Edito

Maurice Agulhon : socialisme et République (Ph. Foussier, 31 mai 14)

cofondateur du Comité Laïcité République. 31 mai 2014

Avec la mort de Maurice Agulhon, la République perd l’un de ses plus grands historiens et le Comité Laïcité République l’un de ses fondateurs les plus emblématiques. Après Claude Nicolet en 2010 et Henri Caillavet en 2013, deux présidents et fondateurs du CLR récemment décédés, c’est une nouvelle fois une grande conscience de la République qui disparaît.

Titulaire de la chaire d’histoire contemporaine au Collège de France de 1986 à 1997, normalien, docteur en histoire, agrégé de lettres, président de la Société d’histoire de 1848, vice-président de la Société d’études jaurésiennes, Maurice Agulhon nous a quittés le 30 mai à l’âge de 87 ans. Connu du grand public notamment grâce à sa trilogie sur Marianne (Marianne au combat, Marianne au pouvoir, Les métamorphoses de Marianne, Flammarion), Maurice Agulhon était l’un des meilleurs spécialistes de la Révolution de 1848 et de l’histoire de la République (La République de 1880 à nos jours, Hachette, Les mots de la République, Presses universitaires du Mirail). A ce titre, il avait consacré de nombreux éclairages à l’histoire et à l’actualité de la laïcité. Maurice Agulhon était de ces historiens formés par Ernest Labrousse, comme Michel Vovelle, qui injectèrent dans le traitement classique de l’histoire celle des mentalités. On lui doit ainsi notamment Pénitents et francs maçons dans l’ancienne Provence (Plon,1968) ou La République au village (Fayard, 1970) dans lesquels il faisait vivre le concept de « sociabilité », qu’il a mieux illustré que quiconque tout au long de son oeuvre.

Membre du Parti communiste de la Libération à 1960, il se rapprochera dans les années 80 du Parti socialiste sans en être un militant. Loin de l’itinéraire d’un François Furet qui, après un passage au PCF, se fera ensuite un apologiste du monarchiste Augustin Cochin, Maurice Agulhon fut de ces socialistes, pas nécessairement majoritaires en cette fin de XXe siècle, qui estimaient indissociables le socialisme et la République, dans la tradition jaurésienne. Il prit des positions très nettes à l’époque du Bicentenaire de la Révolution lorsque certains dans son camp se rangeaient du côté de l’école dite révisionniste de François Furet soutenue par les intellectuels de la deuxième gauche pour alimenter le procès de la Révolution française. Pour autant, il ne renoua jamais avec le marxisme avec lequel il entretiendra des relations très distantes après les années 60, comme il le raconte dans Histoire et politique à gauche (Perrin, 2005).

Si Maurice Agulhon fut l’un de ces universitaires emblématiques de cette histoire des mentalités promue par l’école des Annales, il ne rompra pas pour autant avec l’histoire classique, fidèle en cela à l’enseignement d’Ernest Labrousse. Spécialiste de la Provence, Maurice Agulhon se tournera aussi vers le genre biographique avec son De Gaulle, histoire, symbole, mythe en 2000 (Hachette). Outre sa trilogie sur Marianne, vaste étude érudite sur la symbolique républicaine, Maurice Agulhon avait rassemblé quelques-uns de ses innombrables articles dans trois tomes d’une Histoire vagabonde (Gallimard) qui mérite une très grande attention (surtout le deuxième). Le « vagabondage » était finalement la marque de fabrique de cet historien discret à l’itinéraire assez singulier, même s’il eut toujours pour référence et pour port d’attache la République.

Philippe Foussier
président délégué du Comité Laïcité République
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