8 août 2013
"Ils n’étaient que quelques centaines, samedi 3 août, à Tizi-Ouzou, au nord-est de l’Algérie, à venir boire, manger, et fumer en public en plein ramadan. Mais ce "déjeuner républicain", qui visait à "défendre la liberté de conscience", a fait beaucoup réagir dans toute l’Algérie. En cause, pour les manifestants : "l’islamisation" progressive de l’Algérie, où faire le ramadan est devenu socialement quasi obligatoire.
Deux jours plus tard, lundi 5 août, quelques centaines de contre-manifestants leur ont répondu en se réunissant, sur la même place, habillés de chemises longues. Des affiches avaient été placardées dans les mosquées de la ville et des messages postés sur les réseaux sociaux pour appeler les fidèles à la manifestation.
Mercredi, dernier jour du ramadan, le Haut Conseil islamique a condamné "avec force" ce déjeuner, tout en rappelant sa "solidarité avec la population de Tizi Ouzou et à sa tête les imams et les forces politiques représentatives de la région qui se sont fermement opposés à cette minorité de semeurs de discorde". Le ministre des affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, a également dénoncé les "fauteurs de trouble", qui "sont eux-mêmes des victimes ayant été manipulées par d’autres personnes".
La veille, c’est l’ex-numéro 2 du Front islamique du salut (FIS), Ali Belhadj, qui avait publié un enregistrement vidéo dans lequel il affirmait que selon lui, la sentence pour celui qui ne respecte pas le ramadan devait être la mort.
Les "dé-jeuneûrs", qui se disent apolitiques, étaient pour beaucoup proches des autonomistes kabyles. Très présent dans l’organisation du déjeuner, Ait Chebib Bouaziz, président du mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, assure que l’action a été menée pour "défendre la liberté de culte et de conscience". "Nous voulons que notre droit à la différence soit respecté face aux groupes salafistes et islamistes, appuyés par le régime d’Alger. Ils harcèlent les citoyens qui ont choisi une autre religion que l’islam", ajoute-t-il.
Les participants au rassemblement assument le côté provocateur de leur action mais dénoncent "la persécution des non-jeûneurs, dont, disent-ils, le seul crime est de ne pas appliquer un précepte d’une religion de plus en plus investie par les tenants d’un obscurantisme radical au mépris de l’islam tolérant pratiqué par les citoyens de Kabylie".
Depuis quelques années, les arrestations pour rupture du jeûne se multiplient. En 2010, un jeune Algérien de 27 ans avait été condamné à deux ans de prison ferme pour avoir mangé en pleine journée. La sanction avait été prononcée en vertu d’un article du code pénal algérien qui punit d’emprisonnement et ou d’amende "quiconque offense le Prophète et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme et les préceptes de l’islam".
"La police se croit autorisée à poursuivre les non-jeûneurs. L’Etat ne donne pas de consignes claires, c’est une façon de cautionner ce qu’il se passe, explique Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS et directeur éditorial du Huffington Post Maghreb. Pour cette raison, l’Etat est responsable de ces dérives." "Il existe un fait social qui va au-delà de l’Algérie et du Maghreb : c’est le développement de la pratique du ’bigot’. La Kabylie n’y échappe pas. Il y a une volonté d’être très démonstratif dans sa pratique de la religion."
Les opposants au régime d’Alger estiment que l’attitude de l’Etat est une manière de masquer les problèmes économiques et sociaux du pays en se concentrant sur les questions religieuses, après les années noires de la guerre civile entre les islamistes et le pouvoir militaire."
Lire "En Algérie, les "non-jeûneurs" se sentent criminalisés par le pouvoir".
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