Fatiha Boudjahlat

F. Boudjahlat : "Les langues régionales contre notre modèle républicain"

Fatiha Boudjahlat, enseignante en collège REP à Toulouse après six ans dans les quartiers difficiles de Marseille, Secrétaire nationale du MRC chargée de l’éducation. 24 novembre 2016

"L’Assemblée Nationale se penche de nouveau la semaine prochaine sur l’enseignement des langues régionales, encore une fois sur injonction de l’UE. L’argument de leur promotion se prétend pédagogique, l’enrichissement procuré par les langues dès le jeune âge. Et c’est mignon, les langues régionales, cela fait terroir. Sous couvert du folklore des langues, l’agenda est politique, et vise encore une fois notre modèle républicain.

Et pourtant, François Hollande s’est démené, sous la pression de l’UE, pour inscrire la Charte des langues régionales européennes dans le titre premier de la Constitution de la Vème République, celui relatif à la souveraineté. La Charte a été élaborée à partir d’un texte proposé par la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, puis adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 25 juin 1992. Lionel Jospin (qui décidément aura beaucoup œuvré pour défaire la souveraineté de la France) l’avait signée en 1999. Vingt-cinq Etats l’ont ratifiée, dont dix-sept membres de l’Union européenne. Deux membres de l’Union européenne n’ont pas procédé à sa ratification : la France et Malte. Cette Charte se prétend essentiellement culturelle, mais elle vise à promouvoir les grandes régions ethnolinguistiques pour mieux affaiblir les Etats-Nations.

Le Sénat, fort heureusement, a fait échouer en octobre 2015 cette tentative du Président Hollande. Les langues régionales figurent déjà dans la Constitution, au chapitre des collectivités territoriales, chargées de les promouvoir. Mais cela ne satisfait ni l’UE, ni les régionalistes, qui ne veulent pas du bien à la République. Il faut toucher au titre premier de la Constitution, à l’ADN, à la matrice de notre Etat. Notre Constitution est l’un des derniers outils de notre autorité politique, la règle fondamentale que la Nation s’est donnée pour organiser le fonctionnement de l’Etat, de notre République. C’est la frontière juridique qu’il leur faut abattre, alors même que le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat en ont trop souvent compromis l’étanchéité.

Et pourtant, c’est sous le patronage d’Aurélie Filippetti qu’avait été installé le 6 mars 2013, le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne. Machin pour obéir à l’UE. Maintenant c’est l’Assemblée Nationale qui est saisie encore une fois de ce sujet, peut-être parce qu’il s’agit de contenter une clientèle, loin de l’attention médiatique et citoyenne. Décidément, le PS….

Ce n’est pas du folklore, ce n’est pas de la biodiversité des langues, c’est de la politique.

L’article 2 de la Constitution de 1958 stipule : « La langue de la République est le français. L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L’hymne national est la “Marseillaise”. La devise de la République est “Liberté, Egalité, Fraternité”. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Il n’est pas anodin que cet article associe la langue nationale avec les symboles de notre pays : tous concourent au sentiment d’appartenance. Il n’est pas moins anodin que soit précisée dans le même article la forme démocratique de notre régime. Il y a une cohérence, et c’est bien cette cohérence qu’il s’agit d’abîmer. La langue française en France n’est pas qu’un outil communicationnel, elle n’a pas qu’une valeur d’usage. C’est parce que la langue française en France est un facteur d’unité politique que sa reconnaissance comme langue de l’Etat et de la Nation est présente dès le deuxième article. Il ne s’agit donc pas d’un simple aspect pratique.

Considérons cet extrait du rapport du comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne [1] : "Cette politique [de promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique] passe également par la reconnaissance de la diversité des langues concernées : langues régionales et langues non-territoriales". Sachant que ce qui est établi pour les langues régionales servira de levier pour les langues non-territoriales. Mais au fait, connaissez-vous les langues non territoriales ?

Selon le ministère de la Culture [2], ce sont des "langues parlées par de nombreux Français, issues d’immigrations et donc sans lien avec une aire géographique particulière dans notre pays, mais qui y sont implantées depuis longtemps. Pour autant qu’elles n’aient pas de caractère officiel à l’étranger, ces langues, dites non-territoriales, forment avec les langues régionales ce qu’on appelle les langues de France. Il s’agit de l’Arabe dialectal (dans ses diverses variétés parlées en France, distinctes de l’arabe « littéral », officiel dans plusieurs pays), de l’arménien occidental (langue diasporique, distincte de l’arménien oriental officiel en Arménie), du berbère, de judéo-espagnol, du romani, du yiddish. À ces langues s’ajoute la langue des signes française, LSF, qui est une langue de France à caractère propre."

Comment ne pas comprendre le ressort identitaire, ethnolinguistique, à l’œuvre dans cette équivalence posée entre les langues régionales et les langues non-territoriales ? Et l’Etat devrait donc les promouvoir, comme il promeut les langues régionales. Il ne s’agit pas de proposer l’enseignement du basque en Alsace, source en effet d’ouverture culturelle, mais de faire apprendre presque systématiquement le basque aux basques, l’alsacien aux alsaciens, en imitant le système breton Diwan. C’est bien la dimension identitaire qui doit nous alerter, introduite par le biais de l’argument folklorique et culturel. D’ailleurs, le lien entre langue, peuple et donc revendications politiques minoritaires est fait dans ladite Charte. Dans la deuxième Partie, en son Article 7 - Objectifs et principes : « En définissant leur politique à l’égard des langues régionales ou minoritaires, les Parties s’engagent à prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ». C’est le rêve d’une Europe des régions et des tribus contre l’Europe des État-Nations.

Un autre support à notre réflexion nous est fournit en la personne de M. Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, choisissant de s’exprimer en corse lors de son discours d’investiture. Le recours à cette langue par un homme exerçant cette fonction, dans cet espace politique était tout sauf anecdotique : la langue est un instrument de la souveraineté et de l’identité d’un groupe. Si ce n’est pas la langue de la Nation qui est la langue officielle, ce sont celles des peuples-tribus. Le français est pour M. Talamoni la langue étrangère de la France, décrite par lui comme un « pays ami ». La langue sert de base à des revendications politiques, ce n’est pas un folklore anodin. La langue est un vecteur d’identité, c’est la langue de l’Etat, de la Nation, ce qui lui confère sa dimension politique. M. Talamoni peut se prévaloir de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires du Conseil de l’Europe. On ne peut mettre sur le même plan juridique et politique le Français, langue de la Nation, les langues régionales, langues des peuples, et les langues étrangères comme l’anglais et les langues non-territoriales. Dans le cas corse, la Charte et le comité consultatif nourrissent le séparatisme.

Nous sommes tous concernés. Voici une autre préconisation de ce comité consultatif : " L’accès aux langues régionales dans la vie sociale, administrative et économique doit être facilité afin de donner une plus grande visibilité aux langues régionales au quotidien ; cet effort passe notamment par une clarification du droit applicable dans le fonctionnement des services publics." Sans l’opposition du Sénat, et si l’Assemblée nationale satisfait cette clientèle régionaliste et fédéraliste, nous serions donc en droit de réclamer que nos déclarations fiscales soient rédigées en corse, en béarnais, en occitan, et à terme en berbère. Pourquoi ne pas réclamer de passer le bac en arabe dialectal, en romani ? Et ce nous sera le nous de groupes ethno-linguistiques. A chacun sa langue, à chacun ses épreuves. Parce qu’il s’agit de Droit, et le Droit a horreur des distinctions de nature tout autant que de la géométrie variable : la cohérence prévaut, et en ce domaine, elle ne va pas dans l’intérêt de l’Etat-Nation. Il faut voir plus loin que le bout du folklore et de la coiffe des bigoudènes. On parle de Droit !

Dans la charte, cheval de Troie culturel du fédéralisme et de l’Europe des Régions, le mot citoyen n’est jamais cité, on ne parle que de locuteurs. Ce n’est pas anodin. Il s’ait bien de fragmenter l’Etat-Nation, qui, dans sa forme républicaine, subit bien des assauts.

Il ne s’agit pas de la « mignonitude » des langues, il s’agit de Droit. Il ne s’agit pas d’ouverture culturelle et pédagogique : dans cette volonté d’inscription dans le marbre de la Loi de la généralisation de ce qui est déjà possible, de ce qui déjà existe, c’est bien la promotion des tribus et des communautés qui est à l’œuvre. Une tribune publiée dans Libération fustige « un communautarisme national », sans prendre la mesure de l’oxymore de cette formule, lui préférant sans doute le communautarisme ethnico-religieux. La Nation n’a rien de biologique, elle n’est pas une essence. Son identité est politique et relève du faire. La formule tant connue du « plébiscite de tous les jours » ne signifie pas autre chose : l’identité de la France, en République, est politique. C’est un rassemblement de volontés, dont les leviers sont la mémoire partagée, la langue française, les symboles. C’est la communauté la plus ouverte qui soit. En République, « les citoyens ne sont pas une clientèle »."


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