19 septembre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Dans les années 1950, la France et le Royaume-Uni avaient envisagé un sérieux rapprochement, avec une adhésion de Paris au Commonwealth.
Par Alexandra Saviana
Lire "Elizabeth II : le jour où elle a failli devenir reine de France".
C’est une anecdote qui ravira sans doute les fans d’uchronie. En 2007, la BBC a exhumé des archives officielles Outre-Manche - déclassifiées vingt ans plus tôt - un épisode singulier des relations franco-britanniques. Dans les années 1950, les gouvernants du Royaume-Uni et de la France avaient flirté de manière inédite, envisageant un rapprochement des deux nations. "Lors d’un récent séjour à Londres (le 10 septembre 1956), le président du Conseil français, Monsieur Mollet, a évoqué la possibilité d’une union entre le Royaume-Uni et la France", assure un document officiel du cabinet britannique. Quelques jours plus tard, le socialiste Guy Mollet, ira même jusqu’à proposer... l’entrée de la France dans le Commonwealth. Un événement qui aurait fait d’Elizabeth II, décédée ce jeudi 8 septembre, la reine de France.
La situation est alors particulièrement tendue. Londres et Paris se vivent encore comme de grandes puissances, mais leurs empires n’en finissent pas de se fissurer. En Algérie, l’insurrection a déjà éclaté depuis deux ans. En Egypte, le président Nasser a nationalisé au coeur de l’été la Compagnie universelle du Canal de Suez, copropriété franco-britannique. Des deux côtés de la Manche, c’est l’effarement. Ce revirement signe la fin de la domination politique d’une région qu’elles s’étaient divisée après la Première Guerre mondiale. La fin de cette ère est d’autant plus terrible pour Paris que, en agissant ainsi, Nasser prend une décision symbolique : il apporte son soutien à la révolte en Algérie.
La crise du canal de Suez
Hagard, Guy Mollet se tourne donc vers Londres. En pleine crise du canal de Suez, les deux puissances se préparent à se rendre en Egypte. Au même moment, des tensions affleurent à la frontière entre la Jordanie, soutenue par Londres, et Israël, alliée de Paris. A une époque où la Communauté européenne n’existe pas encore - elle naîtra quelques mois plus tard avec la signature du traité de Rome, le 25 mars 1957 - Guy Mollet envisage un mariage qui permettrait, selon lui, d’éviter un combat direct entre les deux voisins européens.
Le Français reprend ici une idée... britannique, venue de Winston Churchill. En 1940, l’illustre Premier ministre avait tenté d’asseoir un projet de fusion politique entre les deux pays à un gouvernement français en pleine déroute. Seize ans plus tard, la proposition est toutefois reçue sans enthousiasme par le Premier ministre conservateur britannique, Anthony Eden. Lors de la visite du chef de gouvernement à Paris, les 26 et 27 septembre 1956, Guy Mollet fait cette fois une proposition plus précise : l’entrée de la France dans le Commonwealth. La reine d’Angleterre, Elizabeth II, serait ainsi devenue... le chef de l’Etat français. Et la France serait redevenue une monarchie. Le 28 septembre 1956, Eden estime ainsi dans un document "que l’on devait prendre en considération sans délai une adhésion de la France au Commonwealth ; que monsieur Mollet ne pensait pas que l’acceptation de la souveraineté de Sa Majesté par la France soulève des difficultés (et) que les Français seraient favorables à une citoyenneté commune sur le modèle irlandais". L’idée, bien qu’examinée très sérieusement à Londres, est finalement rejetée afin de ne pas "affaiblir le Commonwealth".
Guy Mollet l’anglophile
Un socialiste français aurait donc imaginé - souhaité même -, 167 ans après la Révolution, que la souveraineté de la République puisse être mise sous l’autorité d’un monarque, britannique qui plus est. Une suggestion possiblement expliquée par les tensions du moment, mais aussi par le profil de Guy Mollet. L’homme, ancien professeur d’anglais au lycée d’Arras, dans le nord de la France, n’a jamais caché sa sympathie pour le Royaume-Uni, d’ailleurs remarquée par la BBC. Le Président du Conseil "admirait la Grande-Bretagne pour son aide lors des deux Guerres mondiales et son Etat-providence florissant", assure la radio publique anglaise, en 2007. Ancien résistant, le socialiste affectionnait aussi les Britanniques pour leur soutien sans faille lors des deux conflits mondiaux.
Cette anglophilie avait d’ailleurs suscité des attaques de ses adversaires politiques, comme l’explique l’historien Bernard Ménager dans son ouvrage Guy Mollet : un camarade en République. En 1956, Pierre Poujade, alors leader des artisans et commerçants, avait été à l’origine d’une "campagne" assurant que Guy Mollet ne pouvait revendiquer le fait d’être "français". Le futur Président du Conseil lui avait répondu par voie de presse. "J’appartiens à une vieille famille d’origine protestante française, qui a émigré en Angleterre lors de la révocation de l’Edit de Nantes. Tandis qu’une partie restait en Angleterre, mon arrière-grand-père est revenu en France au début du XIXe siècle. Mon arrière-grand-père était pasteur de l’Église anglicane de Canterbury", avait-il confié au Paris-Presse L’intransigeant.
Aucune trace de la "Frangleterre"
Dans la foulée de ces révélations par le média britannique, les commentateurs français ont exprimé leur étonnement, voire même leur scepticisme. Interrogé par la BBC sur le sujet, George-Henri Soutou, professeur d’histoire à la Sorbonne, s’était étranglé : "Vraiment je bégaie, parce que cette idée est vraiment saugrenue. L’idée de rejoindre le Commonwealth et d’accepter la souveraineté de Sa Majesté n’aurait pas été bien accueillie. Si cela avait été suggéré plus récemment, Mollet aurait pu se retrouver devant un tribunal". Jacques Myard, alors député (UMP), avait aussi fait part de son indignation. "En vérité, je suis assez abasourdi. Auparavant, j’avais une bonne opinion de M. Mollet, mais je pense que je vais devoir la réviser, avait-il déclaré à la BBC. Je suis étonné d’apprendre cela, parce que depuis que j’apprends l’histoire, je n’en ai jamais entendu parler. Ce n’est pas dans les manuels".
Aucune trace de cet épisode ne semble effectivement exister dans les archives françaises. Guy Mollet lui-même ne paraît pas avoir fait grand bruit de son initiative. Aussitôt imaginé, le rêve de la "Frangleterre" fut de toute façon vite abandonné. Si à la fin du mois d’octobre, Français et Britanniques tentèrent de renverser Nasser avec l’entente d’Israël, l’opération fut avortée en raison de l’opposition des Etats-Unis, nouvelle grande puissance du XXe siècle. Quant à Guy Mollet, à défaut de mettre la nouvelle souveraine sur le trône de France, il se contenta de l’accueillir au Louvre, quelques mois plus tard, pour une visite officielle."
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales