Edito du président

« Fanatiques, n’espérez rien de nous » (J.-P. Sakoun, 13 oct. 19)

par Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 13 octobre 2019

« Fanatiques, n’espérez rien de nous » (Maximilien Robespierre, Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, 7 mai 1794).

Le 12 octobre 2019, lors d’une représentation à Lille de la pièce Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, tirée de l’essai posthume de Charb, rédacteur en chef de Charlie assassiné le 7 janvier 2015 avec onze autres citoyens, des voyous présents dans la salle ont imité, devant des membres de la rédaction de Charlie, par le son et par le geste, le tir de rafales de kalashnikov, avant de s’enfuir à l’arrivée de la police. Ils sont par leur bassesse, leur soumission et leur perversité la résultante de toutes ces forces fanatiques qui appellent sur le monde le joug de la violence obscurantiste et criminelle.

La France est un pays sur lequel souffle depuis des siècles un air de liberté. Cette Nation a pendant très longtemps considéré ses sujets, puis ses citoyens, comme des êtres autonomes et non comme les membres de tribus, d’ethnies ou de groupes, asservis sans le savoir, séparés les uns des autres et coexistant dans un douteux « vivre ensemble ».

Cette liberté devenue liberté de conscience grâce à la République laïque a un prix ; elle est exigeante ; elle demande que chacun fasse l’effort de se conduire en sujet politique, en adulte susceptible de mesurer la distance entre idéal et réalité et de ne pas renoncer au premier parce que la seconde est décevante. Elle requiert aussi que l’on ne recule pas devant la complexité du monde et qu’on ne la remplace pas par une caricature simplificatrice.

On voit bien à l’énoncé de ce programme unificateur et de ce qu’il exige de chacun, que l’air du temps n’est pas très favorable à son accomplissement. La délibération des citoyens autonomes, rationnels et politiques – idéal des Lumières – est remplacée par le marketing, la communication et les effets d’annonce qui corrompent l’opinion publique. La pensée autonome est chassée par le prêt-à-porter dogmatique, vêtement de tous les intégrismes, en particulier religieux. La recherche universaliste de l’égalité et de la fraternité, conditions de la liberté, est abandonnée au profit du médiocre, dangereux et stérile confort identitaire. Ce reflux de la pensée libre crée un tourbillon dans lequel s’entrechoquent des événements tragiques ou burlesques qui épuisent le citoyen : agressions verbales xénophobes et racistes dans une réunion de Conseil régional ; affiche d’une fédération de parents d’élèves dite laïque flattant la bigoterie et le séparatisme religieux ; massacre sanglant de ceux qui nous protègent par un islamiste converti et radicalisé qui était leur collègue ; présence constante sur les radios publiques de porteurs de haine racialiste (pour ne pas dire raciste) et de fauteurs de divisions ethniques, tribales.

Nous pourrions multiplier à l’envi ces exemples qui s’égrènent chaque jour comme un long chapelet d’absurdités, d’attaques et de renoncements qui vont tous dans le sens de moins de liberté, de moins d’égalité, de moins de fraternité, de moins de laïcité ; de plus de haine, de plus de séparation, de plus de méfiance, de plus de violence.

En ces temps de prix Nobel, constatons la justesse du propos de Camus, lors du discours de réception de son prix à Stockholm le 10 décembre 1957 :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».

Nous, laïques, humanistes, persuadés de la perfectibilité des êtres humains, nous qui reconnaissons en tout Homme un semblable plutôt qu’un ennemi, voulons que le monde ne se défasse pas au profit du sang et de la race. Il est temps d’assumer la responsabilité de nos luttes et d’obliger nos gouvernants à engager le combat politique pour rétablir les principes laïques et étendre encore les libertés que nous avons conquises grâce à eux.

Empêchons que le monde ne se défasse. Progressons ensemble vers la fraternité universelle pour affirmer de nouveaux droits émancipateurs. Cessons de « kiffer notre race », qu’elle soit blanche ou noire, voire confondue avec une religion et ainsi de « dégrader l’humanité ».

Jean-Pierre Sakoun,
président du CLR


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