Revue de presse

"Emmanuel Macron et le pape : le débat sur la laïcité relancé" (Le Monde, 23 sept. 23)

(Le Monde, 23 sept. 23) 23 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La décision du président de la République d’assister à la cérémonie donnée par le souverain pontife, samedi, à Marseille, est perçue à gauche comme un manquement à la neutralité religieuse de l’Etat. Mais ce choix s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs.

Par Nathalie Segaunes

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Lire "La présence d’Emmanuel Macron à la messe du pape François relance le débat sur la laïcité".

[...] L’Elysée rappelle que Valéry Giscard d’Estaing, en 1980, a le premier assisté à une messe du pape Jean Paul II sur le parvis de Notre-Dame, sans que cela lui soit reproché. « Mais le débat sur la laïcité n’avait pas du tout à l’époque l’incandescence qu’il a depuis le début des années 2000 », rappelle le sociologue Philippe Portier, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études.

Par ailleurs, démine-t-on encore à la présidence de la République, Emmanuel Macron n’en est pas à sa première messe : il était présent aux obsèques religieuses de Johnny Hallyday à l’église de la Madeleine, en 2017, et à celles de Jacques Chirac à l’église Saint-Sulpice, en 2019, et « il n’y a pas eu de polémiques à l’époque ». Dans le premier cas cependant, élu depuis quelques mois seulement, le jeune président a frôlé la faute de carre lorsque, sous l’œil des caméras, il s’est emparé du goupillon pour bénir le cercueil du chanteur… avant de se raviser et de le reposer.

Un conseiller du chef de l’Etat souligne, enfin, que M. Macron « est aussi allé dans des synagogues pour des moments importants ou dramatiques de notre histoire » et « a participé à la rupture du jeûne à plusieurs occasions au moment du ramadan. Ce n’est pas pour autant qu’il a fait le ramadan et qu’on l’a accusé de devenir musulman et de promouvoir la religion musulmane. » Une comparaison qui surprend l’islamologue Ghaleb Bencheikh : « Le dîner de rupture du jeûne n’est en rien l’équivalent d’un acte solennel de la liturgie comme la messe », précise le président de la Fondation de l’islam de France.

La loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat affirme que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Considérée comme le texte fondateur de la laïcité en France, elle n’interdit nullement à un responsable politique d’assister à une cérémonie religieuse. « Il faut faire la différence entre le statut d’agent public et le statut d’élu, distingue M. Portier. Le Conseil d’Etat a jugé que si l’agent public doit être neutre, c’est le principe de liberté qui caractérise l’élu. »

Lors des débats à l’Assemblée nationale sur la loi contre le séparatisme du 24 août 2021, les groupes LFI, d’une part, et La République en marche (aujourd’hui Renaissance), d’autre part, ont défendu, chacun de leur côté, un amendement prévoyant l’interdiction pour un responsable politique d’assister à une cérémonie religieuse. Les deux amendements, soumis au vote, ont été repoussés.

Si la droite et l’extrême droite ne voient pas d’atteinte au principe de laïcité dans la présence d’Emmanuel Macron à la messe du pape, Olivier Marleix, patron des députés Les Républicains, la trouve « un peu incongrue de la part de quelqu’un qui, visiblement, n’est pas chrétien ». Sur Franceinfo, mardi, M. Marleix attaquait : « la messe, ce n’est pas un one-man show. » Soulevant là « un grand mystère », selon les observateurs, celui de l’adhésion du locataire de l’Elysée à une croyance religieuse. « Est-ce que vous parlez à Dieu ? », l’a interrogé, en 2017, un journaliste de l’hebdomadaire chrétien La Vie. « Pas en ce moment », lui a habilement répondu, les yeux dans les yeux, celui qui n’était encore que candidat à la présidentielle.

Baptisé à 12 ans, éduqué chez les jésuites, assistant du philosophe Paul Ricœur, M. Macron a manifesté à plusieurs reprises sa proximité, au moins culturelle, avec le catholicisme. Du discours des Bernardins, un an après sa première élection, où il ambitionne de réparer le lien « abîmé » entre l’Eglise et l’Etat, à sa relation avec le pape François, constamment mise en valeur par l’Elysée, il n’a cessé, comme il l’a dit lui-même, d’envoyer des « signaux » aux catholiques.

« Alors qu’il n’y avait chez son prédécesseur François Hollande ni intérêt ni compréhension pour ce que peut être la foi, il y a chez Emmanuel Macron la volonté constante de séduire les catholiques, de leur montrer qu’il les comprend… tout en ne leur donnant pas grand-chose », résume le journaliste Jean-Pierre Denis, spécialiste du fait religieux. La législation sur l’avortement, la loi bioéthique et bientôt le texte sur la fin de vie – dont la présentation a été reportée de quelques jours par égard pour le pape François – ont heurté le Vatican.

Un « schéma gaullien »

Comme il le fait sur beaucoup de sujets, Emmanuel Macron a étudié la pratique de ses prédécesseurs à l’égard des cultes. Or, tous ont assisté à des cérémonies religieuses. Ainsi, de Gaulle le catholique se rendait-il le dimanche, en famille, à l’église de Colombey (Haute-Marne), et avait fait aménager une petite chapelle à l’Elysée – qui était jusqu’à récemment le bureau de Jean-Louis Georgelin, décédé le 18 août. Mais il ne communiait jamais en public. « Il a essayé de faire une distinction entre l’homme public et l’homme privé, mais n’y est pas parvenu totalement, relève Philippe Portier. Il a résolu le problème en faisant la distinction entre assistance et participation. » Un « schéma gaullien » que suit M. Macron aujourd’hui, observe le sociologue.

Georges Pompidou, lui aussi croyant et pratiquant, rend visite à Paul VI en 1969, avant de se présenter à la présidentielle, « comme s’il voulait un aval papal à sa démarche politique », souligne le sociologue des religions. Il prolonge une politique très favorable à l’Eglise. Valéry Giscard d’Estaing, dont le catholicisme fut plus libéral que celui de son prédécesseur, a créé un précédent, comme on l’a vu, en assistant à une messe célébrée par le pape Jean Paul II.

De son côté, François Mitterrand, « imprégné par son éducation catholique mais allergique au catholicisme en politique, y compris à gauche, n’a jamais cessé de se frayer un chemin entre le doute et la foi », selon son ancien collaborateur Hubert Védrine. Reçu par Jean Paul II en 1982, il n’est pas allé recevoir les insignes de chanoine d’honneur du Latran. « Une messe est possible », couchera toutefois sur son testament celui qui croyait aux « forces de l’esprit ».

« Une relation directe » avec le pape François

Jacques Chirac, croyant et pratiquant, s’est, lui, illustré en reprenant à son compte l’expression traditionnelle selon laquelle la France est « la fille aînée de l’Eglise ». Nicolas Sarkozy est celui qui a le plus bousculé le « schéma gaullien », en se signant lors d’obsèques auxquelles il assistait comme président de la République et en exaltant « les racines chrétiennes » de la France lors du débat sur l’identité nationale. Dans son discours au Latran, en 2007, il a rallumé la guerre des deux France en affirmant que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ».

François Hollande a, pour sa part, affirmé son agnosticisme, voire son athéisme, et pris position en faveur d’une laïcité de séparation. Les attentats de 2015, puis la guerre en Syrie l’ont cependant conduit à réaffirmer le lien de l’Etat avec le religieux : en mars 2017, il s’associe à la communauté catholique Sant’Egidio pour mettre en place des couloirs humanitaires permettant d’accueillir les populations exilées fuyant la guerre en Syrie. « Ce qui est frappant, c’est que l’idée d’une séparation stricte des Eglises et de l’Etat a été remise en cause par tous les chefs d’Etat, résume Philippe Portier. La République n’a pas considéré que la séparation devait être absolue. »

A la veille de la rencontre entre Emmanuel Macron et le pape François, on sourit dans la cité phocéenne de l’activisme élyséen pour transformer la simple visite pastorale initialement prévue en visite officielle. [...]"



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