémie.

Comme le rapporte le journal Marianne [2], c’est dans ce contexte que le parti islamiste Ennahdha, déjà responsable d’une véritable faillite dans la gestion de la crise, a réclamé au gouvernement des milliards d’indemnisations pour ses fidèles au titre des « souffrances subies sous la dictature de Ben Ali ». Un ultimatum au gouvernement qui exigeait le versement de sommes faramineuses avant le 25 juillet, jour de la fête nationale, ce qui a soulevé un peu plus la colère sinon la rage dans l’opinion. « L’objectif d’Ennahdha était de reconquérir à toute vitesse, moyennant argent, les voix de ses sympathisants, échaudés par l’incapacité du parti et du gouvernement du Premier ministre Hichem Mechichi - à ses ordres - à gérer le pays ravagé par la pandémie. » relate encore le journal.

On apprend dans le même article qu’au parlement, les violences se sont multipliées, particulièrement contre Abir Moussi, chef de l’opposition, présidente du Parti destourien libre. Une scène d’une violence inouïe s’est déroulée le 30 juin au cœur de l’Assemblée tunisienne. Deux députés islamistes ont frappé celle-ci, à coups de poing et de pied, à quelques heures d’intervalle. « Quand elle prend le micro au Parlement, on lui envoie désormais des femmes voilées pour l’empêcher de parler ». Voilà encore le climat d’un Parlement qui reflète la situation tunisienne, bien loin des leçons de démocratie faites par les journalistes français. Au lieu de s’alarmer du risque de dérive autoritaire du président Sayed, ne devraient-ils pas être les dénonciateurs des dérives et violences de l’islamisme dans ce pays, pour comprendre qu’on ne combat pas cela en se berçant de mots, qui finalement deviennent creux au point de servir les ennemis de ce que l’on dit défendre !

Voilà face à quelle menace pour son pays, le président Saïed a été amené à réagir le 25 juillet dernier à l’issue d’une réunion d’urgence avec des responsables des forces de sécurité : "Selon la Constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’État et le peuple tunisien". "Nous traversons des moments très délicats dans l’histoire de la Tunisie", a-t-il ajouté.

A cette annonce, des explosions de joie ont retenti dans les rues, coups de Klaxons, feux d’artifice, youyous, tel qu’en témoigne France 24. De nombreux Tunisiens ont bravé le couvre-feu imposé de 20 heures à 5 heures en raison de l’épidémie de Covid-19. « Des rassemblements ont eu lieu sur l’avenue Bourguiba, principale artère de Tunis, mais aussi dans de nombreux quartiers de la capitale ». Nombre de Tunisiens ont accueilli avec enthousiasme ces mesures. Ils attendent des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays où la situation sociale, économique et sanitaire est très dégradée.

Remise sur les rails de la Révolution du « Printemps arabe »

Des députés arrêtés, des responsables assignés à résidence, des partis visés par la justice… Depuis que, le 25 juillet, le président Kaïs Saïed s’est doté des pleins pouvoirs, les affaires se succèdent à grand train en Tunisie, comme le journal La Croix [3]
en rend compte. On préférerait évidemment que le régime d’exception, censé s’être achevé le 23 août, ne se poursuive pas, mais la Tunisie n’est pas exactement en ce moment le pays des bisounours. Les Tunisiens espèrent beaucoup du président Saïed, et principalement, qu’il remette sur les rails une révolution confisquée, selon eux, par les partis au pouvoir depuis 2011, tout particulièrement par Ennahdha, le parti islamiste. Ce dernier, face à son impopularité, met de l’eau dans son vin, disant condamner tout dénigrement visant le président Saïed, et être attaché au dialogue pour surmonter la crise actuelle. Les Tunisiens ne savent pas encore ce que leur président compte faire. Une nouvelle Constitution ? Des élections anticipées ? La mise en place d’un nouveau gouvernement évoquée récemment ? Un rendez-vous avec le peuple tunisien qu’il ne faut pas rater.

La Tunisie est l’unique pays de la région à avoir persévéré sur la voie de la démocratisation après le "Printemps arabe", d’où ce contexte politique d’exception, reflet d’une révolution qui n’est pas achevée et dont les premiers acquis sont en danger. « La communauté internationale" s’inquiète désormais d’une régression, nous dit-on, via l’AFP qui donne le ton. Une « communauté internationale » qui aurait bien fait de s’inquiéter d’une régression programmée en Afghanistan avec le retour de l’islamisme, sous le signe d’une Amérique cynique qui, tant que ses intérêts sont garantis, laisse faire les Talibans ou d’autres. Une « communauté internationale » dont l’ONU symbolise la banqueroute politique, discréditée, avec ces journalistes complaisants envers elle dans ses bagages et une vision du monde dont les critères sont décidément à revoir. On imagine l’encouragement donné par cette déconfiture à toutes les forces obscurantistes islamistes dans le monde. L’inquiétude devrait être de ce côté, y compris pour la Tunisie, mais le déni est toujours plus fort."

Lire "Journalisme aveugle : danger islamiste en Tunisie ? Connaît pas !"


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Tunisie : "coup de force" du président Kaïs Saïed (25 juil. 21) dans la rubrique Tunisie (note du CLR).


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