Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo". 22 mars 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Netanyahou et la démocratie".
"C’est l’autre réforme qui ne passe pas. Depuis plus de deux mois, elle aussi fait descendre des centaines de milliers de personnes dans les rues. Mais là, c’est en Israël que ça se passe. Pour éviter de vivre avec une épée de Damoclès judiciaire au-dessus de la tête, Benyamin Netanyahou, le Berlusconi de la mer Morte, désormais à la tête d’un gouvernement de coalition Likoud-partis religieux-extrême droite, a entrepris une « réforme du système judiciaire ». Le but : mettre au pas ce contre-pouvoir gênant qu’est la Cour suprême et la rendre totalement inoffensive. Ses juges seraient nommés directement par le gouvernement et ils devraient statuer à l’unanimité pour rejeter une loi, alors qu’il suffirait d’une majorité simple de députés pour balayer une de ses décisions.
Actuellement en débat à la Knesset, ce projet d’accorder les pleins pouvoirs au gouvernement en place a donné naissance à un front d’opposition inédit, tant dans son ampleur que dans sa nature. Il réunit des citoyens de gauche et de droite, mais aussi des sommités du monde scientifique, économique, intellectuel, politique, religieux et institutionnel. Jusqu’à l’armée, qui refuse ce « coup d’État qui met non seulement en péril l’économie et nos droits civiques, mais constitue également un danger existentiel pour la sécurité d’Israël », pour reprendre les mots du général Moshe Yaalon , ancien ministre de la Défense.
Des héros nationaux frondeurs
Une délégation de pilotes a prévenu le chef d’état-major que si la réforme passe, une majorité de réservistes refuseront de voler. Or la réserve, c’est le cœur de l’armée israélienne : en 2022, Tsahal comptait 169 500 militaires d’active, et 465 000 réservistes, auxquels elle fait appel en permanence… Le 9 mars, ce sont des pilotes à la retraite et des réservistes des compagnies de commandos qui menaient des actions de blocage, rappelant qu’ils avaient signé pour être « les défenseurs d’un État démocratique ». On ne parle pas là de syndicalistes moustachus ni même de « gilets jaunes », mais d’anciens du raid sur l’aéroport ougandais d’Entebbe, en 1976, ou du bombardement du réacteur nucléaire irakien Osirak, en 1981. Autrement dit, des héros nationaux. Que Netanyahou traite d’« anarchistes »…
Même le monde du renseignement est de la partie. Des centaines d’ex-agents du Mossad ont signé une pétition contre la réforme, tandis que Yoram Cohen, ancien patron du Shin Beth, les services de sécurité intérieure, déclarait lors d’une conférence de presse le 1er mars que « si, Dieu nous en préserve, une situation se présente où un ministre donne un ordre à un commandant, ou si la Knesset passe une loi et que la Cour suprême la juge inconstitutionnelle, nous devons écouter la Cour ».
Adieu la démocratie
Cette fronde sans précédent et tous azimuts démontre que, malgré la colonisation, malgré les injustices et les violences inqualifiables dont sont victimes les Palestiniens, l’État d’Israël est profondément imprégné de culture démocratique. On peut certes en ricaner. En attendant, c’est bien cette culture démocratique qui a fait échouer, aux États-Unis, la tentative de coup d’État que fut l’assaut du Capitole. Parce que de hauts responsables gouvernementaux ou institutionnels, y compris parmi les plus proches de Trump, ont dit : « Non, là, je ne marche plus. » Elle n’empêche pas les pires démagogues ou l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Mais elle leur interdit, autant qu’elle le peut, d’aller jusqu’au bout de leur folie. Et elle est, dans le cas d’Israël, le seul espoir qui reste aux Palestiniens…
C’est aussi de cette culture démocratique que veut se débarrasser Netanyahou. Par cynisme et par intérêt personnel, mais peut-être également, allez savoir, par idéologie. Ainsi, il est en passe d’exaucer le vœu le plus cher des ennemis d’Israël : que cet État devienne indéfendable."
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