(Le Figaro, 16 mai 24) 16 mai 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "En Iran, la chasse aux femmes mal voilées redouble de brutalité".
Par Delphine Minoui
RÉCIT - Le régime théocratique cherche par tous les moyens à resserrer son étreinte sur la société.
La violence l’a cueillie d’une traite à l’entrée de la station de métro Sadeghieh, à Téhéran. « La police des mœurs s’est immédiatement ruée vers moi, car je ne portais pas de foulard. J’ai eu beau résister, j’ai été emmenée de force dans une pièce, puis menottée et attachée à une chaise avant de recevoir des coups de Taser (décharges électriques, NDLR). Un agent m’a harcelée en me caressant le visage ! », raconte Dina Ghalibaf, 24 ans.
De ce samedi 13 avril, dont elle garde un hématome à la main droite, la jeune étudiante et militante iranienne se souvient dans le moindre détail. Elle l’a d’ailleurs évoqué le soir même sur son compte X, ce qui lui a ensuite valu quinze jours de détention dans la sinistre prison d’Evin. Libérée contre une caution exorbitante, dans l’attente de sa convocation au tribunal, elle nous confie, via l’application Telegram, son désarroi face à la répression qui sévit en Iran : « Je ne suis pas une voleuse. Je ne suis pas une criminelle. Je suis juste une femme qui veut disposer librement de son corps lorsqu’elle marche dans la rue ! »
« La peur sur les visages »
Voilà plus d’un mois, déjà, que les patrouilles visant les « mal voilées » ont repris du service à travers le pays. Objectif affiché : faire respecter le hidjab - obligatoire depuis quarante-cinq ans - qu’elles sont nombreuses à avoir abandonné après la mort, il y a un an et demi, de Mahsa Amini, pour non-respect du code vestimentaire, à l’origine du mouvement Femme, Vie, Liberté. Ces derniers jours, les réseaux sociaux débordent de vidéos glaçantes où l’on voit des policiers en uniforme secondés par des fliquettes en tchador noir admonester et frapper des femmes, souvent très jeunes, avant de les embarquer dans leurs fourgonnettes.
Sur l’une d’elles, une Iranienne non voilée est battue en pleine rue, déshabillée, puis enroulée de force dans une couverture avant d’être jetée à l’arrière d’un van blanc. « La République islamique a transformé les rues en champ de bataille contre les femmes et les jeunes », s’insurge depuis la prison d’Evin la militante Narges Mohammadi, Prix Nobel de la paix 2023, dans un de ses messages échappés de derrière les barreaux. Contactée à Téhéran, la journaliste Sepideh (nom d’emprunt) décrit « la peur et l’inquiétude sur les visages » des femmes qui va également de pair avec le choc suscité par la récente condamnation à mort du célèbre rappeur Toomaj Salehi, dont il est devenu l’un des porte-voix.
Aujourd’hui, poursuit la reporter, « tous les moyens sont bons pour étouffer la société » : arrestations, peines de prison, de mort, amendes infligées aux contrevenantes surprises tête nue au volant de leur voiture, tandis que la police se déchaîne avec une violence assumée. « L’autre jour, une amie a été embarquée au commissariat. À la question : “Quelle loi vous autorise à vous comporter ainsi ?”, le policier lui répond : “La loi, c’est moi !” Si une femme ose s’insurger, on la traite de “séditieuse” ou de “prostituée” et on la tabasse sans merci », ajoute-t-elle.
« Ingérences étrangères »
Le tour de vis remonte au 13 avril. Ce matin-là, des centaines de camionnettes blanches de « Gacht-é Ershad » (les fameuses patrouilles d’orientation) réapparaissent en grand nombre dans les rues. En une seule journée, 500 femmes - dont Dina Ghalibaf - sont agressées et arrêtées dans la seule ville de Téhéran. Mais le soir-même, une autre attaque iranienne concentre toute l’attention internationale : l’envoi de 300 drones et missiles sur Israël, ennemi juré de la République islamique. « Les tensions régionales, alimentées par l’Iran, sont un parfait alibi pour Téhéran. Pendant que tous les yeux sont rivés sur le conflit à Gaza, le pouvoir en tire profit pour combattre son propre peuple », regrette Sepideh. Dix jours plus tôt, l’ayatollah Ali Khamenei a donné le la : dans un discours au vitriol, le guide suprême et numéro un du régime affirmait « l’obligation religieuse et légale » de porter le voile, en décrivant le non-respect de cette obligation comme le fruit d’« ingérences étrangères » à combattre.
Physique, la répression est également économique. « Des femmes ont été licenciées, des actrices en vue ont perdu des rôles au théâtre à cause de leurs tenues jugées inappropriées. Il est désormais fréquent que les directeurs de cafés ou les chauffeurs de taxi supplient, bien qu’embarrassés, leurs clientes de porter un foulard. On ne peut pas leur en vouloir. Ils ont des bouches à nourrir dans un contexte de chômage et d’inflation galopante », remarque Sepideh. La journaliste avoue avoir changé ses habitudes : « Je limite au maximum mes sorties. Et quand je marche dans la rue, j’ai toujours un foulard au fond du sac ou autour du cou, au cas où… »
« La peur a changé de camp »
Mais les plus jeunes donnent du fil à retordre, comme en témoigne cette vidéo, virale sur Instagram, où des skateuses en salopette et mini-bandana slaloment à travers les badauds sur la grande place d’Ispahan. « Dès qu’on voit un flic, on remet notre foulard, puis on l’arrache de nouveau », frime Melika, 17 ans, via WhatsApp. Cette jeune lycéenne de Chiraz décrit avec délectation ses dernières altercations avec la police : « C’était à l’entrée du métro. Un policier me bloque l’accès en me traitant d’“impure”. Je lui réponds : “Tu veux me tuer, ou quoi ?”, puis je file d’une traite. Le lendemain, il me force à me couvrir, et je jette mon hidjab sur la tête comme une serpillière, histoire de le faire taire. Le surlendemain, il courbe l’échine et se tait pour de bon… On finira bien par les avoir à l’usure ! »
Le régime a beau sévir, le mouvement est profond, irréversible, selon la militante en exil des droits humains Shaghayegh Norouzi. « Les Iraniennes affichent un courage à toute épreuve. Elles ne sont pas prêtes à revenir sur leurs acquis », prévient-elle. Pour preuve : le succès de l’application Gershad, créée par son ONG, United4Iran, et téléchargeable sur un smartphone. « Les Iraniens et les Iraniennes l’utilisent pour signaler, et mieux contourner, les patrouilles de police. Voilà la force de ce mouvement : une maîtrise des nouveaux outils technologiques et une grande solidarité entre toutes les couches de la société. La peur a changé de camp. C’est pour cela, aussi, que le pouvoir sévit », avance-t-elle.
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