Revue de presse

"Fin de vie : les députés font sauter les verrous" (Le Figaro, 21 mai 24)

(Le Figaro, 21 mai 24) 21 mai 2024

Lire "Fin de vie : les députés font sauter les garde-fous du projet de loi sur l’aide à mourir".

Par Agnès Leclair et Louis Hausalter

Délit d’entrave au suicide assisté, disparition du critère du pronostic vital engagé « à court ou moyen terme »... : un accès plus large que prévu à l’aide à mourir a été voté en Commission spéciale à l’Assemblée nationale.

Le « modèle français » de la fin de vie s’annonce plus permissif que prévu. En quelques jours, plusieurs « conditions strictes » proposées par le gouvernement pour limiter l’accès à l’aide à mourir ont sauté lors de l’examen du texte en Commission spéciale.

Avant le débat dans l’hémicycle, le 27 mai, les députés ont largement remanié le texte initial sur la fin de vie, s’affranchissant des consignes de prudence d’Emmanuel Macron et de la volonté de la ministre de la Santé, Catherine Vautrin de « maintenir l’équilibre ». « Le débat a pris « un tournant très inquiétant, juge la députée LR Annie Genevard. Le législateur a ouvert la boîte de pandore au détriment de la protection du patient, de ses proches et des soignants ». Pour le communiste Pierre Dharréville, il s’agit d’un « basculement qui a une dimension anthropologique vertigineuse ».

Le texte remanié a été approuvé à main levée en commission spéciale dans la nuit de vendredi à samedi. Alors qu’un grand nombre de soignants se sont mobilisés ces derniers mois pour réclamer que l’euthanasie ne soit pas considérée comme un soin, les députés ont voté pour l’introduction de l’aide à mourir dans le code de la Santé Publique. « En moins de cinq jours, ils ont davantage élargi l’accès à la mort provoquée que ne l’ont fait les deux pays les plus permissif sur l’aide à mourir, la Belgique en 22 ans et le Canada en 8 ans », s’est émue lundi la société française de soins palliatifs (SFAP).

Au cœur des débats, le critère selon lequel les patients doivent avoir leur « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » pour être éligible à l’aide à mourir a été supprimé. Depuis le début des travaux, il était accusé par une partie des députés et de médecins d’être trop difficile à évaluer et d’exclure certaines affections de l’accès au suicide assisté.

« Nous élargissons l’accès de l’aide à mourir »
Contre l’avis du gouvernement, les membres de la Commission spéciale ont voté pour le remplacer par la notion de « phase avancée ou terminale » de la maladie. « Nous élargissons l’accès de l’aide à mourir », s’est réjouie la députée LFI Danielle Simonnet, jugeant que cette nouvelle définition « place le patient au centre de la décision au lieu de la faire dépendre de son médecin ». Favorable à ce changement, le rapporteur général du texte, Olivier Falorni (MoDem) a fait remarquer que l’aide à mourir restait réservée aux patients souffrant d’une maladie « grave et incurable ».

Peut-on encore parler d’un texte sur la « fin de vie » ? Au ministère de la Santé, l’heure est désormais aux consultations. La question est de comprendre à quoi correspond la phase « avancée ou terminale » sur le plan médical. Selon l’entourage de Catherine Vautrin, il n’est pas exclu que cette notion soit finalement plus restrictive.

La SFAP dénonce pour sa part un critère « encore plus large » et « encore plus flou » que le moyen terme. Avec ce changement, le texte élargirait l’accès au suicide assisté à des personnes qui ne sont pas proches de la fin de vie. Des médecins redoutent que des maladies chroniques (comme l’insuffisance rénale sévère), ou des cancers avancés (mais laissant la possibilité de plusieurs années d’espérance de vie), entrent dans le champ d’application du texte.

« Ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été souhaitée »
La commission spéciale de l’Assemblée nationale a ainsi choisi de s’affranchir d’un des « repères éthiques » majeurs listés par le CCNE (Conseil consultatif national d’éthique) dans son avis pour conditionner l’ouverture de l’aide à mourir. « On n’est plus du tout dans la même loi (...) Ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été souhaitée », a regretté la présidente de la commission, Agnès Firmin Le Bodo, pilote du projet de loi lorsqu’elle était ministre aux professions de santé.

« Notre désarroi et notre inquiétude sont immenses devant ce texte qui devient le plus permissif au monde et nous place dans la droite ligne du Canada, c’est-à-dire avec la possibilité d’un nombre d’euthanasies supérieur à 40.000 par an en France », indique Claire Fourcade, la présidente de la SFAP.

Euthanasie et suicide assisté au choix ?
Point principal de la loi, l’article 5 a validé l’expression d’« aide à mourir » proposée par le gouvernement. Derrière cette expression, le texte initial ouvrait avant tout la porte au suicide assisté. Par principe, l’administration d’une substance létale était « effectuée par la personne elle-même ». L’euthanasie, avec une réalisation du geste létal par un soignant ou par un tiers, était présentée comme une exception pour les malades qui n’auraient pas été « en mesure physiquement d’y procéder ».

Si cette exception d’euthanasie n’a pas sauté dans l’article 5, elle a été remise en cause vendredi par l’adoption d’un amendement qui a gommé le critère de l’impossibilité physique, laissant le patient plus libre de décider entre ces deux modalités d’aide à mourir. « Ce choix entre « euthanasie » et « suicide assisté » devrait incomber au malade et non au type de maladie. Ce n’est pas à la présence d’éventuelles paralysies de se substituer à la volonté du patient », fait valoir son auteur, la députée Cécile Rilhac (Renaissance).

Le vote de cet amendement fait planer un doute sur l’interprétation du texte. Alors qu’il pourrait en changer profondément la nature, le ministère de la Santé, on tempère. « Il n’y a pas d’évolution majeure du texte sur ce sujet », dit-on dans l’entourage de Catherine Vautrin. « Dans les pays qui ont légalisé ces deux modalités de fin de vie, ce sont presque exclusivement des euthanasies qui sont réalisées, car l’intervention médicale vient en quelque sorte faciliter cette décision difficile pour les patients », prévient Claire Fourcade, la présidente de la SFAP.

Demande d’euthanasie dans des directives anticipées
Un autre « verrou » du gouvernement a été mis à mal, celui du discernement du patient. Le texte modifié prévoit désormais qu’une demande d’euthanasie puisse être inscrite dans les directives anticipées - dernières volontés médicales écrites au cas où un patient ne serait plus conscient. Le projet de loi initial avait exclu cette possibilité, jugeant que le malade devait être capable de réitérer oralement sa demande juste avant le geste létal. La manière dont cette demande anticipée d’aide à mourir pourra ou ne pourra être prise en compte reste cependant incertaine.

Le délai de 48 heures de réflexion du patient avant d’accéder à l’aide à mourir a aussi été assoupli. Les députés ont proposé qu’il puisse être abrégé sur avis du médecin afin de « préserver la dignité du patient ».

La collégialité de la décision médicale ouvrant l’accès à l’aide à mourir a également fait l’objet d’un amendement de la co-rapporteur Laurence Cristol. Ce dernier prévoit que la procédure d’évaluation de la demande du patient soit effectuée dans le cadre d’une « procédure collégiale pluri-professionnelle ». Mais, in fine, la décision reste prise par un seul médecin. « Vous dites qu’il y a une collégialité mais il n’y en a pas », a protesté le député Philippe Juvin (LR), pointant le risque de « tomber sur un médecin qui ne fait que ça ».

Enfin, un amendement de la rapporteur LFI Caroline Fiat sur la création d’un délit d’entrave à l’aide à mourir a été adopté, avec l’aval du gouvernement. « Que les intégristes s’interrogent, ils s’exposent à 1 an de prison et 15 000€ d’amende pour entrave au droit à l’aide à mourir d’une personne », a commenté l’Insoumise Danielle Simonnet sur les réseaux sociaux. Conçu sur le modèle de celui prévu pour l’IVG, sa portée interroge. « Il fait peser des menaces considérables sur la prise en charge des malades en fin de vie et sur les politiques de prévention du suicide », pointent les soignants hostiles au texte.

À l’inverse, la proposition d’Annie Vidal (Renaissance) de créer un délit d’incitation à l’aide active à mourir a été retoquée. « S’il n’y a pas la protection des plus vulnérables, je voterai contre ce texte », a averti l’élue.

« Le président a défini un équilibre auquel il tient »
Alors que la ministre de la Santé a échangé par téléphone avec Emmanuel Macron à l’issue des discussions, on admet au sein de l’exécutif que le balancier est parti trop loin du côté des tenants de l’euthanasie et du suicide assisté, très actifs durant les débats en commission. « Le président a défini un équilibre auquel il tient », rappelle-t-on dans son entourage.

À la fin de l’examen en commission spéciale, Catherine Vautrin a glissé devant les députés que c’était « la fin d’une première étape d’un long parcours ». Une manière de rappeler qu’un rééquilibrage est toujours possible. « Il y aura quatre lectures au total. Ce n’est pas parce que Falorni a fait passer ses amendements que le texte restera comme ça, assure un conseiller de l’exécutif. La discussion en séance publique à l’Assemblée peut permettre de le rééquilibrer, le passage au Sénat aussi. » « Le texte qui sort de la commission spéciale est la version la plus dure possible, veut croire en écho un proche d’Emmanuel Macron. Le chemin va se poursuivre. »

Il y a tout de même un paradoxe à se dire attaché aux équilibres du texte initial tout en optant pour une longue discussion dans les chambres, sans procédure accélérée, ce qui laisse toute latitude au Parlement pour modifier en profondeur les dispositions du projet de loi. À moins de trois semaines des élections européennes, un durcissement des débats pourrait ouvrir un nouveau front politique dont le président, qui n’a cessé de vanter un processus « d’apaisement » en amont de la construction du texte, se passerait volontiers.


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