Revue de presse

"Evangéliques : la difficile quête de lieux de culte" (Le Monde, 19 av. 12)

21 avril 2012

"[...] L’effondrement d’un plancher dans un lieu de culte évangélique haïtien, qui a fait deux morts, le 8 avril, à Stains (Seine-Saint-Denis), a mis en lumière la précarité dans laquelle des milliers de croyants prient chaque dimanche, notamment en région parisienne. Des caves, des entrepôts, des maisons individuelles, des salles de réception dans les hôtels de zones industrielles, des locaux agrandis en dépit des règles de sécurité... Face aux prix prohibitifs du foncier francilien, toutes les solutions sont les bienvenues pour les 400 Eglises évangéliques, en activité et en croissance, dans la région.

Les créneaux horaires octroyés par des Eglises protestantes historiques, voire par des paroisses catholiques, ne suffisent plus. Une situation tendue dont profitent certains propriétaires. "On connaissait les marchands de sommeil, il y a aussi les marchands de culte, qui louent une salle, même pas aux normes, 300 euros les deux heures", se désole le pasteur Marianne Guéroult, qui noue pour la Fédération protestante de France (FPF) des liens avec les Eglises issues de l’immigration.

Francis, responsable d’une Eglise ghanéenne en Seine-Saint-Denis, qui tient aussi à l’anonymat, n’a qu’une idée en tête : quitter les "60 m2 loués le dimanche de 14 heures à 17 heures entre 600 et 1 000 euros par mois". Son Eglise compte plus de 100 fidèles qui s’y entassent "pour la foi" : "Mais il nous faut un local plus vaste, plus convivial, car on ne peut plus grandir. Parfois, les gens, dégoûtés par les conditions, ne reviennent plus." Dans le bâtiment, les Eglises "tournent" durant tout le dimanche. "On entend les chants des cultes qui se déroulent à côté. Nous avons limité à dix minutes l’usage des instruments et nous chantons sans musique pour moins déranger." Avec un budget mensuel de "800 euros maximum", Francis désespère de trouver un local adapté en proche banlieue.

Alexandre, le président de l’association égyptienne, dispose de 2 500 euros par mois, mais se heurte depuis 1997 à une succession de refus. "D’abord, une mairie nous a refusé la vente d’un local au pied d’un HLM, sous prétexte qu’il n’était pas adapté au culte. Récemment, une autre ne nous a pas autorisés à construire sur un terrain nous appartenant", regrette-t-il placidement. Un autre responsable est plus direct : "On a deux inconvénients : on est arabes et évangéliques. On ne dispose d’aucun soutien. Il faudrait qu’on prie plusieurs dimanches de suite dans la rue pour être entendus." L’allusion aux musulmans est claire et, dans les milieux évangéliques, souvent peu amène. "Les mairies nous refusent la location de locaux de peur de devoir en louer aussi aux musulmans ou parce qu’ils leur en ont déjà loué !", souligne Alexandre. Il espère que le drame de Stains fera prendre conscience aux pouvoirs publics de l’urgence de la situation pour les Eglises évangéliques.

L’effondrement d’un plancher dans un lieu de culte évangélique haïtien à Stains, le 8 avril, a mis en lumière la précarité dans laquelle des milliers de croyants prient chaque dimanche.

La FPF assure avoir "une vingtaine de demandes" de la part d’Eglises en quête de locaux. Elles comptent sur la notoriété de la FPF pour les accompagner. Un rôle de soutien et d’aide juridique qu’assure aussi le Conseil national des évangéliques de France (CNEF). "En Seine-Saint-Denis, assure Daniel Liechti, son vice-président, la moitié de notre centaine d’Eglises ne sont pas satisfaites de leurs locaux."

"Pendant dix ans, j’ai cherché un local et j’ai échoué, témoigne le pasteur haïtien Luc Saint-Louis, à la tête d’une communauté de 150 membres. Pour une Eglise seule et pour quelqu’un de couleur, c’était très difficile. Lorsqu’on a décidé d’acheter un ancien supermarché, le fait qu’un membre du CNEF m’ait accompagné a rassuré la municipalité." Cette démarche tend à se développer. "A l’exception de celles qui vivent dans la clandestinité autour d’un pasteur autoproclamé, et dont le nombre est difficile à évaluer, les Eglises veulent se mettre en conformité et s’inscrire dans le protestantisme français", assure le pasteur Guéroult.

L’absence de réseaux, la méconnaissance des procédures, les problèmes financiers n’expliquent pas seuls les difficultés. La méconnaissance du milieu évangélique suscite aussi les réticences de certaines municipalités. "On nous allègue que nos activités ne sont pas compatibles avec une zone industrielle, que le terrain est prévu pour d’autres activités ou qu’il existe déjà des lieux de culte dans la ville", explique Boubacar Doumbia, pasteur des Assemblées de Dieu, dont l’Eglise vient d’emménager dans des locaux acquis... en 2006.

Les représentants des Eglises confirment les réticences. "Des mairies mettent en avant la crainte du communautarisme", avance Mme Guéroult. "Pourquoi les municipalités ne favorisent-elles pas une installation temporaire, le temps que les Eglises trouvent un local ?", demande M. Liechti, qui pointe des raisons politiques. "Contrairement aux musulmans, les évangéliques n’habitent pas toujours la commune où ils veulent s’installer. En outre, les mairies ne comprennent pas que les fidèles se réunissent par affinités et que plusieurs lieux de culte sont nécessaires dans une même ville."

Depuis le drame de Stains, les communautés redoutent davantage de contrôles sur la sécurité ; certaines craignent de se retrouver à la rue. Dans le local dont il rêve, Alexandre voudrait organiser un culte le dimanche matin en français, "pour les jeunes", et l’après-midi en arabe, "pour les anciens". Et avoir le sentiment d’être enfin "chez soi"."

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