Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo". 8 janvier 2018
"Je ne sais pas si les médias sont toujours Charlie, mais une chose est certaine, ils s’intéressent toujours à Charlie. Ce qui est, je le concède, parfaitement normal. Toutefois, pour un journal, c’est un peu compliqué d’être à la fois un acteur médiatique et un objet d’intérêt médiatique. Répondre à des journalistes n’est pas notre métier, surtout quand ce sont les sempiternelles mêmes questions qui reviennent en boucle, comme si les réponses que l’on a faites et refaites n’avaient jamais été entendues, ou comprises. Moi-même, je rechigne d’ailleurs souvent à répondre. D’autant que, moi aussi je suis journaliste, et les questions, je préfère quand c’est moi qui les pose.
Mais revenons à l’intérêt que les médias portent à Charlie. Il est de natures diverses. Il y a ceux qui nous soutiennent, sans ambiguïté, y compris lorsqu’ils sont en désaccord avec certaines de nos prises de position, et nous les en remercions. Ils ont compris qu’être Charlie ne signifie pas forcément être toujours d’accord avec Charlie.
Il y a ceux pour qui nous sommes devenus un excellent moyen de faire du buzz, une sorte de marronnier que l’on ressort à intervalle régulier, comme une valeur censément sûre, un peu comme le salaire des cadres francs-maçons dans l’immobilier à Paris.
Enfin il y a ceux qui sont au dessus de ça, dans la posture du sage en lévitation surplombant les contingences matérielles. Je ne citerai pas de noms, mais ils ont été particulièrement à la pointe du débat, ou du moins du commentaire du débat, lors de la récente polémique qui nous a opposés à Edwy Plenel, reprenant à leur compte une expression sortie de son contexte : « la guerre des deux gauches irréconciliables ». Entendez, dans ce cas précis : les querelles de chiffonniers sur la laïcité auxquelles nous ne saurions participer. Il est vrai que la laïcité n’est jamais qu’un principe inscrit dans la Constitution de 1958 et qu’on ne voit pas pourquoi un journaliste aurait quelque chose à dire quand ledit principe est au cœur d’un débat national et qu’il est menacé...
Les mêmes nous accusaient il n’y a pas si longtemps d’être « irresponsables », de « jeter de l’huile sur le feu ». On a le droit de ne pas aimer Charlie, de ne pas apprécier ce que nous dessinons, ce que nous écrivons, d’estimer même que nous allons trop loin. Charlie Hebdo est un journal satirique et un journal d’opinion. La satire n’a pas pour but de faire plaisir à tout le monde, et une opinion peut être contestée. En revanche, on n’a pas le droit de nous tirer dessus, ni de nous menacer de mort, ni de laisser entendre que ces menaces sont au fond légitimes, parce que, oui mais, on les cherche quand même un peu, ces menaces, ces locaux incendiés, ces dessinateurs et collaborateurs exécutés, à force de pas respecter le ressenti du vivre ensemble de la laïcité apaisée.
Cette semaine, vous trouverez en kiosque un numéro spécial de Charlie consacré aux conditions de sécurité dans lesquelles nous sommes obligés de travailler, et pour certains d’entre nous, de vivre, depuis trois ans. On y pose un certain nombre de questions, dont celle-ci : est-il normal que, dans une démocratie, en temps de paix, un journal satirique, un journal d’opinion, n’importe quel journal, soit contraint de vivre sous protection, qu’elle soit publique ou privée ? Est-il normal qu’une rédaction soit obligée de se réunir derrière des portes blindées ? Peut-on, dans ces conditions, toujours parler d’une liberté de la presse pleine et entière ?
Cette question, aujourd’hui, je ne l’adresse pas à vous, qui êtes ici et qui avez à cœur de la défendre, cette liberté de la presse, qui va de pair avec la liberté d’expression et la liberté de conscience. Je la pose à toutes celles et à tous ceux qui, alors qu’ils ont une carte de presse, sont au-dessus de ça et préfèrent disserter éternellement sur le bon goût et les limites de l’humour."
Voir aussi la rubrique "Toujours Charlie ! De la mémoire au combat" (Paris, 6 jan. 18), dans l’agenda "Toujours Charlie ! De la mémoire au combat" (Paris, 6 jan. 18) (note du CLR).
Comité Laïcité République
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