Revue de presse

"Extrême gauche, un racisme qui ne dit pas son nom" (lepoint.fr , 11 mai 18)

15 juillet 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Réunions en non-mixité, chasse à l’appropriation culturelle, obsession du genre. Enquête sur les dérives de l’antiracisme dit « intersectionnel ».

Par Clément Pétreault

Ce lundi soir 23 avril, dans l’amphi B2 de l’université Paris-VIII, à Saint-Denis, où une main révoltée a inscrit à la bombe « Moins de tribune, plus de tribu », le front commun des facultés contre la sélection paraît bien mal en point. Assise derrière un bureau et filmée par ses camarades, Samira lit le communiqué fondateur de la Riposte antiraciste populaire, la RAP : « La convergence des luttes n’est qu’un outil de marketing politique, une punch line vide de réalité qui sert à cacher les différentes discriminations que l’on retrouve dans les mouvements de gauche. » À peine 15 kilomètres séparent le campus de Paris-I (Tolbiac) de celui de Paris-VIII (Saint-Denis), 15 kilomètres et un gouffre politique sur la question de l’antiracisme.

De ce côté du périphérique, on s’emporte sur les « angles morts de la gauche blanche », incapable de défendre sans tiquer la tenue de réunions « en non-mixité racisée », c’est-à-dire entre non-Blancs pour la plupart issus de « populations colonisées ». Samira poursuit sa charge contre ces mouvements étudiants du centre de Paris, trop aveugles aux couleurs de peau : « Les tribunes sont blanches. Les interruptions et les agressions verbales sont quotidiennes lorsqu’une personne non blanche dénonce le racisme en assemblée générale. Nous assistons à un déni de la parole antiraciste ! » Vient le moment solennel. « Nous, étudiants antiracistes, nous emparons de la non-mixité choisie comme outil d’organisation politique. » Ici, on ne craint ni le sectarisme ni les raccourcis : « Les seuls à se sentir exclus par nos propos sont nos ennemis politiques. » Samira poursuit sa lecture en arabe, « par solidarité avec les migrants ». Applaudissements.

« Camp d’été décolonial »

La France militante serait-elle touchée par le syndrome anglo-saxon d’un repli communautaire fondé sur la couleur de la peau ? Des réunions en non-mixité se tiennent désormais au cœur d’organisations de gauche comme le bureau politique de l’Unef, ou chez Sud-Éducation 93, qui prévoyait en novembre d’organiser un stage en « non-mixité racisée ». Depuis deux ans, les initiatives essaiment partout en France. En mars 2016, à l’occasion de Nuit debout, la « commission féministe » organise des réunions réservées aux « femmes et minorités de genre », entraînant des débats et des réactions politiques houleuses. Six mois plus tard, les deux activistes antiracistes Fania Noël et Sihame Assbague rallument la mèche en organisant un « camp d’été décolonial » destiné « uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’État en contexte français ». Lors d’une interview donnée à Vice News, elles justifient l’efficacité de réunions où les Blancs sont absents, car, expliquent-elles sans nuance, « ils se situent en tant qu’observateurs, alors qu’il faudrait aussi qu’ils se posent la question des bénéfices que leur rapporte la blanchité dans un système qui les privilégie. » Les deux jeunes femmes accusent les traditionnels militants de l’antiracisme : « Pour toutes les personnes blanches qui sont dans l’antiracisme, il y a une dorure symbolique, comme ceux qui font de l’humanitaire. Ils se regardent être des gens bien. » Pour cette nouvelle génération de militants très marqués à gauche, il est impossible de se dire antiraciste et de remettre en question les vertus de la non-mixité. Ceux qui doutent seront renvoyés vers l’exemple honni de SOS Racisme, association dont la simple évocation suffit à plonger un amphi de nouveaux antiracistes dans l’hilarité.

« Ces mouvements se ripolinent de nouveauté, alors qu’ils sont dans l’échec militant le plus cuisant, s’étrangle Dominique Sopo, actuel président de SOS Racisme. Nous sommes attaqués de manière pavlovienne, plus encore que l’État, par des gens qui se soûlent de leurs propres mots. Leur confusion est totale, ils sont complètement dépassés par leur émotionnel. » Le successeur d’Harlem Désir et de Fodé Sylla dénonce ces réunions non mixtes qu’il considère comme illégales. « Quand vous faites appel au public et que vous commencez à trier les participants sur une base raciale, vous remettez en question le droit antidiscriminatoire. »

Applaudissements

Pas de quoi effrayer l’amphithéâtre B2 de l’université de Saint-Denis où arrive le tour de Mohammed, migrant du comité des exilés installé dans les locaux de Paris-VIII depuis février. Une jeune femme joue l’interprète. Le Soudanais assure que la police de son pays et la police française ont pour but commun d’« envoyer tout le monde en déportation ». Puis, porté par l’assistance échauffée, il s’enflamme : « La France sans le racisme d’État, ça ne serait plus la France ! [...] Le Français, ce n’est pas un Blanc aux cheveux blonds et aux yeux verts. La personne française, c’est la personne raciste ! » Ovation de l’amphi « en mixité », animé par une « tribune non blanche ».

Un membre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) veut ensuite parler de la nécessité de se revendiquer antisioniste. Pour lui, criminaliser l’antisionisme, ce serait « criminaliser le mouvement de solidarité avec la Palestine, qui est l’un des axes importants de politisation dans les quartiers issus de l’immigration postcoloniale ». Il conclut : « On ne peut pas être anticapitaliste jusqu’au bout sans être antisioniste. Et être antiraciste, c’est évidemment être antisioniste. » Applaudissements. Une jeune femme tentera de nuancer les propos du militant, mais personne ne l’écoute. On passe aux messages de service : « On signale des contrôleurs sur la ligne de métro à la station Saint-Denis », prévient un participant. Au moment de se quitter, tous promettent de se revoir en fin de semaine. Cette fois, d’après les termes exacts – et ubuesques – employés par la RAP sur son mur Facebook, « en non-mixité genre et race [sans mec cis et pour les personnes subissant à titre personnel le racisme en contexte français] ». Traduction : entre non-Blancs et sans hommes qui se sentent hommes, « cisgenre » désignant les « personnes dont le genre ressenti correspond à leur sexe de naissance ». L’inverse des transgenres. Rendez-vous donc en fin de semaine sans mecs hétéros, quelle que soit leur couleur de peau.

« On parle de non-mixité raciale, on parle de blanchité, on parle de racisé : [...] les mots les plus épouvantables du vocabulaire politique sont utilisés au nom soi-disant de l’antiracisme alors qu’en fait ils véhiculent évidemment un racisme », tonnait le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, dans l’Hémicycle le 21 novembre. Du côté des partis politiques, seule La France insoumise se révèle ambiguë sur ce nouveau sujet du débat public. La députée Danielle Obono s’est déclarée favorable à ces réunions non mixtes, qu’elle décrit comme un « outil pédagogique » visant à « libérer la parole ». Le président du groupe, Jean-Luc Mélenchon, se montre plus réservé, même s’il se refuse à endosser le rôle de « police politique » de ses députés insoumis. L’extrême gauche tenterait-elle de transformer la lutte des classes en lutte des races ? Pour Christophe Bourseiller, écrivain spécialiste de cette partie de l’échiquier, la composition chimique de ce nouveau militantisme est claire : « Cette mouvance s’enracine dans une idéologie tiers-mondiste, où les populations issues d’anciens pays colonisés sont vues comme le nouveau prolétariat. Ces méthodes d’organisation politique sont portées par le Parti des indigènes de la République [PIR], qui accueille de nombreux transfuges du Nouveau Parti anticapitaliste et de la Ligue communiste révolutionnaire. »

Cet antiracisme nouvelle vague fait irruption dans le débat public avec des méthodes et un vocabulaire. À commencer par l’emploi du mot « racisé », dont les utilisateurs précisent qu’il regroupe « ceux qui s’estiment victimes de préjugés ou de discriminations racistes en raison de leur origine ». Une innovation linguistique qui déroute le lexicographe Alain Rey, qui découvre le terme lors de notre entretien : « Je ne vois pas de quoi il s’agit, sinon d’idéologie. Ce mot semble étranger à l’esprit de la langue française, je parierais volontiers sur un américanisme. Quelqu’un qui se dit racisé cherche à donner une couleur plus dramatique au fait de se sentir mal jugé à cause d’une appartenance, quelle qu’elle soit. »

Sémantique

« Blancs », « Noirs », « Arabes », « négrophobie »... Serait-on en train d’assister au grand retour d’une sémantique – et d’idées – que l’on pensait disparue depuis des années ? « Ne pas nommer les choses n’empêche pas de les voir, ça s’appelle le déni. Les personnes noires savent très bien qu’elles sont noires, justifie Rokhaya Diallo, figure médiatique d’un antiracisme féministe et décolonial, régulièrement critiquée pour ses prises de position en faveur du voile ou d’une société multiculturelle. C’est une fable de croire qu’on peut tous comprendre le racisme, quelle que soit sa couleur de peau, insiste-t-elle. Ces réunions ne durent que quelques heures et permettent de faire une économie d’explications à des gens qui ont toujours vécu dans un monde fait pour eux. » Les défenseurs de la non-mixité ont reçu le soutien de la sociologue Christine Delphy, figure féministe et cofondatrice du Mouvement de libération des femmes. « Les groupes non mixtes foisonnent dans le monde entier, il n’y a qu’en France que ça étonne, s’agace-t-elle. Que les gens qui ont des intérêts en commun se réunissent entre eux, personne ne devrait s’opposer à cela. La race n’existe pas biologiquement, mais elle existe socialement, c’est incontestable », poursuit celle qui est engagée dans la lutte contre l’islamophobie.

Les universités seraient la rampe de lancement de ce nouveau militantisme ? « Ce mouvement arrive en France par les départements de sciences sociales. Le cas de Paris-VIII est éclairant : des enseignants qui défendent cette vision se sont cooptés et reproduisent leur modèle avec les étudiants », attaque Laurent Bouvet, politologue spécialiste de la nouvelle question identitaire américaine et membre fondateur du Printemps républicain, mouvement de gauche, laïque et vallsiste. Il cite, pour Paris-VIII, le cas du chercheur Éric Fassin – qui n’a pas souhaité nous répondre –, « cet homme blanc cisgenre qui défend la non-mixité ». Laurent Bouvet voit dans les déclarations du sociologue Fassin une idéologie importée des États-Unis et grossièrement transposée à la France : « La non-mixité est un produit de la mondialisation de la pensée, de cette époque où l’on porte en bandoulière le libéralisme culturel et le droit des minorités. Mais ce discours n’est pas adapté à la France ! » La fascination récente des universitaires pour des sujets de recherche très militants se traduit par une inflation de thèses et de recherches sur le genre, les minorités et les discriminations...

Ce triomphe de l’antiracisme dit « intersectionnel » (qui combat plusieurs discriminations à la fois) plonge des associations en pleine tourmente. Certaines n’hésitent pas à parler d’entrisme. L’équipe de direction d’Act Up Paris, acteur historique de la lutte contre le sida, a démissionné le 31 mars, dénonçant la présence de ces nouveaux entrepreneurs identitaires dans leurs rangs. Rémy Hamai, président démissionnaire, s’est dit « harcelé » par de jeunes militants venus du PIR et extrêmement politisés, arrivés dans la foulée du film 120 battements par minute. « Act Up s’était déradicalisé et avait fini par entrer dans le patrimoine... » a expliqué l’un de ces nouveaux militants devant ses camarades de Paris-VIII. Ajoutant, transporté par la rage : « Ce film a fait que des meufs blanches hétéros et bourgeoises se sont identifiées et sont venues. Des militantes racistes ! Elles nous disaient : On est apolitiques, on parle du sida, pourquoi vous venez nous parler de migrants ?, alors qu’un nouveau cas sur deux touche des personnes d’origine étrangère ! » L’association se déchire. « Pour ces militants obsédés par l’antiracisme, tous les autres se devaient d’être d’extrême gauche », déplore l’un des démissionnaires. Lesquels ont fondé une nouvelle association : les ActupienNEs.

Désespérant

Si on regarde outre-Atlantique, ces nouveaux entrepreneurs identitaires ne devraient pas tarder à tenter d’importer les polémiques autour de l’« appropriation culturelle », prédit François Noudelmann, philosophe engagé contre les logiques séparatrices, l’un des rares enseignants de Paris-VIII à porter une parole différente. Ce concept part d’un postulat que toute utilisation d’éléments d’une « culture dominée » par les membres d’une « culture dominante » serait irrespectueuse et constituerait une spoliation ou une oppression. Récemment, l’enseigne Zara s’est ainsi vu reprocher d’avoir créé un vêtement reprenant les codes d’une tenue traditionnelle d’Asie du Sud. En suivant cette logique d’affirmation des identités, seuls ceux qui se revendiquent d’une culture minoritaire auraient légitimité à entreprendre la création d’une œuvre ou un travail universitaire sur le sujet. « Chacun ne devrait parler que de lui-même, de son village, de sa religion, de son ethnie, de ses partenaires sexuels ou de ses ancêtres. C’est désespérant », soupire François Noudelmann."

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