Revue de presse

G. Biard : "Matière inflammable" (Charlie Hebdo, 5 juil. 23)

(Charlie Hebdo, 5 juil. 23). Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" 5 juillet 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Matière inflammable".

C’est visiblement le happening artistique du dernier chic en Suède : brûler en public un exemplaire du Coran. En janvier, un politicien d’extrême droite suédo-danois, Rasmus Paludan, avait foutu le feu au « livre saint » devant les grilles de l’ambassade de Turquie à Stockholm. Le 28 juin, c’est un Irakien exilé en Suède, s’auto­proclamant « athée et né de confession chrétienne », qui y est allé de son autodafé, pour dénoncer un livre qui « encourage le terrorisme » et est « dangereux pour les valeurs suédoises ». Salwan Momika s’est installé devant la plus grande mosquée de la capitale, a déposé un exemplaire du Coran sur le sol, l’a soigneusement piétiné, avant d’y glisser quelques tranches de bacon et de craquer une allumette. Ce qui a eu pour effet d’enflammer du même coup, on s’en doute, tout le monde musulman…

Cette « performance » s’est tenue sous la protection de la police, qui avait été contrainte par la justice à autoriser cet autodafé, au nom de la liberté d’expression et du droit constitutionnel de manifester. En effet, alors qu’elle avait interdit deux autres actions similaires en février pour raisons de sécurité, deux tribunaux administratifs avaient invalidé cette décision. Selon toute probabilité, il devrait par conséquent y avoir encore d’autres feux profanateurs dans les mois qui viennent en Suède… Et de tout aussi brûlantes polémiques, car il va de soi que médias, intellectuels et responsables politiques scandinaves n’ont pas attendu que les cendres refroidissent pour s’emparer du sujet.

Effet papillon

Si l’on s’en tient aux apparences et à la teneur des commentaires, le ­débat porte sur la question suivante : brûler publiquement un livre relève-t-il de la liberté d’expression  ? A priori, la pratique fait plutôt frémir et il est difficile de l’associer à un quelconque droit ou principe démocratique. Elle renvoie en outre à des épisodes du passé – Inquisition, nazisme… – que l’on n’a guère envie de voir se répéter. Quand on commence à dresser des bûchers pour les livres, c’est qu’on rêve d’y jeter aussi leurs auteurs et leurs lecteurs. Pour autant, quand, en 2019, dans la province canadienne de l’Ontario, une trentaine d’écoles catholiques avaient organisé des « cérémonies de purification par les flammes dans un but éducatif » de livres jugés « offensants » pour les « Premières Nations », tous les « progressistes » du pays – le Premier ministre, Justin Trudeau, en tête – avaient trouvé ça follement inclusif… Dans un monde politique, intellectuel et associatif où la pureté est de plus en plus érigée en idéal suprême, l’autodafé semble être redevenu un rituel des plus communs – voire un passage obligé aux yeux de quelques militants.

Ce qui engendre donc tant d’émoi et de commen­taires ici, ce n’est donc pas le fait qu’on brûle un livre, mais qu’on brûle le Coran. Pas seulement parce que c’est un « livre saint », ni même parce que c’est un livre politique – ou en tout cas utilisé comme tel. Si un fêlé quelconque se plantait devant la maison natale de Karl Marx pour brûler Le Capital, personne à gauche ne lèverait un sourcil. Cornez une page du Coran, et la voilà en ébullition, hurlant à l’islamophobie et à la haine. Et avec elle des gouvernements, des dignitaires politiques et religieux, des intellectuels, des foules manipulées aux quatre coins de la planète. Le Coran est le seul livre qui, lorsqu’il flambe à Stockholm, allume des incendies en Turquie, en Irak, en Iran, au Pakistan, en Arabie saoudite, au Koweït, dans les Émirats arabes unis, en Indonésie, au Maroc, en Égypte, en Syrie… Une fumerolle s’en échappe, et c’est toute la terre qui s’arrête de respirer. C’est le seul livre dont les agents littéraires terrorisent des millions de personnes dans le monde entier. C’est donc lui le sujet, et non l’allumette."


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