Revue de presse

"Laïcité : Valls a besoin de repères, pas de Saints-Pères !" (E. Conan, marianne.net , 25 av. 14)

25 avril 2014

"La présence de Manuel Valls en tant que Premier ministre au Vatican, dimanche prochain, pour les canonisations des papes Jean XXIII et Jean Paul II révèle l’état de confusionnisme dans lequel continue de patauger une partie de la gauche.

On sait que, depuis quelques décennies, le Parti socialiste a abandonné la laïcité, parmi bien d’autres obligations qui faisaient partie de son patrimoine historique. Il a laissé la droite légiférer dans ce domaine en 2004 et 2010 et Marine Le Pen fondre sur cette thématique. Mais rien n’y fait et le Premier ministre révèle l’état de confusionnisme dans lequel continue de patauger une partie de la gauche en annonçant sa présence en tant que Premier ministre au Vatican, dimanche prochain, pour les canonisations des papes Jean XXIII et Jean Paul II.

Pendant longtemps Manuel Valls ne fut pas très assuré en matière de laïcité, se déclarant contre une loi interdisant les signes religieux à l’école (qui allait « couper la société en deux »), avant de se dire pour après son adoption, puis en pointe récemment dans l’affaire de la crèche Baby-Loup. Tout en se proclamant aujourd’hui parangon d’une « laïcité exigeante », il montre donc qu’il n’a pas tant progressé que cela, semblant plutôt donner des gages sans bien comprendre la nature de l’exigence laïque.

Passons sur l’absence de logique du PS qui avait dénoncé en 2011 la présence de François Fillon, premier ministre, lors de la béatification (stade antérieure à la canonisation) de Jean-Paul II, se disant « choqué » par cette violation d’une « tradition diplomatique établie et respectée par tous ses prédécesseurs ». Le PS se tient aujourd’hui coi sur l’initiative de Valls ! Alors que sur le principe il était dans le vrai en 2011 : il n’y a aucune ambiguïté, le Premier ministre d’une république laïque n’a rien à faire au Vatican pour une cérémonie purement religieuse.

Manuel Valls prête ainsi le flanc au soupçon de continuité avec les embardées de Nicolas Sarkozy qui avait médiatisé en fanfare sa rupture avec ses prédécesseurs dans le rapport aux Cultes. On se souvient qu’il avait tenu à enchainer trois « premières » pour un président de la République : se rendre à la Grande synagogue de Paris et à la Grande Mosquée de Paris avant de se prosterner au Vatican et tenir les discours que l’on sait sur la « supériorité » de la religion sur l’école de la République [1].

Chez Manuel Valls, ce suivisme sarkozyste n’est pas nouveau. L’écart était passé inaperçu, mais le 22 septembre 2012 il était présent à Troyes pour la béatification du Père Louis Brisson, dont l’Eglise a reconnu un « miracle » en Equateur [2]. Il s’était pourtant vanté dans le magazine Famille chrétienne d’assister à une telle cérémonie catholique en tant que ministre de l’Intérieur, en précisant : « Quand on est le représentant du gouvernement, on se doit d’honorer les cultes qui font partie de notre histoire et de la société française » [3]. Alors que c’est exactement l’inverse.

Et passons sur le fait que le Père Brisson ne fut pas un des personnages les plus sympathiques que nous ait offerts l’Eglise, si l’on croit ses propos sur la République, les femmes ou les juifs. Quelques jours plus tard, Manuel Valls était au Vatican, pour la canonisation du « premier saint de Madagascar et de l’Océan Indien », Jacques Berthieu, missionnaire jésuite ayant « évangélisé » à Madagascar au 19ème siècle. Le ministère de l’Intérieur invoquait alors « la tradition » de la présence d’un membre du gouvernement lors de la canonisation d’un Français, mais cette « tradition », surtout respectée par la droite, ne requière pas forcément un ministre de ce rang.

Le plus pénible est de voir Manuel Valls se réclamer de Georges Clémenceau, de Jean Jaurès et de Charles de Gaulle dans son discours d’investiture et piétiner avec désinvolture l’indépendance scrupuleuse vis-à-vis de l’Eglise catholique que ces trois grands républicains se sont pareillement imposée alors que leurs rapports à la foi étaient opposés. Georges Clémenceau et Jean Jaurès étaient libres penseurs, tandis que Charles de Gaulle était catholique pratiquant.

Manuel Valls devrait s’inspirer de l’exemple limpide de ce dernier, pourtant le plus pratiquant des présidents de la Vème République. De Gaulle a en effet toujours tenu à reléguer son catholicisme fervent dans le privé, au point d’avoir fait installer à l’Elysée une petite chapelle dans une pièce de 15 mètres carré en confiant à l’un de ses neveux, prêtre, François de Gaulle, le soin de dire pour lui et son épouse une messe le dimanche matin lorsqu’il était présent à Paris. Il avait précisé à son neveu : « Tu n’es pas l’aumônier de l’Elysée, c’est une messe privée que tu célèbres car je ne suis pas le président des catholiques mais de tous les Français ».

Belle leçon de laïcité pratique que cette double privatisation - de la chapelle et du prêtre - pour ne pas s’afficher dans une église publique (pour l’anecdote, cette pièce de l’Elysée servant de chapelle fut recyclée comme local pour ranger les cadeaux de Noël du personnel sous le règne du pieux Sarkozy…). Et lorsque le Général de Gaulle était amené à participer à une cérémonie religieuse, notamment lors d’obsèques, il s’abstenait de communier, considérant que sa fonction lui interdisait de témoigner de sa foi en public. Il ne fit à cette règle qu’une exception, dans une chapelle de Leningrad, lors d’une visite en 1966, geste politique, en signe de protestation politique contre l’absence de liberté de culte en URSS.

Si l’exemple exemplaire de de Gaulle est trop intimidant, Manuel Valls en a un autre, plus accessible : François Hollande. Durant son long passage en Corrèze, l’attitude de l’actuel Président fut, sur cette question, millimétrée : bienveillant à l’égard de tous les Cultes et de leurs représentants, il a toujours observé une distance d’une neutralité calculée.

Il déclinait ainsi régulièrement les invitations aux inaugurations d’édifices religieux. Et lors des commémorations officielles – notamment, celle, importante en Corrèze, des Martyrs de Tulle en 1944 – François Hollande s’en tenait à la partie civile et républicaine de la cérémonie, veillant à éviter la partie religieuse. Si, sur bien des questions, le discours parfois flou de François Hollande gagnerait à suivre les clarifications de son premier Ministre, sur celle de la laïcité, Manuel Valls gagnerait à s’inspirer de son Président…"

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