(Marianne, 25 jan. 24) 26 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Gaël Brustier, Les analphabètes au pouvoir, éd. Cerf, févr. 2024, 96 p. 9,50 €
Lire "Mais pourquoi nos dirigeants sont-ils aussi nuls ? Oui, en politique aussi, le niveau baisse".
Le constat paraît évident : le personnel politique de 2024 semble à des années-lumière de celui qui était aux manettes du temps de De Gaulle ou de Mitterrand. Comment en est-on arrivés là ?
Par Maël Jouan , Hadrien Mathoux et Louis Nadau
Des discours insipides de nos ministres aux chahuts futiles à l’Assemblée, des polémiques les plus stupides aux turpitudes les plus affligeantes, un sentiment sourd travaille le peuple français : mais pourquoi sont-ils si nuls ? Beaucoup en font le constat, le niveau du personnel politique s’est effondré. L’essayiste Gaël Brustier s’apprête d’ailleurs à publier Les Analphabètes au pouvoir. « Il n’y a plus de culture historique et idéologique constate-t-il, dépité. Nos politiques s’en fichent. Ils ne font que copier les séries qu’ils ont vues à la télé, ils se croient dans “The West Wing” [série américaine se déroulant à la Maison-Blanche] ». Sévère constat ? Peut-être, mais sans contredit possible, le niveau baisse. Alors question : comment en sommes-nous arrivés là ?
Cédons, tout d’abord, à un penchant bien français, en examinant les titres de noblesse académiques de nos dirigeants. Le parcours du normalien Georges Pompidou, reçu premier à l’agrégation de lettres et auteur d’une Anthologie de la poésie française qui fait encore autorité soixante ans plus tard, paraît inimaginable aujourd’hui. L’enchaînement Sciences-Po- ENA constitue aujourd’hui le cursus honorum des présidents, à l’image de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Nous manquons certes d’éléments objectifs permettant d’affirmer que le diplôme de l’ENA de 1970 vaut plus que celui de 2024, en dehors de rapports de jurys toujours alarmistes. « En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables » disait après tout Clemenceau. Mais il suffit de s’intéresser à la pente prise par ces deux écoles pour constater à quel point elles ont accompagné l’irruption du vocabulaire et des pratiques du management dans la politique française. Sciences-Po et l’ENA ne se sont pas construits contre la « pensée PowerPoint » : elles l’ont encouragée.
Les méfaits des réseaux
Dans quelle mesure peut-on lier la baisse de compétence du personnel politique à une dégradation générale du niveau scolaire de la population française ? On observe un double mouvement : d’une part, une large démocratisation des études, matérialisée par une explosion du nombre de bacheliers (80 % d’une génération en 2019, contre 29 % en 1985, selon l’Insee). D’autre part, et sans qu’un lien de causalité puisse être établi entre les deux phénomènes, un effondrement des résultats de la France dans le classement Pisa. La part des élèves atteignant un excellent niveau, dont on peut présumer que les dirigeants de demain seront issus, s’est légèrement érodée en lecture (7,4 % il y a vingt ans, 7,1 % aujourd’hui) mais s’est totalement écroulée en mathématiques, de 15,1 à 7,4 %.
Dans ce contexte d’abêtissement – comment l’appeler autrement ? –, la baisse du niveau politique est encore largement amplifiée par le jeu pervers des réseaux sociaux, qui donne à chacun l’occasion de se montrer plus stupide qu’il n’est. Complexité de la pensée, nuances, articulations logiques, références culturelles et historiques s’effacent devant les impératifs de l’« économie de l’attention ». L’ultra simplification tient à la nature des médias, exigeant un « contenu » ou un « son » bref, accessible et divertissant, et à la radicalité induite par ses mécaniques d’« engagement » (le partage, le commentaire, le like : tout ce qui fait vivre le réseau). Avec, comme résultat, une polarisation extrême du débat. Sans avoir le monopole de l’usage outrancier des réseaux sociaux, La France insoumise s’en est toutefois fait une spécialité. « Il n’y a peut-être que 2 % de ce que nous disons qui arrive aux oreilles du grand public : parler fort, durcir, cliver, c’est le seul moyen de se faire entendre commente un élu LFI. Sinon, notre bulle n’arrive jamais à en absorber d’autres. Si nous ne parlons pas très fort, nous devenons indistincts, beaucoup trop dans la roue du pouvoir. »
Toujours la faute des politiques ? Derrière eux se cachent en fait des bataillons de conseillers. Ils sont entre deux et quatre par députés et se comptent en dizaines pour les maires de grandes villes et les ministres. Des postes indispensables pour mettre en branle la vision politique impulsée par l’élu et faire le lien avec l’administration. Or ces « petites mains » ne sont pas épargnées par la baisse de niveau. « On peine à recruter concède une cadre de Renaissance. Au début du premier quinquennat, nous recevions plus de dix CV pour une fiche de poste. Aujourd’hui, nous en avons à peine trois. » La politique n’attire visiblement plus autant que par le passé.
Un passage dans un cabinet n’agit plus comme un accélérateur de carrière. « Je n’ai rien contre Bérangère Couillard [ancienne ministre à l’Égalité femmes-hommes] ou Patricia Mirallès [chargée des Anciens combattants] mais elles étaient transparentes » se moque un communicant resté plusieurs années en cabinet ministériel avant de bifurquer vers le privé. « Alors, avoir été leur conseiller n’est pas franchement un plus pour un employeur… » Au contraire, l’expérience peut même desservir. Ainsi, certains employeurs se refusent à recruter des profils étiquetés politiquement. En Macronie, un expert de l’industrie, qui assure avoir été sollicité pour rejoindre un ministre comme conseiller technique, pointe un autre problème : « Quelle serait ma marge de manœuvre ? Tout est centralisé à l’extrême, la grande majorité des décisions est prise à l’Élysée. » Les ministres et conseillers perdent donc en compétence et, par ricochet, leurs fonctions en attractivité.
Conseillers juvéniles
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) joue aussi un rôle d’épouvantail. Car les conseillers présidentiels et ministériels doivent, comme les élus, déclarer leur patrimoine et leurs intérêts. Tout en reconnaissant son utilité afin de redonner confiance dans la politique, un ancien conseiller admet : « C’est une mise à nu assez désagréable, en particulier lorsque cela concerne la vie privée, comme les renseignements demandés sur le conjoint. » Surtout, la sortie de cabinet est redoutée : « La HATVP bloque pendant trois ans toute reconversion sur les dossiers sur lesquels tu as travaillé. Or c’est justement sur ces thèmes que tu as une expérience à vendre dans le privé. » Résultat, cette crise des vocations conduit inexorablement à un rajeunissement des conseillers.
Pis encore, Emmanuel Macron a exigé des cabinets resserrés après avoir lâché un peu de lest entre la fin du premier quinquennat et le début du second. Soit l’assurance pour les conseillers de devoir jongler entre de multiples dossiers, un problème déjà pointé par l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn dans son Journal, publié chez Flammarion. L’exigence présidentielle ne devrait rien arranger au manque d’attractivité de postes déjà en mal de profils expérimentés.
Quand les ministres publiaient…
Quels points communs entre Alphonse de Lamartine, François-René de Chateaubriand, André Malraux et Maurice Druon ? Évidemment, ils occupent tous une bonne place au panthéon des lettres mais chacun d’eux, également, officia dans divers gouvernements comme ministre. Aux Affaires étrangères pour les deux premiers, à la Culture pour les suivants. Alors, bien sûr, le « niveau » politique ne se mesure pas au nombre de publications. Mais à regarder la jeune équipe Attal de plus près, un fait – ou plutôt un manque – se dégage : parmi les ministres de plein exercice, seulement un tiers a déjà vu son nom sur la couverture d’un essai ou d’un roman. Et encore, sur les 23 livres publiés au total, la moitié porte la signature de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. Auteur d’essais sur l’Europe et la France (Ne vous résignez pas !, 2016), il fit surtout couler beaucoup d’encre à la sortie de son dernier roman, agrémenté de passages coquins. Sans revenir au temps de Chateaubriand et de Louis XVIII, le gouvernement Mauroy de mai 1981 alignait quelques ministres essayistes aux solides ambitions doctrinales et idéologiques. Nommé à la Recherche, Jean-Pierre Chevènement avait déjà réglé son compte à la social-démocratie, son collègue du Plan Michel Rocard prôné l’autogestion et Charles Hernu, ministre de la Défense, défendu l’armée de conscription.
La fiction a parfois cette capacité de résumer le réel en une formule claquante. En témoigne cette scène tirée de L’Exercice de l’État film politique magistral réalisé par Pierre Schoeller en 2011 : alors que deux hauts fonctionnaires débattent de leur avenir, l’un d’entre eux annonce à son camarade qu’il part « pantoufler » dans le privé. Justification : « L’État est une vieille godasse toute trouée, qui prend l’eau de partout. Il n’y a plus d’argent. » On pourrait étendre la remarque aux élus : après tout, à quoi bon prendre la tête d’un navire dont on ne peut pas contrôler le gouvernail… voire qui est en train de couler ?
Impossible en effet d’aborder la question de l’effondrement de la qualité de nos représentants sans faire le lien avec les renoncements massifs de souveraineté opérés par la France depuis les années 1980. Le pays a abandonné, de gré plutôt que de force, des pans entiers de pouvoir, que ce soit en enserrant sa capacité à agir dans des règles européennes rigides ou en cédant carrément des compétences régaliennes telles que la monnaie. Le mouvement de mondialisation a, en outre, accru l’influence des entreprises et des grandes fortunes sur la marche du monde. Si bien que le pouvoir a de plus en plus quitté Paris pour rejoindre des destinations diverses : Bruxelles, les grandes capitales boursières, les sièges des grandes multinationales…
Se résigner ?
À quoi bon se retrouver aux manettes si l’on ne peut pas décider du cap fixé ? Auteur de L’Opium des élites. Comment on a défait la France sans faire l’Europe le haut fonctionnaire Aquilino Morelle l’explique : « Les élites françaises sont résignées politiquement, ayant considéré “l’Europe” comme la solution à tous les maux qui, selon elles, accableraient la France, elles sont adeptes de la fuite en avant fédéraliste et versent dans l’idéologie post-nationale. »
Faut-il pour autant se résigner à la décrépitude de notre personnel politique, se réfugier dans un « c’était mieux avant » passéiste et dépité ? On peut se décourager en observant l’Histoire, mais aussi se rassurer : la France a maintes fois plongé en raison de l’incompétence de ses élites, que l’on songe au fiasco diplomatique du Second Empire ou à la veulerie des politiques et des militaires dans les années 1930 face au danger hitlérien. Mais la nation n’a jamais sombré et s’est toujours relevée. Espérons que les Français sachent se trouver des dirigeants à la hauteur de leur histoire.
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