Gaël Brustier, politologue, auteur de "A demain Gramsci" (Cerf). 17 octobre 2016
"[...] Un clergé moins nombreux mais dont les membres les plus jeunes participent à un même élan d’investissement dans l’espace public, contraste par son investissement dans la vie médiatique avec la discrétion qu’avaient adoptée leurs ainés. Qu’il s’agisse de la présence sur internet avec le Padre blog (dont des animateurs ont rencontré Emmanuel Macron) ou des prêtres investis dans l’Observatoire Socio-Politique du diocèse de Fréjus-Toulon, la prise en compte des mouvements de la société, la volonté de mener un combat culturel dans la vie sociale définissent les objectifs et la stratégie de ces prêtres d’un nouveau genre. Soutanes et cols romains rendent visibles nombre de jeunes ecclésiastiques, soucieux de visibilité. Les réseaux sociaux deviennent un terrain d’évangélisation.
Dans le même temps, les jeunes croyants, parfois « tradismatiques » (aux préoccupations traditionnalistes et charismatiques mêlées), pensant par-delà des antiques querelles liturgiques (Rite selon le missel de Paul VI –c’est-à-dire la grande majorité des messes– ou rite extraordinaire, c’est-à-dire ce que l’on appelle communément et improprement « messe en latin ») ont non seulement davantage affiché leur foi mais ont développé le souhait d’intervenir dans la vie sociale et politique. Ces laïcs catholiques, plus autonomes qu’autrefois, décomplexés, sont marqués par des expériences spirituelles liées à la « nouvelle évangélisation » lancée voici quatre décennies par Jean-Paul II.
Ce ne sont en effet pas les seules rééditions de La Manif pour tous qui donnent au mouvement conservateur la force dont il dispose aujourd’hui. Il y a dans toute la société l’imprégnation diffuse d’une vision du monde, dont les écrits de Joseph Ratzinger [1] avaient défini les contours tôt au cours du pontificat de Jean-Paul II. C’est avant tout l’investissement de ses membres dans la vie sociale, au niveau local ou associatif, qui accroit considérablement la puissance d’un mouvement que l’on peut sans peine définir comme conservateur, au sens où l’entendait Karl Mannheim. Décomplexés, les manifestants de 2013 se sont par la suite parfois investis en politique, notamment dans les conseils municipaux élus en 2014, voire dans les nouvelles majorités régionales élues en décembre dernier. C’est ainsi qu’on retrouve d’anciens animateurs, militants ou sympathisants de LMPT, éveillés à la chose publique par le combat contre le « mariage gay » dans des villes comme Tours ou Angers, remportées sur la gauche.
L’équilibre des forces internes au monde catholique a considérablement changé en quelques années. Le quinquennat de François Hollande a bouleversé des équilibres anciens. L’organisation du pôle le plus conservateur du « peuple de Dieu » (terme que l’on retrouve dans les travaux du Concile Vatican II) et l’affaissement des piliers traditionnels du catholicisme de gauche n’y sont pas étrangers.
Le « mariage pour tous » a été un révélateur et un détonateur d’évolutions profondes. Le nombre de catholiques électoralement fidèles à la gauche a significativement baissé. Compte tenu des taux de participations élevés en leur sein (et malgré des échantillons difficiles à constituer), on peut supposer qu’une part non négligeable d’électeurs hier alignés sur la gauche sont tout simplement passés à droite. Aux élections européennes de 2014, la proportion d’électeurs catholiques de gauche a régressé à environ 16%, un score historiquement bas. Rappelons qu’en 1981, 35% des catholiques avaient voté pour François Mitterrand…
Longtemps pôle de résistance à la poussée du Front National, l’électorat catholique tend désormais à s’aligner sur la moyenne nationale. C’est un argument permettant à La Manif pour tous de peser sur le futur candidat de droite, soumis à la désormais rude concurrence du FN dans les milieux catholiques pratiquants.
Parfois séduits par Marion Maréchal Le Pen, des catholiques conciliaires, qui n’ont jamais flirté avec les courants traditionnalistes et encore moins avec les proches de Monseigneur Lefebvre, prennent des responsabilités au sein du parti lepéniste. Saint Nicolas du Chardonnet, hier paroisse de référence de l’extrême droite (où se tenaient en général les obsèques de la plupart des anciennes figures de la collaboration ou du néo-fascisme), même athées ou agnostiques, tels André Dufraisse – « Tonton Panzer » - ou Maurice Bardèche) n’est plus la référence des catholiques frontistes. Ces derniers ont participé à la normalisation du FN. Un sondage de septembre 2015 démontrait également l’alignement presque exact des catholiques de France sur l’ensemble des Français dès qu’était abordée la question de l’accueil des migrants. Ni plus ni moins accueillants que la moyenne, les fidèles catholiques suivent le mouvement de droitisation de la société française, mouvement d’autant plus important que les émetteurs « de gauche » semblent être tombés en panne.
Jorge Bergoglio, le Pape François, est croyant. Cette révélation devrait amener nombre de personnes à se pencher davantage sur les textes de l’Evêque de Rome. Ainsi son texte « Laudato Si », encensé par la presse et nombre d’écologistes. [...]
L’écologie de François échappe à l’habituelle conception que l’on peut s’en fait dans le débat public français. L’écologie intégrale c’est l’écologie environnementale + l’écologie humaine c’est-à-dire une équation correspondant à « Fondation Hulot + Fondation Jérôme Lejeune ».
Les récentes déclarations du Pape François relatives aux manuels scolaires français supposés véhiculer une « théorie du genre » ne tiennent pas du hasard. La « différence sexuelle » est « oeuvre du créateur », et fondatrice de l’humanité, selon ce texte. « L’importance centrale de la famille » est rappelée tandis qu’environnement et humain sont les facteurs indissociables du devenir de notre monde.
Outre les militants investis directement dans les partis politiques, comme les membres de Sens Commun, qui s’étaient fixés pour mission de former au sein de l’UMP un courant conservateur organisé, on trouve dans les médias, dans la vie associative, dans les organisations à vocation humanitaire, comme SOS Chrétiens d’Orient, d’anciens militants et activistes de La Manif pour tous. On trouve aussi des catholiques faisant proche d’une réelle réflexivité et d’un certain esprit critique quand il s’agit d’analyser ce que fut LMPT.
Mus par une vision du monde cohérente et un désir de militantisme qui n’est pas sans lien avec la mission évangélisatrice des catholiques de la « génération Jean-Paul II », ils font le choix de travailler à influencer le débat public. Dans ou hors des partis, réclamant ou non l’abrogation de la « loi Taubira », l’année 2013 a été un moment crucial pour cette France catholique et militante.
Désormais influents, maitrisant les techniques de communication et les tactiques militantes, ils forment un groupe qui n’est pas majoritaire au sein de la droite mais qui, par son organisation et sa méthode, emporte quelques batailles culturelles et politiques.
Les réseaux issus de LMPT apparaissent importants aux yeux des candidats à la primaire de droite. Dans ce scrutin où chaque réseau influent compte, les héritiers de La Manif pour tous ne sont pas les derniers des partenaires susceptibles d’orienter un électorat motivé vers les urnes implantées
Le premier débat de la primaire de droite a fait connaître au grand public un candidat, Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines (successeur de Christine Boutin) et président du Parti Chrétien-Démocrate. De prime abord, l’évidence voudrait que Jean-Frédéric Poisson, représentant du parti fondé par Christine Boutin, le Parti Chrétien-Démocrate (PCD), engrange une majorité des suffrages catholiques conservateurs. Or, les catholiques de France qui ont quitté les sacristies pour investir l’espace public, n’ont guère envie d’être de nouveau confinés dans un espace politique marginal. Ils investissent donc différentes campagnes et influent sur différents candidats, en particulier François Fillon ou Nicolas Sarkozy. Alain Juppé, si modéré à propos du mariage pour tous est aussi très indulgent à l’égard des anciens lefebvristes à Bordeaux. François Fillon a, quant à lui, enregistré le soutien de Madeleine Bazin de Jessey, figure de LMPT et de Sens Commun. Nicolas Sarkozy, qui s’intéressa tôt au cours des années 2000 à la question religieuse et en comprit la dimension stratégique, a néanmoins beaucoup hésité sur la question de l’abrogation du « mariage pour tous ». Ces voltes faces l’ont fragilisé aux yeux de militants auxquels il déclara que le mot « abrogation » (de la loi Taubira) « ne coûtait pas cher ».
Nombre d’intellectuels catholiques comme Rémy Brague ou Pierre Manent [2] jouent un rôle de premier plan dans la vie intellectuelle française. On aurait cependant tort de ne pas prêter attention aux jeunes pousses catholiques…. On aurait également tort de penser que le parcours des militants de LMPT aurait vocation à demeurer uniforme ou unilinéaire. Le destin de certains jeunes intellectuels issus du mouvement des Veilleurs, marqués par l’écologie et la contestation du capitalisme, pourrait réserver des surprises. Parmi eux, les rédacteurs de la revue Limite, dont font partie Gaultier Bès, Marianne Durano ou Paul Piccarretta, développent une réflexion et une argumentation originale. Signataires d’un texte violemment critique à l’encontre de Laurent Wauquiez, Président du parti « Les Républicains », président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et fidèle soutien de La Manif pour tous, surtout ami des autoroutes et ennemi déclaré des réfugiés, ces jeunes intellectuels ne sont pas les seuls à faire preuve d’une large autonomie de pensée et d’une indépendance d’esprit par rapport à ce qui fait, aujourd’hui, la réalité de la droite française. On trouve ainsi, parmi ces jeunes catholiques les animateurs des AlterCathos et du Simone, un café associatif lyonnais, des itinéraires intellectuels originaux et libres, en pointe sur les questions d’écologie ou de libre-échange.
Force sociale et politique, le mouvement né de La Manif pour tous pèse désormais sur l’avenir de notre pays. Longtemps remisés au rang de figurants, les catholiques pratiquants disposent désormais d’atouts non négligeables pour imposer leurs options au sein d’un débat public marqué par les soubresauts de la crise. [...]"
Lire "Comment Hollande a bouleversé l’électorat catholique".
[1] Joseph Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd’hui, préface à la nouvelle édition pour l’an 2000.
[2] Lire la note de lecture P. Manent : une vision paternaliste, (néo)libérale, individualiste et postcoloniale (note du CLR).
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