"La République laïque et sociale en danger : la parole aux citoyens !" (CLR & OLSD, Paris, 26 nov. 16)

Fewzi Benhabib : "La laïcité est accusée de tous les maux, la liberté d’expression est sous protection policière et le blasphème est en sursis" (Conférence-débat du 26 nov. 16)

Fewzi Benhabib, membre fondateur de l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis. 3 décembre 2016

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Merci tout d’abord d’avoir répondu, si nombreuses, si nombreux, à notre appel, à être là à notre rencontre : "République laïque et sociale en danger !"

Oui, la République est en danger ! Elle l’est dans ses fondements mêmes, à l’heure où montent les intégrismes religieux, à l’heure où, au seuil du pouvoir, le Front National est en embuscade, à l’heure où sonne le tocsin des trahisons de toute sorte.

L’idée de cette rencontre n’a pas germé en nous de façon fortuite. Le 27 mai 2015, notre ami Guylain Chevrier était l’invité à Saint-Denis de l’Observatoire pour mettre en lumière les liens des combats laïque et social. Sa conférence a été sabordée par ceux là mêmes qui ont ouvert un boulevard aux islamistes : les idiots utiles de tous bords et les champions du « OUI MAIS » [1].

Au cœur de Saint-Denis, la liberté d’expression venait d’être bafouée par un groupuscule s’érigeant en police de la pensée et les Dionysien(ne)s, spoliés du droit au débat public au cœur de la maison commune.

Ce jour-là, nous avons pris la mesure du danger qui guette la République ; nous nous sommes jurés d’organiser la riposte et de faire de l’idéal laïque un combat central. Grâce au soutien de nombreuses associations féministes et laïques et à l’appui de nos amis du Comité Laïcité République, nous avons réussi à nous relever et réorganisé avec succès la même conférence [2].

Cette épreuve nous a aguerris. Elle a aussi suscité une adhésion que nous ne soupçonnions même pas, qui nous a permis de sortir des murs de Saint-Denis pour cheminer ensemble avec d’autres laïques et créer l’événement d’aujourd’hui.

Chers amis, les dérives que j’ai constatées en France, je les avais déjà vues à l’œuvre en Algérie. J’avais quitté mon pays avec l’intime conviction que je ne revivrai plus les affres de l’islamisme politique dès lors que je gagnerai le rivage nord de la méditerranée. Aujourd’hui, mes angoisses sont plus fortes que jamais. Le pays où je vis depuis 22 ans, la France, a perdu un peu de son âme et beaucoup de ses repères [3].

Les Mille et une nuits à l’index [4]

Là où l’islamisme perce, il prospère de la même manière partout dans le monde. Il avance toujours masqué, pour anesthésier les consciences et désarmer la vigilance. Ses cibles de préférence sont les enfants, donc l’Ecole, et les femmes.

Tout a commencé en Algérie par l’Ecole où les islamistes réussirent le tour de force de transformer le système éducatif en usine à intégristes.

Je me souviendrai à jamais de cette directive d’un inspecteur de pédagogie de Sidi Bel Abbès qui eut l’idée, un jour, de mettre à l’index un des monuments de la littérature arabe, Les mille et une nuits, au motif que leur lecture disait-il, encourage « le vice et le péché » et est une « offense à la décence ».

Le but premier d’une telle école est d’enfermer l’enfant dans une logique binaire, celle du halal et du haram, du pie et de l’impie, du licite et de l’illicite, et de l’arracher à son milieu pour le séquestrer dans l’orbite de la Oumma. Une telle école n’a pas vocation à produire un futur citoyen autonome, pétri de rationalité et ouvert à l’altérité, mais un fanatique et pourquoi pas un futur soldat car c’est dans une tête vide que germe le mieux la graine de la violence.

Les municipalités FIS avaient fermé les conservatoires et proscrit le divertissement. Comment en est-on arrivé à interdire la musique et la danse, à profaner l’art en le dénonçant comme une volupté coupable, importée d’ailleurs ?

Un discours d’une rare violence montait des mosquées, appelant à la haine des femmes et à la mise à l’index de tout ce qui était porteur d’horizons nouveaux. Le prêche armait le bras de ceux qui allaient devenir des fauves, brandissant des armes pour décapiter les têtes qui émergent.

Le terrorisme islamiste n’est pas aveugle. Il n’est pas un fait divers ; c’est un acte politique programmé qui s’inscrit dans une vision du monde réfractaire aux libertés, à la pluralité, à tout ce qui fait l’humain.

Nous avons été les témoins et les victimes d’une barbarie extrême. Et nous avons constaté la dimension planétaire prise par l’intégrisme islamiste.

Le but du terrorisme islamiste était clair : instiller la frayeur pour dissuader de toute velléité de révolte, de résistance et tétaniser la société.

Les islamistes accueillis, les démocrates ignorés

La classe politique française, dans son écrasante majorité, avait refusé de comprendre ce qui se tramait sur son flanc sud. La France en paye cruellement les conséquences aujourd’hui. Au lieu de prêter main forte aux démocrates pour instaurer la paix dans toute la méditerranée et ouvrir le champ à l’émergence de véritables états républicains en Afrique du Nord et au Moyen Orient, elle a préféré chausser les lunettes de la courte vue et courtiser les islamistes.

A mon arrivée en France, j’ai été stupéfait de constater que les militants du Front Islamique du Salut, le FIS, ceux qui nous assassinaient à tour de bras, ont été accueillis comme des réfugiés politiques tandis que les démocrates étaient livrés à eux mêmes. Beaucoup parmi nous ont eu du mal à régulariser leurs papiers pour pouvoir s’établir en France. En revanche, les militants du FIS ont pu bénéficier du statut de réfugié politique au motif que les islamistes étaient victimes d’un …« terrorisme d’Etat » !

Ils venaient en fait de recevoir le feu vert de la France de mettre le pied à l’étrier politique, de construire des centaines d’associations et d’étendre leur toile.

Le choc que j’avais eu alors était énorme mais mes désillusions ne faisaient que commencer. Dans les médias, j’ai vu fleurir toutes sortes de commentaires dont le seul but était de brouiller l’analyse politique et de laver de tout soupçon les assassins. On avait même forgé la notion d’« éradicateur » pour convaincre l’opinion publique que les islamistes n’étaient rien d’autre que des agneaux et des démocrates.

La ligue française des droits de l’Homme avait poussé le cynisme à qualifier l’escadron de la mort du Groupe Islamique Armé, de « groupe armé d’opposition ». C’était le comble ! Une organisation humanitaire venait d’absoudre ainsi les bouchers du GIA de leurs crimes en les justifiant par la légitime défense.

Même quand les islamistes revendiquaient leurs crimes, on faisait croire qu’ils étaient manipulés par les services de sécurité algériens !

À chaque fois que le terrorisme islamiste frappe, remontent en moi les décennies d’horreur de l’Algérie. J’y reconnais la même filiation idéologique, les mêmes méthodes, la même signature. Le terrorisme islamiste frappe la France pour tout ce qu’elle représente dans le monde : la Révolution de 1789, la liberté, la laïcité, l’égalité, en un mot les principes universels.

L’Etat islamique n’est pas uniquement là-bas ! Il est là-bas et ici !

Le terrorisme islamiste est dans la stratégie de la tension. Il veut aggraver les fractures au sein de la société française, pousser au "clash des civilisations", amener les groupes extrémistes à basculer dans la violence pour précipiter la France dans la guerre civile.

L’Etat islamique n’est pas uniquement là-bas ! Il est là-bas et ici ! Il est dans nos villes et nos villages !

Mais voyez-vous, le combat contre lui ne peut pas se limiter au seul registre du répressif comme c’est le cas aujourd’hui en France. L’islamisme est à combattre sur tous les plans : idéologique, politique, médiatique, économique, financier,

Les chiffres ne trompent pas. Selon l’institut Montaigne, prés de la moitié des jeunes de 15 à 25 ans place la religion au dessus de la République [5].

A Saint-Denis, le hidjab, tel un étendard, s’est généralisé et ensevelit les femmes sous un linceul. Même des fillettes le portent. Plus tard, elles pourront dire : « Le voile, c’est mon choix ! ». Pourtant, le voile islamique n’a rien à voir avec la tradition musulmane mais les islamistes en ont fait le sixième pilier dans un islam qui n’en compte que …cinq ! [6]

L’islamisme a eu tout le temps de labourer des territoires entiers pour en faire des hauts lieux du communautarisme. Le halal fait son beurre dans un business qui pèse aujourd’hui plus de cinq milliards d’euros. Evidemment, les boucheries n’y échappent pas. Les épiceries aussi, et les magasins de mode ne déclinent plus dans leurs vitrines que la gamme très réduite de l’habit islamique. Des salons de coiffure sont halal. Comble de l’invraisemblable, les ongleries le sont aussi ! Il s’est répandu dans le tourisme, les cosmétiques, la confiserie et la pâtisserie. Les babas au rhum sont tous servis sans une goutte d’alcool ! Tenez-vous bien pour rassurer le consommateur sourcilleux, des bandelettes de commerce permettent de tester …la teneur en porc ou en alcool de son plat !

Une ligne de bus halal

A côté d’hommes qui ne serrent plus la main aux femmes, aujourd’hui des chauffeurs de la RATP refusent de prendre le bus après une femme. On dit même que toute une ligne de bus est devenue halal sous l’œil complice de la RATP. Paix sociale oblige !

Des mosquées, véritables tribunes politiques, délivrent souvent un prêche où dégoulinent haine et fanatisme. Les librairies islamistes sont légion. Evidemment les grandes vedettes de l’islam politique, Hani et Tarik Ramadan, Said Kotb et Hassan el Bana notamment, trônent sur leurs étagères mais aucune place n’est faite à des islamologues humanistes comme Tahar Haddad, Mohamed Arkoun ou Abdelwaheb Meddeb.

Que dire alors de la place du roman, de la fiction, de la poésie ou de la connaissance universelle ? Kateb Yacine, Assia Djebbar, Driss Chraïbi, Aboul Qassem Echebbi ou Naguib Mahfouz, ce géant de la littérature arabe et prix Nobel de littérature, qui a été poignardé en 1994 par un membre de la Gamaa Islamiya au Caire ou bien le romancier algérien Kamel Daoud qui a essuyé une fatwa pour atteinte « aux principes de l’islam » ? Ils sont tous persona non grata.

Dans ces lieux, la fiction et le rêve sont une hérésie et la culture se résume au politico-cultuel.

Au cœur de la République française, une jeunesse est livrée à une insidieuse machine à décerveler dont l’objectif est d’imposer une grille de lecture unique et de passer les musulmans sous les fourches caudines d’une idéologie fasciste.

L’imposture est telle que les valeurs universelles sont qualifiées de « racistes » et de « coloniales ». Tandis que les amis du PIR, parti des indigènes de la république, organisent dans des universités « des ateliers de paroles non blanches » [7], Voltaire et Rousseau sont montrés du doigt.

La laïcité est accusée de tous les maux, la liberté d’expression est sous protection policière et le blasphème est en sursis.

Tandis que « l’islamophobie » est brandie comme une arme de chantage, l’Arabie saoudite et le Qatar ont métastasé dans nos quartiers ; nos enfants se shootent au wahabbisme et la France est devenue la première couveuse de djihadistes de l’Europe.

La rue est un cimetière à ciel ouvert

Tandis que la laïcité est agitée comme « une arme de stigmatisation des musulmans », la caricature et l’humour sont dans une mare de sang et des slameurs en mal de fatwas appellent au meurtre des laïques.

Tandis que la gauche a renié son histoire, le Front National a fait main basse sur la laïcité et risque de réussir le hold up du siècle en nous volant la République [8].

Tandis que les politiques regardent ailleurs en achetant en sous main des voix, la rue est un cimetière à ciel ouvert et le sang gicle sur notre quotidien.

Tandis qu’on nous bassine avec le « pas d’amalgame », des Français déchargent leurs kalachnikovs sur d’autres Français au nom du blasphème.

Tandis que l’islamisme a pris les armes contre la République, les idiots utiles se prosternent devant lui ! [9] Oui, la lâcheté et la forfaiture ont donné des ailes aux intégrismes !

Chers amis, la République est face à des défis considérables. Rares sont ceux qui nomment le mal. On le sait, quand la lucidité et le courage sont absents, la plume trébuche, la langue fourche, les mots fuient. ! Mais comment peut-on guérir le mal si l’on refuse de reconnaître son existence.

Pourtant, l’Histoire enseigne que la démocratie est fragile et se laisse souvent prendre au piège du chant des sirènes C’est pourquoi nous devons protéger la laïcité comme la prunelle de nos yeux. L’islamisme politique n’est pas compatible avec la démocratie. Il en est l’antidote, la négation et son ennemi !

Chers amis, le combat que nous livrons n’oppose pas l’Orient à l’Occident, n’oppose pas le christianisme ou le judaïsme à l’islam. Notre lutte, c’est celle des Lumières contre les ténèbres de l’intégrisme, notre combat c’est celui de la rationalité contre la clôture du dogme, c’est celui de la laïcité contre la tutelle du religieux sur la loi des Hommes.

« Le clash des civilisations » est un chemin sans issue. Notre boussole, c’est celle de la civilisation de l’humanité contre l’obscurantisme, de l’humanisme contre la barbarie, car l’islamisme n’est pas une civilisation mais sa déchéance.

Chers amis, la laïcité n’a besoin d’aucun qualificatif, elle se suffit à elle même. Si la laïcité est le génie du peuple français, elle ne lui appartient plus. La laïcité n’est ni orientale, ni occidentale.Elle est universelle !

La langue universelle des peuples, c’est la laïcité, car elle seule reconnaît la singularité dans l’unité, car elle seule est la garantie de la cohésion des sociétés humaines, le préalable à la coexistence pacifique entre les peuples. C’est pourquoi son horizon, c’est la paix dans le monde.

De réformes trahies en rendez-vous manqués, de défaites en désillusions, nous avons appris à ancrer nos espérances dans le combat au quotidien et la résistance. C’est pour cela, que je vous appelle toutes et tous au combat !

Vive la République ! Vive la laïcité !



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