Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 4 septembre 2019
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Selon une récente étude américaine, publiée dans le Journal of Economic Behavior and Organization, il n’y aurait pas de lien, dans le monde, entre le niveau d’immigration et le terrorisme.
Atlantico.fr : Une étude américaine publiée dans le Journal of Economic Behavior and Organization estime qu’il n’y aurait pas de lien, dans le monde, entre le niveau d’immigration (en particulier sur le niveau d’immigration musulmane) et le terrorisme. Or la question de l’immigration revient avec les évènements de Villeurbanne du week-end. Est-ce vraiment le problème central lorsque l’on parle de terrorisme ? La question de l’intégration n’est-elle pas première ?
Guylain Chevrier : Par-delà l’attentat de Villeurbanne commis par un migrant afghan, un autre jeune afghan soupçonné d’avoir attaqué au couteau deux touristes américains dans la gare d’Amsterdam –Central, l’année dernière, a affirmé lundi devant les juges qu’il s’était rendu aux Pays-Bas pour « protéger le prophète Mahomet » Des attaques au couteau du même genre qui se sont multipliées en Europe. On se rappelle que parmi les terroristes des attentats du 13 novembre 2015, il y avait deux migrants irakiens, alors que deux autres migrants pakistanais avaient été arrêtés en Autriche pour défaut de documents administratifs qui étaient censés les rejoindre. Considérer ainsi, comme le fait cette étude américaine, qu’il n’y aurait pas de lien entre immigration et terrorisme n’est pas très sérieux. Autre chose est de ne pas confondre migrants et terroristes, et de tomber dans l’amalgame en généralisant.
La situation actuelle en France, avec une radicalisation religieuse qui galope dans un contexte de montée du communautarisme qui en est l’un des principaux terreaux, donne une image assez contrastée de l’intégration, qui parait ne pas atteindre pleinement son but. Autrement dit, faire des citoyens ayant la volonté de vivre ensemble autour d’un contrat social viable. Si l’on s’est un peu raté sur ce sujet ces dernières années, on n’a plus le droit à l’erreur aujourd’hui face à la pression migratoire.
La question de l’intégration ne peut se poser de la même façon qu’il y a dix ans au vu de la réalité de l’immigration actuelle, marquée par les conflits armés où l’aspect religieux domine. Ce qui comprend des risques nouveaux. Pas simplement au regard du risque terroriste mais de l’intégrisme religieux qui est parfois très présent dans les pays d’origine, et peut être l’antichambre d’une radicalisation religieuse dans le pays d’accueil si l’intégration n’aboutit pas ou mal. Imagine-t-on bien le décalage qui existe pour un migrant afghan, qui n’a connu que la religion comme repère social et culturel, politique, sous le signe de la violence et des talibans, avec notre société, ses mœurs, son mode de vie, ses institutions ?
L’enjeu que constitue l’intégration des migrants est souligné dans le rapport de la Commission spéciale sur le terrorisme de l’UE dans ses observations (2018). Il explique que le flux de migrants en situation irrégulière et de réfugiés, constitue un problème pour leur intégration dans les sociétés européennes et nécessite des investissements accrus et spécifiques en faveur de l’inclusion sociale et culturelle. Il y a aussi sans doute là à ne pas négliger un rapport à l’équilibre interne des pays à respecter, qui se manifeste à travers la difficulté à intégrer et le risque que se forment des communautés séparées du reste du corps social, le divisant. La maîtrise des flux migratoires demeure aussi une grande question politique pour les Etats, étroitement liée aux possibilités d’intégration de populations hétérogènes venues de territoires de plus en plus éloignés géographiquement et culturellement.
Ces moments dramatiques vous semblent-ils les opportuns pour traiter ces questions ? Dans quelle mesure donnent-ils lieu à l’apparition d’un clivage sur ces questions qui mériteraient d’être mieux traitées ?
L’agenda médiatique est largement sous l’impulsion d’événements marquants dans ce domaine qui ne cessent de faire incidence, sans laisser refroidir le sujet. La tendance étant aujourd’hui aussi à chercher à faire à tout prix le buzz, à pratiquer une politique du clash sur les plateaux de télé, qui va très bien avec le caractère dramatique des attentats. On a ainsi du mal à prendre un certain recul.
D’autant que parallèlement on assiste à une injonction permanente à l’accueil des migrants, par l’entremise d’ONG qui n’hésitent pas, comme dans le cas de L’Océan Viking, (ONG SOS Méditerranée et Médecins sans Frontière) à créer une certaine hystérie en prenant en otage les pays européens mis devant le fait accompli de devoir accueillir dans l’urgence, sans que l’action politique ne puisse être pensée. Sur les rescapés récupérés près des côtes libyennes en méditerranée par le bateau, la France a décidé d’en accueillir 150.
Ce qui clive aussi, c’est cette vision de la question migratoire illustrée par Les cahiers de science et vie (Juillet 2019), où on affirme que ce sont « les migrants qui ont construit l’Occident », en utilisant à contresens de l’histoire ce terme pour parler des mouvements de peuples qui sont à l’origine de la France. En filigrane, il y a une forme de discours de la culpabilisation sous cette présentation orientée de l’histoire, justifiant d’accueillir sans compter et de laisser tout faire, contrairement aux exigences fortes de l’intégration. On y trouve même affirmé selon le sociologue François Heran, que « l’Europe n’aurait pas pu se relever de ses guerres sans l’aide des migrants. » C’est passer sous silence le rôle éminent dans ce domaine de la classe ouvrière française, dont le rôle puissant s’est reflétée dans un parti communiste qui alors ne l’était pas moins, les travailleurs immigrés jouant leur rôle dans cela, mais rien que le leur. Et de conclure : « Et l’idée que c’est plus difficile d’intégrer des étrangers aujourd’hui qu’hier est simplement fausse ». Niant ainsi une réalité qui est observable par tout un chacun, quant aux difficultés d’intégration qui se manifestent régulièrement dans notre actualité, et au regard de la question migratoire actuelle.
Un contexte de tension qui tend à cliver les positions entre des pro-migrants qui défendent un accueil inconditionnel au nom du devoir d’humanité, et qui ne prend en compte aucune des contraintes réelles que l’immigration engage, et ceux qui ont tendance à voir dans chaque migrant un terroriste potentiel, y opposant une posture très identitaire. Cela nous faisant éluder la question centrale de l’intégration, relative à comment faire société alors que les chiffres de l’immigration indiquent une forte augmentation dans ce domaine qui fait monter le niveau des enjeux.
Quelles orientations vous sembleraient préférables pour traiter la question de l’intégration à froid ?
Tout d’abord, regarder la réalité des chiffres en face et évaluer sérieusement les possibilités d’accueil et d’intégration. Un travail qui aurait dû être mené par le Haut conseil l’intégration, défunt en 2013 par la volonté du Président de la République François Hollande, parallèlement à la création de l’Observatoire de la laïcité, qui n’occupe pourtant pas la même fonction. On a cru supprimer un problème, on n’a fait que le déplacer. Un outil qui pourrait aujourd’hui être fort utile pour réaliser une sorte d’audit de la France ici, en proposant des objectifs accrochés à la réalité.
Si l’on tient compte à la fois des personnes immigrés et de leurs descendants directs, on arrive pour l’année 2013 au chiffre de 12,5 millions de personnes, soit 19,3% de la population. L’INSEE estime qu’il y a en France près de 5,7 millions d’immigrés, soit 8,9% de la population en 2013. En augmentation au regard des 7,3% de l’an 2000. Les titres de séjour sont passés de 171.907 pour l’année 2007 à 262.000 pour l’année 2017.
Un total de 123.625 demandes a été enregistré en 2018 par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), soit une hausse de 22,7% par rapport à 2017, selon le rapport annuel de l’Office. Parmi les demandeurs, « 46.700 personnes se sont vu reconnaître le statut de réfugiés ou la protection subsidiaire », soit un niveau jamais atteint à l’Ofpra. C’est pratiquement trois fois plus qu’en 2009 où on comptait 47.786 demandes.
Des chiffres qui ont enflé avec le conflit en Syrie et en Irak, ou encore avec les événements violents dus au soulèvement populaire au Soudan, mais c’est l’Afghanistan qui est passé premier avec 10.370 dossiers déposés, en hausse de 55% par rapport à 2017.
Selon les chiffres de l’ONU, la France a accueilli entre 2000 et 2017, 1.624.065 migrants dont 1.397.186 d’Afrique et du Moyen-Orient. On ne peut donc banaliser la situation.
Il faut sans aucun doute renforcer les moyens de contrôle permettant de mieux identifier les profils des candidats à l’accueil. C’est ce que dit en substance le rapport déjà cité de la Commission spéciale sur le terrorisme de l’UE, avançant que les contraintes qui pèsent sur la protection des données personnelles, que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) est autorisée à traiter, ne lui permettent pas de parvenir à surveiller les activités terroristes en raison de la courte période de conservation de ces données qui est de 90 jours seulement. Et qu’il est donc nécessaire de mettre en place un cadre juridique spécifique permettant à Frontex de traiter les données à caractère personnel pour pouvoir s’acquitter de cette tâche. L’enregistrement biométrique en arrivant sur le sol européen doit contrarier la possibilité de décliner pour le migrant diverses identités selon les pays traversés et les circonstances, en étant un danger potentiel, jusqu’à ce que l’on réagisse après un passage à l’acte, comme cela a été le cas pour l’auteur des agressions de Villeurbanne. Et la liste des mesures de même nature pourrait être longue.
Une politique d’intégration ambitieuse qui ne transige pas avec nos principes est absolument nécessaire. Nous sommes dans la confusion, avec d’un côté un discours qui se veut rassurant sur l’intégration, mais qui se traduit dans la pratique à ce que l’on soit plus obsédé par l’intégration économique derrière la notion d’inclusion, et l’accès aux droits des personnes, que par l’appréhension de nos codes sociaux et culturels, et l’intériorisation de leur respect, la mise en conformité des desiderata de chacun avec des principes communs dont, politiques. On dit faire la promotion des valeurs de la République et en même temps on ne cesse de renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école, et au lieu d’insister ainsi sur ce qui unit on entend intégrer les élèves par leurs différences, ce qui est un leurre dangereux. On en voit d’ailleurs les conséquences à travers la montée du communautarisme, de l’intégrisme et de la radicalisation religieuse dans notre pays. Lorsque le gouvernement demande aux préfets d’installer au niveau des départements des instances locales de l’islam, ce qui se fait en ce moment même, dans l’esprit de contrôler le culte musulman, on donne à l’Etat un rôle qui n’a plus rien de laïque et on brouille les cartes de tous. On dit défendre la laïcité, mais en même temps on assène qu’elle ne concernerait que le droit de l’Etat, encourageant à ce que dans la société chacun fasse ce qu’il veut. Ceci, alors que la laïcisation de la vie politique est devenue une culture qui s’est enracinée dans les mentalités française, allant dans le sens d’une certaine neutralité dans les relations communes, les individus faisant preuve de discrétion sur leurs aspects convictionnels, y compris religieux. On lâche ainsi sur des acquis qui ont pacifié la vie sociale, en laissant libre cours à des manifestations religieuses intempestives et ostensibles dans bien des espaces où cela devrait être inimaginable, comme la présence de burkinis dans des piscines contre leur règlement intérieur, poussant à la division et à l’affrontement sur le terrain religieux, faisant voler en éclats ce que l’on appelle le vivre ensemble.
Donc oui, traiter la question à froid autant que possible, à condition de pouvoir tout mettre effectivement dans le débat sans tabou."
Lire "Immigration et terrorisme : pourquoi il est temps de dépassionner le débat".
Voir aussi les documents Haut Conseil à l’Intégration (HCI) (note du CLR).
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