Revue de presse

"Fawzia Zouari, dévoilée" (liberation.fr , 28 déc. 15)

31 décembre 2015

"Cette romancière et journaliste franco-tunisienne n’était pas favorable à une loi sur le voile mais demande désormais son application.

[...] La vie de Fawzia Zouari bascule le jour où elle voit ses grandes sœurs terrorisées quand leur mère décrète qu’elles n’iront pas au collège. Elles resteront à la maison en attendant qu’on leur trouve un mari. Elle raconte la scène dans une réponse à Diam’s (1), l’ancienne rappeuse qui plaide, avec désinvolture, pour le port du voile, et revendique une vie épanouie entre quatre murs : « Mon oncle a forcé la porte derrière laquelle mes trois sœurs s’étaient retranchées. Il les a trouvées recroquevillées, vêtues de leur tablier d’écolière, serrant leur cartable sur le cœur. Elles suppliaient au nom de tous les saints et pour l’amour du Prophète. Je revois mon oncle vider les cartables et jeter, un à un, les crayons, les buvards, les encriers, les gommes, les règles en bois. Jusqu’à leurs livres de classe, dont nous aimions toutes parcourir les images. » Quelques années plus tard, quand l’heure de Fawzia sonne, son père, Brahim, tranche : « Elle ira au lycée. »

Le cheikh, propriétaire terrien et juge de paix, se range dans le sens de l’histoire. Habib Bourguiba, le président tunisien, vient d’ériger l’école en priorité pour les filles comme pour les garçons. Bonne élève, Fawzia Zouari bénéficie d’une bourse publique, qui vient pallier les ressources familiales perdues suite à la nationalisation des terres à la fin des années 60. Entre 12 et 18 ans, direction l’internat, « un harem sans plaisir ». Brahim Oueslati, qui l’a connue tout au long de ses études, se souvient d’une camarade « très timide, discrète, mais déterminée à réussir. Il fallait ouvrir la voie à celles qui viendraient après. Elle lisait beaucoup, elle écrivait aussi. Elle se battait pour avoir la première place. A l’université, ça n’a pas changé. Il y avait une émulation. Il ne fallait pas faillir ». Côté lectures, elle reprend dix fois Madame Bovary parce qu’il n’y avait pas dix livres au lycée. Ses yeux disent autant que les mots la détermination qui l’habite encore : « Pour mes sœurs, et celles qui n’avaient pas eu la chance de faire des études, il fallait que je sois la meilleure. »

Elle va à la fac à Tunis, puis, à Paris, pour un doctorat de lettres. Elle rédige sa thèse sur une femme qui a un parcours inverse au sien. Valentine de Saint-Point, petite-nièce de Lamartine, égérie du futurisme, s’installe au Caire en 1924, après s’être convertie à l’islam.

Fawzia Zouari choisit de se marier à un Alsacien, un plasticien, avec lequel elle a trois enfants. Elle épouse aussi la République française qu’elle ne veut pas voir défigurée par l’intégrisme musulman. Ce qui ne l’empêche pas de rester tunisienne. A Paris, elle vote depuis que Le Pen est arrivé au second tour, et choisit la gauche. A Tunis, elle s’est rendue aux urnes aux dernières élections et a soutenu Nidaa Tounes. « Elle est à la frontière. Profondément tunisienne et foncièrement française. Ancrée dans son histoire, et présente aujourd’hui : regardez son adresse mail, elle utilise Zouarine. Le village qui a donné son nom à sa famille lui sert pour communiquer via Internet », s’amuse le sociologue et journaliste Hassan Arfaoui, qui l’a croisée à l’Institut du monde arabe quand elle montait des conférences.

On peut la voir comme une garde-frontière du « printemps arabe » qu’elle loue sans se l’approprier. « Il appartient à ceux qui étaient là-bas. » Pour ce qui est du voile, elle voudrait que s’arrêtent les discussions oiseuses. Quand elle a vu Diam’s défendre sa vie sous cape, elle a repensé à ses sœurs. Elle n’aime pas beaucoup les essais et la chroniqueuse de Jeune Afrique ne se sent pas très à l’aise avec le maniement des idées. Quand une loi sur le voile à l’école est venue sur le tapis, elle s’est demandée pourquoi légiférer. Mais, aujourd’hui, elle plaide pour une stricte application de l’interdiction, et demande à la République de rester inflexible, d’arrêter de s’empêtrer dans sa tolérance et de cesser de tourner ses refus en mol assentiment. « On ne peut être islamiste et féministe. Le féminisme est une lutte contre l’aliénation des femmes et contre leur dépendance envers toute autorité directement ou indirectement subie. » A Tunis, Fawzia Zouari s’autorise une remarque désagréable quand elle tombe sur une femme voilée. A Paris, elle s’agace quand elle en croise une dans le métro. Peut-on, pour autant, parler de libération des corps en ce qui la concerne ? Il y a une limite séculaire. « Je ne peux pas desceller ce que ma mère a scellé », dit-elle d’une voix douce avec toujours la même détermination alors qu’elle s’apprête à sortir un roman titré le Corps de ma mère. Le voile tombe quand on apprend que pour se libérer de toute cette pesanteur elle écrit parfois d’autres textes sous pseudo. Quoi ? Quel pseudo ? Un voile retombe.

(1) Je ne suis pas Diam’s, Stock, 200 pp., 12,50 €.

10 septembre 1955 : Naissance au Kef (Tunisie).
Juin 1960 : Ses sœurs de 9 et 13 ans n’iront plus à l’école.
Juin 1974 : elle obtient son bac.
Septembre 1979 : arrivée à Paris pour son doctorat.
1989 : elle publie son premier roman la Caravane des chimères."

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