Note de lecture

F. Encel et Y. Lacoste : Les enjeux du terrorisme islamiste

par Philippe Foussier. 18 novembre 2016

Frédéric Encel & Yves Lacoste, Géopolitique de la Nation France, PUF, 288 p. 19 e.

Voici un livre à quatre mains aux chapitres alternés. Entre l’un des « papes » de la géographie française, Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote, qui a consacré ses recherches au monde arabo-musulman et à la Méditerranée, presque nonagénaire, et Frédéric Encel, géopolitologue, né 40 ans après lui, spécialiste du Proche-Orient et des questions énergétiques. Les deux auteurs proposent à la fois des éclairages contemporains et des analyses historiques pour mieux nous faire comprendre les enjeux des offensives – souvent meurtrières – de l’islamisme radical sur notre sol. Pour eux, la nation demeure « un puissant rempart » face aux menaces d’une guerre civile, objectif avoué de l’Etat islamique. Si Yves Lacoste n’écarte pas la possibilité pour certains pays de la rive sud de la Méditerranée de se doter de fusées capables d’atteindre le territoire français, il s’attarde sur les projets de l’Etat islamique. Celui-ci ne dissimule pas ses ambitions en affirmant que « l’Islam doit l’emporter en France puisque dans ce pays vivent plusieurs millions de musulmans et qu’ils y seraient persécutés en tant que tels ». Pour Lacoste, « il s’agit donc bien là d’un projet éminemment géopolitique, d’une rivalité de pouvoirs quant à un territoire et cette rivalité commence à se manifester sur notre territoire ».

Le géographe, qui a beaucoup travaillé sur l’Algérie notamment, assure que « les problèmes géopolitiques de la France ont désormais ceci d’absolument nouveau que les menaces sont internes pour une grande part et qu’elles peuvent surgir au sein de la population officiellement de nationalité française ». Il met en garde contre la tentation du Conseil français du culte musulman de jouer un rôle politique à l’avenir, d’autant qu’il sera probablement bientôt présidé par un homme d’affaires turc très lié au président Erdogan. « L’hypothèse que se constitue progressivement un parti politique plus ou moins ouvertement musulman et représentant plusieurs millions de fidèles est désormais à prendre en compte », prévient Lacoste. Il insiste aussi sur le caractère nouveau, inscrit dans un contexte géopolitique inédit, de cette ambition, lui qui a beaucoup travaillé sur l’œuvre et la vie du penseur arabe du XIVe siècle Ibn Khaldoum, lequel « apporte la preuve qu’une pensée rationaliste arabe est compatible avec l’Islam ». Nous assistons bien, en effet, à une instrumentalisation politique de l’islam au service d’un vaste projet dont l’Etat islamique est la tête pensante mais qui trouve aussi de puissants relais dans les pays du Golfe notamment.

De son côté, Frédéric Encel axe davantage son propos sur la dimension franco-française du problème. « Si, face à la menace terroriste extérieure, le citoyen ne peut que s’en remettre aux autorités responsables – policières, judiciaires – devant la complaisance ou la complicité intellectuelle de certains de ses compatriotes, il peut agir et le rappelle justement via les urnes, les forums internet et les sondages ». Pour Encel, « cette complaisance vis-à-vis du fléau islamiste est certes un ennemi physiquement moins dangereux car non violent, mais pas moins pernicieux pour autant ». Le géopolitologue relève ainsi qu’« à l’extrême gauche, chez nombre de militants écologistes et autres sociologues et démographes "idiots utiles" de l’islamisme, ce serait la nation française et la République qui seraient finalement coresponsables du terrorisme ». Encel rappelle opportunément que ces évolutions idéologiques prennent leur source dans les années 1960, à partir desquelles « une partie de plus en plus importante de la gauche abandonne ou rejette la nation comme représentation » avec toute la série d’accusations quant à son histoire, et dont on juge qu’elle doit s’en repentir sans répit. Encel démontre avec éloquence comment ce mouvement de distance croissante de la gauche vis à vis de la Nation a constitué l’un des carburants du Front national. « Non seulement la gauche a cessé, dans la foulée du mouvement de mai 68 et des années libertariennes et universalistes suivantes, de l’assumer mais encore l’a-t-elle laissée à la droite gaulliste du RPR et surtout à une extrême droite qui elle, au même moment, renaissait de ses cendres (…). Inversion parfaite et tragiquement ironique des valeurs ; plus le FN parlait de la nation, plus la gauche s’en éloignait en s’appuyant précisément sur le fait que l’extrême droite la divinisait ». Le géopolitologue fait aussi oeuvre utile de clarification s’agissant de la cible que représente la France pour ceux qui veulent l’atteindre : « La France a été ensanglantée pour ce qu’elle est et pas pour ce qu’elle fait ». Ce sont les Français dans leur diversité qu’il s’agit d’atteindre. De ce point de vue, les massacres du Bataclan, des terrasses et de Nice nous ont clairement renseignés : « Ce n’étaient ni des dirigeants politiques ni des militaires ni des caricaturistes et pas non plus des Juifs qui furent visés mais bien le tout-venant, femmes et enfants compris ». Le tout animé par un « racisme antifrançais incandescent ».

Encel a épluché la littérature de Daesch et reviennent en boucle quelques obsessions à l’égard de la France : « Après la Révolution de 1789 fomentée dans les loges maçonniques, la France s’est trouvée une autre religion tout aussi mensongère et idolâtre que le catholicisme romain : la démocratie et la laïcité ». Face aux assauts conjugués d’une idéologie mortifère et de la complaisance d’intellectuels vis-à-vis d’un fléau qui veut abattre nos institutions et nos règles de vie en commun, c’est vers la nation républicaine, laïque et universaliste qu‘il faut se tourner, préconisent Encel et Lacoste. On laissera ceux qui n’ont vis-à-vis des massacres de masse qu’indulgence, excuses et justification à leur incurable détestation de la nation. On ne peut s’empêcher toutefois de penser qu’ils feraient preuve de davantage de cohérence en allant vivre sous les cieux – enchanteurs ? – de l’Etat islamique.

Philippe Foussier


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