par Michel Seelig, universitaire, historien, membre du Conseil d’administration du CLR. 5 novembre 2024
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Georges Bensoussan, Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), éd. Que sais-je ?, 10 jan. 2023, 128 p., 10 €.
Je croyais connaître l’essentiel de cette histoire… Le petit ouvrage (120 pages, collection Que sais-je ?) de Georges Bensoussan, paru en juillet dernier m’a fait découvrir mes lacunes !
Appréciation générale
Sur la forme : on a malheureusement l’impression de copiés-collés : des redites, des ruptures chronologiques…
Sur le fond : une masse d’informations (y compris bibliographiques). Et puis, l’auteur (même si nous savons qu’il n’est pas tout-à-fait neutre) ne prend pas outrageusement parti, tous les protagonistes voient leur responsabilité dans la naissance puis la perpétuation du conflit :
Ce qui manque : un tableau chronologique clair (la taille limitée de l’ouvrage peut l’expliquer).
Je me suis lancé dans cet exercice.
Je vous propose cet essai ci-dessous.
IVe siècle avant notre ère : Hérodote invente le terme Palestina (des Philistins)
138 l’empereur Hadrien rebaptise la Judée Palaestina (Jérusalem Aelia Capitolina)
Pour les Juifs de la Diaspora « Eretz Israël »
Pour l’Occident chrétien « Terre sainte »
Au XIXe siècle c’est la « Syrie du Sud » au sein de l’Empire ottoman
XVIIIe et XIXe siècles, nombreux massacres de Juifs (dès qu’une « crise » survient).
De 1839 à 1856, abolition progressive de la Dhima (statut discriminatoire des non musulmans)
En 1881 dans l’espace entre Mer Méditerranée et Jourdain, Liban et Mer Rouge, environ 470 000 habitants dont 25 000 Juifs.
Entre 1881 et 1914 (deux premières alyas), arrivée d’environ 70 000 Juifs qui créent 53 implantations agricoles.
1891 : première protestation des notables arabes de Jérusalem contre l’arrivée d’immigrants juifs et la cession de terres à des acheteurs juifs. Création de sociétés antisionistes.
La société arabe à structure traditionnelle (une douzaine de grandes familles) choquée par les immigrés récents qui ne correspondent pas à ceux qu’ils connaissent depuis longtemps.
Dans le milieux urbain, réveil culturel arabe (Nahda), naissance d’une presse palestinienne et d’une conscience nationale avec rejet du sionisme.
À partir de 1908 le mouvement Jeunes Turcs au pouvoir. Processus de « turquification » de l’Empire. En réaction, développement d’un nationalisme arabe.
1897 : premier congrès sioniste.
Fin du XIXe siècle : l’hébreux redevient progressivement une langue d’enseignement et langue maternelle… expression de la transformation de la vieille communauté juive en « minorité nationale »…
1914 : la Turquie s’allie à l’Allemagne et l’Autriche et promeut un « djihad général des musulmans ».
Les Alliés, Français et Anglais, soutiennent le nationalisme arabe contre la Turquie : mise en avant du chérif de la Mecque, Hussein qui veut prendre la tête d’un califat arabe.
1916, « grande révolte arabe » contre la Turquie.
1916 accords (secrets) franco-anglais (dit Sykes-Picot du nom des négociateurs) : pour un statut international de la Palestine.
1917-1918, les troupes anglaises occupent la Palestine (sans la France).
1917, déclaration Balfour (ministre des Affaires étrangères anglais) favorable à « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif »
1919, Congrès national arabe rejette le projet de création d’une « république sioniste en Syrie du Sud connue sous le nom de Palestine » et réclament l’attachement de la Palestine à la Syrie.
1920, la Société des Nations accorde un mandat à la France pour la Syrie et le Liban, à la Grande Bretagne pour l’Irak et la Palestine. La conférence de San Remo valide la déclaration Balfour. La France occupe la Syrie.
1920, émeute musulmane à Jérusalem (« Égorgez les Juifs ! »), puis dans de nombreuses villes.
1921, l’Angleterre sépare la Transjordanie (à l’est du Jourdain) de la Palestine et confie ce royaume à Abdallah Ier qui fonde ainsi la dynastie Hachémite)
1921, création de l’Agence juive, premier pouvoir exécutif, gouvernement officieux, du Foyer national juif.
1922, La Société des Nations reconnaît « les liens historiques du peuple juif avec la Palestine et des raisons de la reconstitution de son foyer national en ce pays ». Grève générale lancée par le Congrès arabe. Position britannique ambiguë, pour calmer l’opposition arabe, suspension de l’émigration juive… (jusqu’en 1948, à chaque moment de tension ou de révolte arabe, ce sera la même attitude et la même mesure adoptée par le mandataire anglais).
Amin Al Husseini devient mufti de Jérusalem, avec l’appui des Anglais, puis directeur du Conseil supérieur musulman.
Mais conjointement, Churchill secrétaire d’État aux colonies publie un Livre blanc qui réaffirme le soutien à l’existence du Foyer national juif…
L’opposition au sionisme seul ciment d’une société palestinienne déchirée par les querelles de clan, les oppositions entre « le littoral et les collines », les villes et les campagnes, paysans pauvres et propriétaire terriens, musulmans et chrétiens…
Au cours des années 1920, une « fragile confiance s’établit entre Juifs et Arabes ».
1924, la Turquie de Mustapha Kemal décide d’abolir le Califat.
1929 Le mufti tente d’amener le conflit sur le terrain religieux. Un incident autour de l’esplanade des mosquées déclenche une nouvelle série d’émeutes, à Jérusalem puis dans toute la Palestine. Une violence d’une rare intensité qui touche hommes, femmes, enfants, vieillards au cri d’« Egorgeons les Juifs »… De nombreux Arabes sont abattus également… par la police anglaise… Les autorités anglaises procèdent à de nombreuses exécutions de condamnés à mort…
Début des années 1930, une politique anglaise en constantes contradictions… L’Angleterre refuse aux Arabes de leur accorder une autonomie, des voix s’élèvent pour remettre en cause la Déclaration Balfour… Une proposition de transfert des Arabes en Transjordanie… Nouveau Livre blanc qui s’oppose à l’arrivée de nouveaux immigrants… Ce document très vite annulé.
Insatisfaction générale… Radicalisations… Manifestations, grèves, émeutes se succèdent.
Le port de Haïfa débouché du pipeline venant d’Irak devient le pivot du système militaire anglais.
L’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne fait bondir l’immigration… Les achats de terre aux Arabes se multiplient… Développement de Tel Aviv. La pratique de l’hébreu se généralise.
Une partition de fait se réalise progressivement : les zones « mixtes » deviennent de plus en plus homogènes…
1936, grand soulèvement arabe, violence contre les Juifs, attentats dans les villes, guérilla rurale, grève générale, boycott des produits anglais et juifs.
Un soulèvement soutenu par des volontaires venus des États arabes et aussi l’Italie et l’Allemagne qui fournissent argent et matériel.
Toutes les tentatives de médiation échouent.
L’Agence juive refuse la proposition d’un « foyer juif » sans souveraineté politique en Transjordanie.
Le Haut Comité arabe hostile à tout foyer juif en Palestine : « Une fois que les Anglais auront retiré leurs mains de ce pays, nous nous précipiterons pour jeter tous les Juifs dans la mer » !
Répression par les troupes anglaises …
Lord Peel est chargé d’étudier la possibilité d’une sortie de crise.
1937 : le plan Peel.
Il évoque « un conflit insoluble dans le cadre d’un seul État… entre deux communautés nationales dont les aspirations sont incompatibles à l’intérieur d’un petit pays… ».
Proposition de partition : 17 % pour les Juifs (pour 30 % de la population) et 83 % pour les Arabes dont le territoire serait unifié à la Transjordanie.
Des transferts de population et un niveau maximal de population compléteraient le dispositif.
Opposition au départ de TOUS les protagonistes, mais le Congrès sioniste entérine finalement « la moins mauvaise des solutions ».
Refus total arabe, reprise de la rébellion et de sa répression… Loi martiale, condamnations à mort….
Mais à Londres nécessité de préserver l’alliance arabe, notamment avec la Transjordanie.
1937, Le Grand Mufti (réfugié au Liban) demande officiellement le soutien du Reich allemand qui accorde des subsides et la mise en place d’un émetteur radio ondes courtes à Berlin pour diffuser les positions arabes.
1938-1939, nouvelle commission présidée par Sir Woodhead et nouveau rapport…
Conférence de Londres où la délégation arabe refuse de siéger au côté des Juifs.
La délégation juive (menée par David Ben Gourion) réclame la liberté d’immigration (vu l’évolution de la situation en Allemagne et en Europe) et refuse une indépendance de la Palestine qui serait, de fait, dominée par les Arabes… Échec de la conférence.
Un nouveau Livre blanc anglais prévoit cependant l’indépendance après une période de transition et la limitation de l’immigration… Les Juifs crient à la trahison !
À la surprise générale, le document est aussi rejeté par les Arabes.
Il est dénoncé aussi par la Société des Nations car « incompatible avec les termes du mandat de 1922 » …
Les affrontements redoublent de violence en Palestine, notamment avec une véritable guerre civile entre partisans arabes au soulèvement et partisans de la paix (« un plus grand nombre d’Arabes trouva la mort par des armes arabes que par celles des britanniques et des juifs »…
Début, sur le terrain, d’une coopération militaire entre Juifs et Anglais qui se poursuivra durant la guerre (en 1941 une Brigade juive palestinienne sous uniforme anglais).
1940, déclaration italo-allemande qui reconnaît « le droit des pays arabes de résoudre la question des éléments juifs en Palestine et dans les pays arabes d’une façon conforme aux intérêts nationaux et ethniques des Arabes et à la solution de la question juive en Allemagne et en Italie » ! Le grand Mufti de Jérusalem se réfugie en Allemagne.
1941, Anglais et Gaullistes battent les troupes françaises de Vichy en Syrie. Les Anglais occupent Irak, Syrie et Liban.
1942, Les troupes allemandes de Rommel repoussées jusqu’en Tunisie.
1944, fondation à Alexandrie de la Ligue arabe.
1945, l’Angleterre interdit toute immigration juive en Palestine Développement de l’immigration clandestine… Affaire de l’Exodus (en 1947)
La Ligue arabe appelle au boycott des produits de la Palestine juive.
L’émir Abdallah (dirigeant de Transjordanie) se déclare favorable à un partage entre les Juifs et… son royaume ! Il négocie en secret avec l’Agence juive (Golda Méir) puis se range officiellement à l’avis de la Ligue arabe.
1946, Nouvelle tentative de conférence. Les États arabes demandent que dans le futur État palestinien seuls soient reconnus les Juifs arrivés avant 1922.
Les attentats contre les Anglais par l’Irgoun (organisation armée de la droite sioniste en Palestine mandataire,) reprennent (il y en avait déjà eu avant 1940).
À la demande des Anglais, le dossier soumis à l’Assemblée générale de l’ONU, échec des débats.
1947, les affrontements entre Arabes et Juifs recommencent.
Londres envoie plus de 100 000 hommes pour maintenir l’ordre.
Le Premier ministre travailliste Bevin annonce unilatéralement la fin du mandat pour 1948. Il assure la Transjordanie de son soutien, accorde une aide importante à la Légion arabe commandée par l’anglais John Bagot Glubb (surnommé Glubb Pacha)… qui devrait occuper et défendre le Néguev et le futur Etat arabe de Palestine après le départ des troupes anglaises…
L’ONU crée l’UNSCOP (Comité spécial des NU en Palestine) chargé de traiter la question des 400 000 réfugiés juifs européens dans les camps « de personnes déplacées » (au moment de l’affaire de l’Exodus). Proposition de partage complexe en 7 zones… sans lendemain.
Le nationalisme juif ne trouve alors un appui décisif que du côté de Moscou (pour l’URSS affaiblir la position anglaise, trouver un point d’appui en Méditerranée, alors qu’une partie du mouvement sioniste est aligné sur Moscou). Mai 1947, discours d’Andreï Gromyko à l’ONU soutient fortement la création d’un état juif…
Les dirigeants américains partagés (le soutien soviétique / le poids de la Diaspora aux États-Unis / la crainte d’indisposer l’Arabie saoudite…). Le général Marshall affirme qu’un État juif serait « contraire à l’intérêt national américain et à ses intérêts stratégiques immédiats ».
Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote (33 pour, 13 contre et 10 abstentions) en faveur du partage entre deux États, avec une zone internationale autour de Jérusalem. La Palestine compte alors 1 908 000 habitants dont 608 000 Juifs qui obtiennent 56,47 % du territoire (cette partie rassemblant alors environ 500 000 Juifs et 325 000 Arabes).
L’État juif et l’État arabe sont, tous deux divisés en trois tronçons.
Dès le lendemain du vote, la violence se déchaîne en Palestine.
Une partie des élites arabes fuient immédiatement.
Positions contradictoires de la Ligue arabe qui dans un premier temps demande à ses membres d’« ouvrir leurs portes » pour accueillir la population arabe appelée à quitter le pays pour pouvoir mieux combattre les Juifs.
Dans un second temps l’ordre contraire est donné, de refouler les réfugié…
Les combats s’apparentent à une guérilla, attaque de villages, attentats, blocage des routes.
Les États-Unis puis l’ONU décident l’embargo sur les armes. Les Juifs sont alors approvisionnés par l’URSS via la Tchécoslovaquie…
Les Anglais durant ce temps évacuent leurs troupes, poursuivent leurs livraisons aux pays arabes et continuent de bloquer l’immigration juive…
1948, en difficulté, les Juifs lancent une vaste offensive en avril, quelques semaines avant le retrait total des Anglais (qui pourrait voir les armées des pays arabes intervenir directement).
Cette offensive s’accompagne de la destruction des villages arabes « hostiles » et l’expulsion de leurs habitants (pour éviter la formation d’une « cinquième colonne » en arrière des lignes).
Jérusalem est désenclavée.
La société palestinienne s’effondre en quelques semaines et connaît une succession de revers.
La ville de Haïfa est presque entièrement évacuée. Jaffa (en territoire attribué aux Arabes) est encerclée, la population s’enfuie en masse, la ville capitule la veille du départ des Anglais.
Les Juifs capturés par les Palestiniens sont presque systématiquement exécutés, civils inclus.
L’armée juive, faute notamment de structure d’internement, exécute, elle aussi, des prisonniers avant de créer un camp de détention.
Des massacres sont commis par certaines unités juives (village de Deir Yassin, le convoi de l’hôpital Hadassah).
L’effroi gagne toute la population arabe, mais aussi une partie de la population juive, qui quitte les zones les plus dangereuses.
En 22 mois (décembre 1947-septembre 1949) 600 à 750 000 personnes, plus de la moitié de la population arabe, deviennent des réfugiés.
L’attitude des États arabes est ambiguë, en tout cas ils n’accueillent pratiquement pas de réfugiés.
Avant juillet 1948, il n’y a pas de plan d’expulsion systématique mené par les Juifs, l’expulsion devient cependant presque la norme après cette date.
Les réfugiés pour les deux tiers demeurent cependant, bien que déplacés, sur le territoire de la Palestine, les autres au Liban, en Syrie, en Transjordanie et, très peu, en Égypte.
De mai 1948 à avril 1949, la guerre se généralise.
Le 14 mai 1948 Ben Gourion proclame l’indépendance d’Israël (reconnue de facto par les États-Unis et de jure par l’URSS, presque tout premier État à établir des relations diplomatiques)
A priori, les forces des États arabes sont largement supérieures à celle d’Israël.
Ils mènent l’offensive en mai-juin 1948, ou plutôt des offensives non coordonnées : colonnes égyptiennes, des Frères musulmans, libanaises, syriennes, irakiennes. La Légion arabe jordanienne qui devait appuyer ces diverses forces se concentre sur Jérusalem…
Après une trêve, les combats reprennent, c’est la Guerre des dix jours.
Partout les forces arabes piétinent ou reculent.
Des offensives israéliennes dans le Néguev et en Galilée jettent sur les routes de nouveaux réfugiés.
Alors qu’en trois ans (1948/1951) l’État d’Israël intègre près de 700 000 Juifs dont la moitié originaire du monde arabo-musulman qui se vide pratiquement de sa population juive, parfois présente avant même la conquête arabe.
Les tentatives de médiation onusiennes échouent (assassinat du médiateur Bernadotte à Jérusalem).
Un accord semble impossible : absence de toute confiance entre les adversaires, refus israélien du retour des réfugiés et de retrait des zones occupées…
Des armistices sont alors conclus. Avec la Jordanie (avec un compromis sur le contrôle de Jérusalem par l’État hachémite). Avec l’Égypte (avec l’occupation égyptienne de la Bande de Gaza. Plus tardivement avec le Liban et la Syrie.
En décembre 1948, une conférence à Lausanne (sans les Palestiniens dont la Jordanie refuse la présence) voit une négociation indirecte (pas de rencontre directe Juifs/Arabes). Elle entérine le refus de l’Égypte de se retirer de Gaza et le refus des États arabes sauf la Jordanie d’intégrer les réfugiés…
Le conflit se fige pour quelques années…
Michel Seelig
Comité Laïcité République
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