Revue de presse

"Faux docteurs, saignées, brûlures : l’inquiétant business des exorcistes religieux en Ile-de-France" (Le Parisien, 2 juin 20)

7 janvier 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La prolifération de commerces proposant de l’exorcisme en banlieue inquiète la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) et La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), dont nous dévoilons les extraits du prochain rapport.

Par Maxime François

La tête penchée par-dessus la caisse d’une « librairie épicerie » islamique située en Seine-Saint-Denis, un père de famille « préoccupé » par l’état de sa fille « en proie, dit-il, aux djinns (esprits) et à leurs crises de colère » demande discrètement conseils au « libraire-épicier » du quartier.

Il est venu de bon matin, appuyé sur sa canne, car le commerçant est « connu pour fixer rendez-vous avec des râqis (exorcistes musulmans qui pratiquent la roqya) ainsi que des « imams » et des « infirmières » qui pratiquent la Hijama, une médecine prophétique très en vogue dans le milieu rigoriste et inspiré de la Sunna — l’équivalent des Évangiles pour les musulmans.

Cet exorcisme par le sang consiste à faire des saignées au scalpel sur les corps des « patients » puis à appliquer des ventouses sur les plaies à vif. Un « remède », selon ces milieux, contre le mal occulte et « le mauvais sang de la sorcellerie ». Rendez-vous est aussitôt pris par le père de famille. Le prix d’une séance ? « Au choix, c’est un don, mais les patients donnent entre 50 et 100 euros en liquide », prévient, prudent, l’entremetteur.

Le commerçant, « de bon conseil », paraît-il, est affable avec les habitués mais méfiant avec l’étranger qui s’approche trop près de la remise. Là, au fond du magasin, « l’eau coranisée » hors de prix jouxte le miel, l’huile d’olive et les feuilles de Jujubier, présentées comme des « antidotes ».

Pour les plus jeunes qui cherchent ces « remèdes », il y a Internet, ses sites et forums où les commerces de médecine-prophétique prolifèrent, souvent derrière le masque de la « naturopathie » ou de « médecine non conventionnelle ». Sous couvert de « méthode thérapeutique » aux noms variés — ventousothérapie, cupping thérapie… — ces établissements à l’apparence chiadée se focalisent sur des séances de « Roqya-Charia-Hijama ».

Ce père de famille en détresse ne le sait pas, mais la pratique est, selon nos informations, dans le collimateur de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) et de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). L’affaire — magico-religieuse, à la croisée de « la sorcellerie, et du charlatanisme » pour la Miviludes, « de la radicalisation et du séparatisme », pour les services de renseignement, et « de l’exercice illégal de la médecine », pour la justice et le conseil national de l’ordre des médecins —, est surtout devenue un business très rentable en Ile-de-France.

Dans une vaste enquête commandée par la Miviludes intitulée « Nouvelles dérives sectaires sous couvert de pratiques rigoristes en islam », et dont nous révélons des extraits, le docteur en science politique et chercheur au CNRS Bilel Ainine, met le doigt sur « certains pratiques déviantes portées par des actions religieuses aux agissements douteux ».

Le chercheur spécialisé sur les questions de radicalisation tire la sonnette d’alarme : ces commerçants « profitent de l’attrait exercé par cette offre thérapeutique médico-sprirituelle en proposant des formules qui, en plus d’être le plus souvent en rupture avec les rituels traditionnels de l’islam en la matière, recèlent des pratiques déviantes qui relève du pénal ». Des agissements « souvent réalisés sous le couvert d’un supposé rigorisme religieux, qui tendent à se banaliser grâce à une pratique de plus en plus professionnalisée », écrit-il.

Le chercheur entame son rapport par une scène vécue : « Quelque part en banlieue parisienne », relate-t-il, Radia, âgée de 16 ans, est forcée par sa mère à venir consulter le râqi (exorciseur) dans une boutique islamique. Pour cette mère de famille, relate Bilel Ainine, il n’y a pas de doute, Radia, dont « les résultats scolaires ne cessent de dégringoler est atteinte par un acte de sorcellerie ».

Selon le chercheur, des escrocs ont donné à des pratiques parfois ancestrales, « un aspect mercantile lequel, dans de nombreux cas, flirte avec le racket » Les dérives qui en découlent, dit-il, causent des dizaines de victimes par an. ».

Conséquence, dans certains pays, dont le Maroc et l’Algérie, la Roqya/Hijama ont été la porte ouverte à des délits et des crimes : « Des patients escroqués, extorqués, des femmes violées ou abusées sexuellement, des cas de pédophilie, des thérapies de chocs par ingurgitation d’eau (parfois salées) ou des chocs électriques », détaille-t-il.

« Il semble régner une certaine anarchie dans le milieu de la roqya/Hijama et ce, de l’aveu même des râqis », conclut le chercheur. A tel point, que dans certains pays, les autorités « ont dû réagir pour procéder à la fermeture de cliniques de roqya (non autorisées), décréter l’interdiction formelle de pratiquer des roqya à l’intérieur des mosquées ». Quant à la presse, elle parle « de l’âge d’or du charlatanisme ».

Ces entreprises à l’apparence de « cabinets » luxueux et « cliniques » à l’accueil et à la communication soignés, fleurissent notamment en Ile-de-France et surtout en Seine-Saint-Denis, au cœur d’immeubles situés à Saint-Ouen, Neuilly-sur-Marne, La Courneuve, Epinay-sur-Seine, Sevran, Rosny-sous-Bois… En témoigne la visite de cette « académie » du Bien-être, située à 15 minutes de Paris par le périphérique puis l’autoroute. L’hôtel kitsch abrite secrètement un cabinet de Hijama. « Depuis peu, on ne doit pas l’appeler comme ça au cas où la police arrive, prévient un hôte d’accueil. On vient de changer la plaquette de présentation ». Ici, pourtant « des dizaines de clients réservent leur séance chaque semaine ». Et « chaque semaine », ceux qui veulent en savoir plus payent pour écouter doctement « des conférenciers » étaler leurs « cours » sur la « médecine prophétique ».

« Plusieurs dizaines de négoces de ces pratiques ont pignon sur rue, sans compter les nombreux particuliers et les centres de formation », détaille un agent du renseignement. Il parle d’une pratique « commerciale, communautaire, en lien avec le séparatisme et particulièrement prisée par les femmes mais qui, précise-t-il, n’est pas nécessairement en lien avec la radicalisation. » Quant aux sessions de formation, « certificats de praticien » bidon à la clé, elles sont souvent organisées plusieurs fois par semaine dans des hôtels face à 10 à 40 personnes ». Coût de la séance ? Entre 500 et plus de 1 000 euros par tête « payable en CB/Paypal ».

Mais rares sont ceux qui dénoncent ce genre de supercherie. Nadia [1] fait partie des victimes de Hijama à avoir brisé le silence sur l’enfer des séances. Elle décrit : « de nombreuses incisions, saignées avec une lame et des ventouses […] de nombreuses brûlures » faites par « un messager d’Allah » lors des séances organisées « à domicile dans une chambre aménagée » moyennant « des sommes d’argent […] pour Dieu et la communauté. »

Aujourd’hui, celle qui a dénoncé ces faits assure vivre « avec beaucoup d’angoisse et de peur, mais a pris conscience que cette personne était un faux docteur, qu’elle mettait beaucoup de femmes en danger, mais aussi des enfants. »

Rencontrée dans un planning familial, une infirmière d’origine marocaine le concède : « Il y a de l’offre car la demande est réelle et la crédulité grande. Beaucoup de mères de famille dont les enfants ont des problèmes psychologiques se recommandent discrètement des adresses. Lorsque je les entends en discuter, j’interviens, assure-t-elle, car ces centres leur demandent souvent d’arrêter les traitements et les consultations chez les vrais spécialistes. Les dégâts sont longs à réparer. »

La donne semble pourtant changer. Dernière action concluante en date de la justice : la perquisition du « cabinet de rokya - hijama » du controversé cheikh Hassan Bounamcha, dit « oncle Hassen », iman de la mosquée de la Fraternité, à Aubervilliers, figure de la scène religieuse locale et commerçant avisé.

Menée dans ces locaux, situé rue de La Motte, dans le quartier des Quatre-Chemins, en pleine pratique de la Hijama, la « descente de police » organisée le 20 juin a porté ses fruits. Poursuivis, entre-autre, pour pratique illégale de la médecine et blanchiment d’argent avec sa compagne, Sylvie Le Bail ainsi qu’un « praticien », Hassan Bounamcha, qui ne pratiquait plus, selon lui, la hijama-roqya depuis 18 mois, soit la période de prévention, a été relaxé « faute de preuve », selon son avocate, Me Besma Maghrebi-Mansouri — contrairement aux deux autres prévenus, pris sur le fait, lamelle à la main, et condamnés en première instance pour exercice illégal de la médecine et blanchiment d’argent, à trois et six mois de prison avec sursis.

L’affaire judiciaire de « l’oncle Hassan » a eu des conséquences dans ce petit milieu en expansion : la présentation de nombreux commerces et de leurs prétendus « certificats » a été modifiée en ligne. Comme à Saint-Ouen, de plus en plus de boutiques affichent porte close « jusqu’à nouvel ordre » mais pratiquent « discrètement ». En ligne, le mot « saignée » a parfois disparu, pour laisser place à « grattements », « picotements », façon acupuncture.

En réaction, des entreprises plus modestes et discrètes se développent, souvent en l’absence de déclaration d’activité. Les numéros des « professionnels » de la saignée prophétique s’échangent de la main à la main. Un simple coup de fil et la consultation, payante, est fixée. Le lieu ? « L’adresse sera connue au dernier moment ». Comme nombre de ses confrères depuis l’affaire de « l’Oncle Hassan », ce « secrétaire » préfère rester anonyme et donner rendez-vous « discrètement par sécurité »."

Lire "Faux docteurs, saignées, brûlures : l’inquiétant business des exorcistes religieux en Ile-de-France".

[1Le prénom a été modifié.


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Islam ; « Satan, va-t’en ! Va-t’en, Satan ! » "Le retour des exorcistes" (Marianne, 15 déc. 17) dans la rubrique Eglise catholique (note du CLR).


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