Guylain Chevrier, Docteur en histoire, enseignant , formateur et consultant. 27 août 2016
"Le contenu de la décision rendue
Le Conseil d’Etat s’est prononcé ce jour contre l’arrêté de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), exigeant une tenue de bain respectueuse "des bonnes mœurs et de la laïcité", qui entraînait l’interdiction du port du burkini. Il avait été saisi par des requêtes de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), émanation des Frères musulmans, contre une ordonnance en référé rendue le 22 août par des juges du tribunal administratif favorables à l’interdiction.
La décision du Conseil d’Etat concernant l’arrêté de Villeneuve-Loubet se veut un arrêt de principe.
Il fait que, en cas de recours, les autres arrêtés pourront eux aussi être sans doute cassés par la plus haute juridiction administrative française.
L’ordonnance du Conseil d’Etat précise également que "l’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle."
Le Conseil insiste sur la fait que concernant le "trouble à l’ordre public", "l’émotion et les inquiétudes résultants des attentats terroristes, notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne saurait suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée".
Dans cette décision qui fera autorité pour toutes les juridictions administratives de France, le Conseil d’Etat rappelle à tous les maires qui ont invoqué le principe de laïcité qu’ils ne peuvent se fonder sur "d’autres considérations" que l’ordre public, "le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence" pour interdire l’accès aux plages.
Un Conseil d’Etat aveugle à la montée du communautarisme contre la liberté
Le porte-parole du PS Razzy Hammadi, explique qu’il faut respecter le principe de droit. Ce ne serait pas à un maire de décider comment doit s’appliquer la laïcité. Mais qui doit alors apprécier ce qui fait trouble à l’ordre public en la matière ? On manipulerait les citoyens en créant des peurs. Mais n’y a-t-il pas de quoi s’inquiéter voire, d’avoir peur, avec cette nouvelle provocation à caractère communautariste sur nos plages ? Il est assez peu contestable qu’elle crée un véritable trouble et disons-le, légitimement, une certaine indignation, que ne comprennent ni le Conseil d’Etat ni le porte-parole du PS. Cela ne télescope-t-il pas nos mœurs et notre esprit de liberté, acquis de hautes luttes et à l’aune d’une histoire dont il a fallu, non sans difficulté, en comptant au passage avec des guerres de religion, dépasser les contradictions, pour y parvenir ?
Le contexte des attentats ne suffirait pas à justifier une telle interdiction, mais une première question vient à se poser : pourquoi a-t-on vu soudain sur les places de France et tout particulièrement sur la Côte d’Azur, à Nice même, se multiplier les burkinis ? Autre question : ce mouvement qui semble s’affirmer comme constituant une attitude communautaire de certains musulmans, ne s’inscrit-il pas dans une logique de groupe de pression sur nos normes et valeurs communes, qui n’a plus rien à voir avec l’exercice d’une simple liberté individuelle telle la liberté de conscience ? On sait que la démocratie est fragile par les libertés qu’elle donne qui peuvent se retourner contre elles, si elle n’y veille pas. L’un des rares moyens de réaction, en dehors d’une nouvelle loi, à l’abus de liberté en matière de manifestation religieuse, est précisément l’argument du "trouble à l’ordre public". Le trouble à l’ordre public n’a d’ailleurs pas qu’une connotation relative à la sécurité publique, il est question de l’ordre républicain, qui doit être convoqué si les principes et valeurs sur lesquels on fait société se trouvent attaqués, ce qui est ici l’évidence.
L’affichage collectif d’une volonté de se séparer et de peser sur la règle commune pour lui imposer des règles religieuses propres à un groupe, en opposition avec la République qui est ainsi ouvertement contestée dans ses fondements, ne serait-ce pas un problème dans un contexte de radicalisation où ces manifestations coordonnées s’expriment ? Et puis, la liberté n’est pas sans limite, la loi est aussi censée permettre de réprimer les abus de liberté, lorsque l’usage qui en est fait porte atteinte à la liberté des autres. N’est-ce pas le cas au regard de l’égalité hommes-femmes, qui n’a pu s’affirmer que par le détachement de l’Etat de toute tutelle religieuse pour permettre à l’ensemble des libertés qui constituent notre modernité de s’affirmer, qu’on laisse partir ici à vau-l’eau !
On voit qu’encore ici, c’est l’affichage d’une infériorisation des femmes promue par une lecture fermée et moyenâgeuse de l’islam, qui progresse à travers ce nouveau cap qui vient d’être franchi, qui sert de bélier contre l’égalité hommes-femmes. Mais au-delà même de la volonté de femmes de porter le burkini, il y a derrière cette pratique non seulement, la volonté d’un affichage identitaire à caractère communautariste et donc d’enfermement, mais aussi qui vise à imposer cette norme à notre société en y prédestinant ainsi combien d’enfants, à l’envers de nos libertés. Ces enfants n’ont-ils pas des droits, à ne pas, selon tel groupe d’appartenance, être privés des mêmes libertés que les autres, qui justifieraient de rejeter cette pratique ?
Pour faire société, n’avons-nous pas besoin de protéger des droits et libertés qui sont ici mis à mal ? Et ceci, aussi pour protéger la liberté des musulmans qui ne veulent pas du burkini, qui entendent librement choisir leur façon de vivre leur religion, qui sont l’objet d’un risque d’assignation de plus en plus manifeste par cette surenchère de cette pression communautaire. La validation de cette pratique par le Conseil d’Etat donne le sentiment que l’Etat ne protège plus les citoyens contre des dérives qui font voler en éclats ce qui constitue la toile de fond de ce qui nous fait tenir ensemble, ce qui nous promet les pires désordres. Et surtout, une promotion assurée pour le vote en faveur de l’extrême droite.
La République laïque face au retour de la violence du sacré
Ne peut-on se rendre compte que ce qui commence à poindre aujourd’hui à travers ce type de manifestations, n’est pas une guerre de civilisations comme certains le voient, mais un combat entre une forme de pensée religieuse qui fait retour au sacré et notre modernité, qui a installé la raison dans la loi des hommes, un combat entre l’islamisme et la liberté ? A travers l’affichage de ce type de signes religieux ostensibles, ce qui est défendu, c’est le fait que certaines femme se revendiquent comme pures au regard d’exigences divines auxquelles elles se soumettent comme inférieures, pendant que les autres sont jugées comme impures à se comporter de façon libre. Les impures insultent aux yeux de ces croyants leur dieu, créant le risque que ceux-ci pensent que pour satisfaire aux exigences de celui-ci, il faille imposer à ces impures ce qui doit les conduire à la pureté et si elles ne l’acceptent pas, de les y soumettre par la violence. Ne pas le faire pour certains croyants pris dans cette pensée du sacré qui gagne du terrain, induit le risque de les empêcher d’aller au paradis, la vie terrestre n’étant à leurs yeux qu’un passage vers la vraie vie après la mort, à laquelle ils croient devoir se qualifier en imposant la domination religieuse. C’est le retour de cette pensée du sacré, avec tous ses dangers, à quoi nous nous affrontons, ne nous y trompons pas, et c’est dans cette logique que puise la radicalisation jusqu’à ce que certains en viennent à se faire exploser en commettant des attentats pour mourir en martyrs en tuant un maximum de "mécréants" et autres "apostats". Ne pas vouloir voir cela en banalisant le burkini, pourrait bien un jour aux yeux de l’histoire passer pour une faute.
L’unité de notre nation en danger pourrait avoir pour réponse une nouvelle loi
Lorsque des comportements mettent en péril l’unité de la nation, nous sommes bien sur des enjeux de cohésion sociale, de citoyenneté, qui dépassent de loin la simple question d’on ne sait quelle conformité juridique avec des libertés abstraites de tout contexte. Y compris, la séparation sphère public-droit de l’Etat (laïcité), et sphère privée – chacun ferait ce qu’il veut (liberté religieuse sans limite), devient ici un artifice pour ne pas agir. On ne saurait pas plus comparer la soutane ou la kippa avec le burkini, pour dire que si on interdit ce dernier il faudrait tout interdire, car celui-ci procède d’une agression communautariste contre notre cadre de valeurs qui vise à le détruire, tout en procédant d’un prosélytisme assumé qui n’a rien à faire sur les plages. Il y a des degrés dans les manifestations religieuses, qui peuvent être limitées dans le cas du trouble à l’ordre public (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – art10, et Convention européenne des droits de l’homme-Art. 9) et c’est bien ici le cas. Il n’en va plus ici d’un juridisme formel et de son légalisme mais de la paix civile.
D’ailleurs, concernant la loi du 11 octobre 2010 d’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, la Cour européenne des droits de l’Homme avait donné raison à la France sur le fondement du vivre ensemble, qui repose sur une laïcisation de notre société qui vient de loin. Arrêtons de ce point de vue de nous cacher derrière notre petit doigt ! C’est un mouvement de laïcisation de toute la société qui a permis que nous nous mélangions parce que dans la société civile, nous nous considérons comme de égaux avant d’être différents, ce que remet en cause avec une violence symbolique certaine, cette manifestation religieuse.
Nos représentants en charge du respect de la loi sur le territoire communal ont donc eu raison et ont même fait preuve de courage de prendre ces arrêtés, face au laisser faire qui domine, dans une situation difficile. Le Premier ministre, Manuel Valls, qui avait soutenu ces décisions est ici désavoué, il ne faut pas en rester là. Il y a sans doute aujourd’hui un nouveau combat qui commence, pour une grande clarification qui mette un terme à l’usage que font les islamistes des libertés et droits individuels pour les attaquer par la constitution d’un communautarisme qui met le feu dans la Maison commune. Cet arrêt laisse libre cours au communautarisme, au nom d’une liberté détournée de son but pour en saper en réalité les fondements. Il faut absolument aujourd’hui ouvrir les yeux. Il est vrai que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905 n’avait pas prévu l’existence un jour du communautarisme, n’est-ce pas à cela qu’il est question de parer aujourd’hui en faisant progresser les lois laïques ? D’aucuns pensent à une nouvelle loi, qui pourrait, sans doute, seule répondre à cet arrêt et à ce nouveau défi qui est bien posé à la laïcité. Et si les élus en appelaient à leur population, faire que le peuple se fasse entendre ? Aucune loi ne l’interdit."
Comité Laïcité République
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